Ils voyageaient à bonne allure sur une route assez large qui longeait le lac. Le temps était propice : frais mais sec, il permettait aux chevaux de maintenir un petit galop. Le silence était de temps en temps interrompu par les babillements de Meryl que Com, devenu son gardien officiel, avait placée dans une grande étoffe qu’il avait nouée au travers de son torse. Il se sentait un peu ridicule mais le poids du bébé contre sa poitrine le rendait plus léger. Il n’avait pas eu le temps de reparler longuement avec Meryl d’Avalon et il mit à profit cette chevauchée pour échanger leurs idées sur la sorcière. Meryl l’avait mis en garde, Avalon était loin d’être domptée et sa reddition avait été trop soudaine pour qu’il n’y ait pas anguille sous roche. Com promit au bébé de surveiller de près Avalon et de mettre en garde Vamp. Cependant, cette journée vivifiante et le sentiment d’avoir rempli la part la plus difficile de la mission que leur avait confiée le Messire le rendait d’humeur joyeuse. Il entonna une célèbre balade de Hujird, bientôt reprise en cœur par Tram et Hunter.
Bercée par le rythme régulier de sa monture, Avalon rêvassait. Elle n’avait pas une personnalité encline à la méditation ou à la réflexion sur soi mais la situation présente où, en apparence, elle ne disposait pas de son libre choix, était propice à ces dérives de l’esprit où les pensées se succèdent sans ordre logique, avec nonchalance. Un détail du paysage la ramenait ainsi plusieurs années en arrière, évoquant un défi passé, une rencontre heureuse ou une défaite douloureuse. Elle se retenait pourtant de laisser errer son regard vers Vamp. Elle ne tenait pas à ressasser ses souvenirs d’enfance, doux-amers et parfois douloureux. En passant devant une formation rocheuse dont la forme très resserrée au centre évoquait un sablier gigantesque, son affinité avec le minéral s’éveilla. Elle guida légèrement sa monture vers la droite, parvenant ainsi à se rapprocher de la paroi rocheuse, d’un gris parsemé de veines fines d’un rose opalescent. Elle passa devant un petit éboulis, adossé contre la paroi dans lequel elle saisit, par habitude, un caillou de quelques centimètres de long, d’une jolie forme oblongue. Ce n’était pas une pierre de pouvoir, mais un banal morceau de roche à l’aspect plaisant et au doux grain serré. Une veine rosée le parcourait de part en part, sa douceur au toucher contrastant plaisamment avec la rugosité de la roche grise. Avalon fit tourner lentement dans sa main ce caillou tout jeune encore, peu érodé par le vent ou la pluie, sentant avec plaisir son poids dans sa main, sa fermeté. Elle ferma les yeux, sachant que sa monture suivait sans guide le cheval qui le précédait. Caressant du pouce la roche, elle en construisit une carte mentale, enregistrant la finesse de son grain, son aspect froid au toucher, ses formes régulières. Elle pourrait désormais le reconnaître parmi des milliers d’autres. Elle aimait le minéral pour sa permanence, son inertie face au changement, sa diversité infinie et sa capacité à emmagasiner énergies et forces, comme des témoins inaltérables du passé. Leur stabilité la rassurait, l’ancrait dans le monde et les roches lui cédaient une partie de leur force, de leur résistance face aux changements, de leur longévité. Le contact doux de ce caillou l’aida à dissiper les derniers vestiges de la colère qu’avait fait naître sa défaite devant Vamp.
Elle resta en retrait toute la journée, ne participant pas aux conversations nombreuses, bien que personne n’ait cherché à nouer le dialogue avec elle. Aucun membre de la troupe n’avait envie d’entamer une conversation polie avec une sorcière de son acabit. Elle sentit cependant de nombreux regards posés sur elle mais qui cessaient brusquement dès qu’elle s’en apercevait. Seule la guide de Vamp, l’envoyée du Messire, avait soutenu franchement son regard. Avalon s’était demandé si Aster ne cherchait pas à entrer en contact avec elle. Si son intuition était juste, elle ne pourrait pas lui parler avant la nuit. Aster n’était pas laissée sans surveillance par les compagnons de Vamp. Il se trouvait, à tout moment, un des membres de leur petite troupe pour l’observer attentivement. Avalon avait vite compris qu’Aster ne faisait pas partie des amis de la mercenaire. En tant qu’envoyée du Messire, elle était soumise à une surveillance discrète, mais incessante.
Eh bien, se dit Avalon, si elle tient vraiment à me parler, il faudra qu’elle use de subterfuge. Je me demande ce qu’elle me veut. De nombreuses hypothèses étaient possibles mais il était inutile de spéculer tant qu’elle n’en saurait pas plus.
Sa chevauchée méditative et la pierre qu’elle continuait de caresser instinctivement lui avaient permis de se recentrer. Elle se sentait parfaitement calme et reposée, comme après une bonne nuit de sommeil ou une longue nage tranquille, les muscles chauds, l’esprit clair et affûté. Elle cessa d’observer le paysage pour se concentrer sur ses compagnons de route. Elle n’avait pas eu l’occasion de les approcher à l’exception de Vamp mais Tawi lui avait dressé un tableau complet regroupant leurs noms et origines. Certains d’entre eux restaient mystérieux, comme le félin ou le bébé Meryl. Depuis hier soir, Avalon savait que cette bête n’était pas ordinaire. Elle ralentit un peu pour essayer de l’apercevoir car il se trouvait avec MissO en fin de convoi. Surprise, elle découvrit à la place du félin un petit animal, proche de la fouine, enroulé autour du cou de Ma’non. Malgré ce changement d’apparence, Avalon percevait la même aura, la même énergie que celle du félin. Serait-il possible qu’il s’agisse d’un démon métamorphe ? Si c’était bien le cas, son respect pour l’invocatrice, pour le moment inexistant, augmenterait légèrement. L’invocation d’un tel familier était signe d’un pouvoir non négligeable. Elle se demanda brièvement pour quelles raisons le démon avait quitté sa forme féline, bien plus efficace pour contrôler sa panthère. Elle eut un début de réponse en observant les caresses possessives dont Ma’non couvrait son familier. Se pourrait-il qu’elle ait été jalouse de l’affection de MissO pour son compagnon ? Cette situation ne manquait pas de saveur pour Avalon qui se réjouissait que sa fifille ait réussi en si peu de temps de se débarrasser de son geôlier. Elle se décida à vérifier cette hypothèse en contactant MissO. Sa panthère se révéla d’humeur peu amène, les blessures que lui avait infligées Sam la veille la faisait souffrir et le si mystérieux et séduisant félin qu’elle tâchait de séduire avait disparu pour être remplacé par une chose sans nom. Avalon s’amusa de la déception de sa compagne et la cajola mentalement. Elle tenait pour le moment à la discrétion et lui ordonna de bien se tenir et de ne pas toucher à l’invocatrice. L’instinct féminin de MissO avait vite compris l’identité surprenante de sa rivale et elle lui avait manifesté une hostilité criante, cherchant à adapter l’attrape-Tawi à une nouvelle proie. Sa maîtresse la détourna de ce jeu, lui promettant des victimes pour un avenir proche. Elle réussit à la calmer alors que la fin de l’après-midi approchait. Ils avaient parcouru plusieurs dizaines de lieues et approchaient du village de Jrillas, comme l’avait prévu Vamp.