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MessagePosté le : 26 Déc 2003 19:43
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Bientôt dans votre ville…

De grandes affiches colorées avaient fleuri aux alentours des hautes tours de béton de la ville grise quelques jours auparavant.

C’était l’été, le mois d’août.
Les HLM écrasées par la chaleur voyaient leurs quelques occupants diurnes somnoler à leurs fenêtres, rêvant au mot « vacances » ; pensant aux autres locataires « chanceux » qui passaient du bon temps « au pays » et qui reviendraient à la fin du mois, pleins de forces pour combattre ce quotidien dont ils étaient restés prisonniers.

Ce quotidien semblait les entraîner pour les engloutir insidieusement dans une léthargie qui ne faisait que s’accentuer avec la moiteur étouffante qui persistait même à la tombée de la nuit. Une hébétude habituelle dont les quelques ouvriers et salariés ne sortaient qu’en fin d’après-midi alors qu’ils rentraient enfin chez eux. Leur liberté retrouvée les incitait alors à chasser ce « sommeil poisseux » sous une douche fraîche pendant que les femmes s’activaient à leur mitonner un bon repas pour leur faire oublier une journée épuisante et déprimante. On entendait enfin quelques rires, parfois bruyants, dans la cité dortoir alors que s’échappaient des appartements grands ouverts des odeurs acres mêlant épices, aromates et autres senteurs rappelant pour le temps du repas les parfums enivrants du pays ».

Une fois les odeurs de nourritures dissipées, les écrans de télé s’allumaient à plein volume.

« Alors que la nuit tombait, on attaquait la seconde partie de soirée, le moment où les premiers gosses livrés à eux-mêmes toute la journée étaient définitivement rappelés à leurs foyers ».

Aux cris enfantins succédaient les braillements de jeunes adultes excités par l’ennui et le désœuvrement.
Aboiements de canidés échaudés, bris de bouteilles, ricanements, rougeoiements de cigarette, odeur de shit mélangée à celles des détritus. Morceaux de rap s’échappant d’un poste de radio déglingué posé à même le trottoir.

L’ambiance serait sans doute toute autre ce soir.

Ce n’était pas sans une certaine frénésie que David avait entendu puis aperçut ce jour-là un vieux poids lourd, attelé de deux remorques toutes aussi bringuebalantes, sortir de l’autoroute et s’engager dans la cité pour venir stationner sur la place, au pied des habitations affreusement verticales où il habitait avec sa mère.

Il était dehors depuis longtemps, profitant du bien être que peut apporter la solitude, scrutant « son territoire » du haut des toits. Il aimait voir le soleil rouge sang se lever à l’horizon.

Jeune veuve, sa mère partait très tôt en direction d’un travail mal payé et très éloigné, pour ne rentrer que très tard le soir.
C’était temporaire lui disait-elle, ayant manifestement mauvaise conscience de laisser ainsi son enfant de 13 ans tout au long de la journée. Il ne lui en voulait pas, elle faisait de son mieux.

En fin de matinée, avec quelques autres galopins, ils s’étaient approchés du véhicule intrus dont les flancs arboraient la même inscription que celle des affiches cartonnées accrochées au hasard aux feux rouges ou sur les lampadaires des avenues avoisinantes : « Musée de l’horreur ».

Ne voyant personne dans les environs, ils s’enhardirent jusqu’à essayer d’ouvrir une des ridelles du camion pour essayer de voir avant l’heure (« le musée ouvrira ses portes à minuit ») un des « trésors» énumérés sous l’accroche : vestiges de créatures maléfiques et fantastiques, mais aussi des pièces à conviction de monstres contemporains, de tueurs en série…

Au moment où l’un d’eux commençait victorieux à grimper à l’arrière du poids lourd, il fut accueilli par un molosse surgi soudain du fond de la remorque en aboyant furieusement…

Les gamins s’éparpillèrent, à l’exception de David.
Le jeune garçon vit avec frayeur les mâchoires du gros doberman s’ouvrir et ses dents se planter dans l’avant bras bronzé de son camarade de jeu qui hurlait en voyant son sang s’en échapper. La bête paraissait déterminée à le dévorer.

Tétanisé, il se rapprocha néanmoins espérant de façon inconsciente venir en aide à Ahmed. Il fut bousculé sans ménagement par un individu qui, armé d’une canne, fit reculer le chien de garde en lui donnant plusieurs coups sur le museau…
Au même moment, une brute épaisse descendit lentement de la cabine avant pour récupérer le cerbère… Ce dernier, une fois le « monstre enragé » renfermé dans la caisse du camion, s’excusa du bout des lèvres avec un fort accent indéterminable.
- Pas rentrer dans le camion, conclut-il avant de s’en aller.


L’homme à la canne, un des vieux qui passait sa journée sur un des bancs de la cité, le regarda partir avec dégoût et cracha au sol, marmonnant en polonais, sa langue natale… Il regarda la plaie sur le bras de l’adolescent blessé en grimaçant :
-On va aller à l’hôpital ça n’est pas joli, joli…
Effectivement, l’avant bras avait pris une couleur violacée à l’endroit de la morsure…
- Ca pue là-dedans, dit Ahmed en sanglotant.
Le vieillard se tourna alors vers David :
- Ne t’approche pas de ce musée, il est mauvais !
Le jeune homme haussa les épaules, montrant ainsi son mépris vis-à-vis des conseils prodigués par les adultes. Néanmoins, il était loin de considérer l’avertissement comme absurde. Le chauffeur du camion ne lui était pas apparu non plus particulièrement rassurant.
Le teint pâle, les yeux vides, il exhalait une odeur désagréable qui semblait émaner de sa personne même plutôt que des habits tachés et crasseux qu’il arborait. David se rassura en se disant qu’il devait être saoul, et que le vacarme l’avait réveillé alors qu’il cuvait son vin. Mais son impassibilité n’avait rien d’humain…

Le vieillard réitéra son conseil alors qu’il s’éloignait pour rejoindre les autres gamins qui attendaient un peu plus loin en retrait.

La fin d’après-midi se déroula sans autres incidents. On ne vit pas revenir le vieillard ni Ahmed, et à l’heure du goûter, alors que la chaleur commençait à faiblir, le chauffeur accompagné d’une dizaine de comparses du même genre commencèrent à monter un énorme chapiteau, sans que personne ne vienne les déranger ; enfant ou bien même animal en liberté les évitant avec prudence.

- Le frère d’Ahmed, il va aller leur péter la gueule aux forains quand il va rentrer de l’usine ce soir, glissa Nadia.
- Il a intérêt à venir à plusieurs, lui répondit David, observant lesdits gens du voyage en frissonnant.
- C’est vrai qu’ils paraissent mastoc, dit Florian en faisant claquer une bulle de chewing-gum, et se relevant pour aller remplir sa bouteille d’eau à la borne incendie qu’ils avaient ouverte et dont l’eau se répandait sans fin dans le caniveau.
- Il fait chaud ! Tu m’en donnes ?, lui demanda Nadia.
- Ils boivent pas, remarqua David.
Ca faisait bientôt deux heures qu’ils s’activaient à monter leur tente…

Un peu plus tard, alors que ses camarades étaient rentrés dîner, et que les manutentionnaires suspendaient des guirlandes électriques du sommet vers le bas de leur installation, David, adossé à son balcon face au musée tout en attendant le retour de sa mère qui n’arriverait pas avant deux heures, fut témoin d’une scène incroyable.

Le chauffeur du camion, arrimé en haut du mat central, tira brutalement sur une des rallonges constellées d’ampoules multicolores qui s’était retrouvée coincée un peu plus bas, arrachant par la violence du geste le doigt d’un de ses collaborateurs, amorphe, qui la tenait à l’autre bout.
Il n’y eut aucun cri, à peine si l’ouvrier avait l’air de s’en être rendu compte avant de se faire invectiver par son « chef » qui lui ordonna de ramasser le morceau qu’il avait perdu.
Le gars glissa son index mutilé dans la poche de son jean, le tachant de sang par la même occasion, tout en gardant un air placide.

David attendit que la nausée, qui l’avait saisi en voyant la scène, passe, et se précipita sur le téléphone afin d’appeler les parents d’Ahmed. La mère de ce dernier, en pleurs, finit par lui répondre et expliqua, dans un français plus qu’approximatif, que le garçon était resté à l’hôpital. Son cas s’était aggravé : son bras avait été atteint par la gangrène, il avait une très forte fièvre et les médecins paraissaient dépassés.

Quelque chose n’allait décidément pas avec ce musée, pensa le garçon.

La nuit était maintenant tombée et la place circulaire, éclairée par la lumière blafarde des rampes lumineuses du chapiteau, conservait un aspect lugubre, alors même que des enceintes diffusaient une musique d’orgue de barbarie.

Sa mère, rentrée un peu plus tôt, s’était endormie, écrasée de fatigue, devant la télévision.
En sortant de la cage d’escalier, David remarqua un attroupement devant ce qui semblait être l’entrée pour accéder au musée. La bande du frère d’Ahmed était là, au grand complet, ne manquait que son leader, sans doute resté à l ‘hôpital au chevet du blessé.
D’autres adolescents étaient en retrait attendant le début du spectacle, le moment où la soirée déraperait définitivement. Nombre d’adultes regardait fiévreusement la scène en surplomb de leurs fenêtres.
Une voiture de police stationnait à vue.

Tous patientaient en regardant un bateleur haranguer la foule quant aux merveilles dissimulées sous le chapiteau, et qui à l’occasion distribuait des billets gratuits.
L’individu qui ressemblait au Baron Samedi, avec sa longue veste noir dépenaillée et son visage maculé de fard blanc, était accompagné d’autres saltimbanques tout aussi macabres : cracheurs de feu déguisés en démons cornus ou avaleurs de sabre incroyablement insensibles qui s’enfonçaient des lames dans la gorge de façon véritablement impassible.

- Du jamais vu mesdames et messieurs ! Entrez ! Entrez !, criait le bonimenteur en indiquant la caisse où se tenait un Frankenstein au pied duquel on pouvait voir le doberman assoupi.

La patrouille du commissariat partit peu avant minuit. Le grand frère d’Ahmed ne viendrait apparemment plus et ses potes paraissaient plus décidés à profiter de l’ambiance électrique, certainement pour parvenir à leurs fins avec les filles de la cité et des environs accrochées à leurs bras, qu’à vraiment en découdre avec les forains.
Après tout, nombre d’accidents du genre avait déjà eu lieu dans les caves où certains élevaient des pitbulls malgré l’interdiction de le faire. On ne peut pas rendre responsable des animaux dressés pour défendre un territoire.
La racaille avait fini par trouver l’ambiance marrante, les gonzesses avaient les chocottes et se laissaient peloter. Ils étaient assez nombreux à faire la queue pour entrer dans le musée. C’était une bonne soirée.
Les adultes étaient partis se coucher.

David se glissa furtivement du coté du camion manifestement abandonné : trop effrayé pour faire face au contenu du musée, il tenait néanmoins à prouver sa témérité, et pourquoi pas en ramenant un petit souvenir de ce qu’il trouverait à l’intérieur ? Ses copains seraient enthousiastes !

Il tira avec précaution les élastiques qui tenaient la bâche au camion, afin de se faire une ouverture, puis prenant appui sur la roue arrière, il grimpa sur le bord de la caisse du véhicule pour basculer maladroitement dedans.
Il avait bien senti une odeur désagréable, mais une fois à l’intérieur, celle-ci le saisit à la gorge au point de le faire suffoquer.
Un jour, il avait assisté à l’accouchement de chiots morts nés : c’était l’odeur de la mort, de la putréfaction.
Les larmes aux yeux, toussant tout ce qu’il pouvait, se retenant pour ne pas vomir, David réussit à allumer la lampe de poche dont il s’était outillé pour son escapade.

Le jeune garçon faillit la lâcher aussitôt.

Au centre du faible rayon de lumière (il n’avait pas vérifié les piles), il vit un cercueil, et tout autour, ce qui semblait être des cadavres humains.
La vision et le bruit des asticots s’engraissant des chairs nécrosées, eurent raison de lui, et David rendit bruyamment son dîner en se détournant de la scène.

Secoué de spasmes, il se précipita à reculons pour sortir du charnier, trébuchant sur les morceaux de viandes épars, lorsqu’il vit avec horreur le couvercle de la bière se soulever. Une main aux doigts effilés et griffue le projeta sur le coté.
Dans le faisceau de sa torche, dirigé vers le « phénomène », apparut bientôt un homme au visage totalement imberbe et d’une pâleur crayeuse, qui, le voyant, sourit révélant des canines de vampire.

Quant bien même il aurait voulu hurler de frayeur, David n’y serait pas parvenu, la gorge en feu, essuyant instinctivement la bile qui suintait de ses lèvres.
Le monstre avait capté son regard, et l’adolescent n’arrivait plus à le détacher des iris jaunâtres de la créature qui avançait sur lui.


- Que le spectacle commence !

Des hurlements s’élevèrent du chapiteau, d’où la phrase venait de résonner.

- Mes « petits » vont s’amuser un peu, s’alimenter, puis m’amèneront un peu de sang frais. C’est la même routine depuis des centaines d’années, expliqua d’une voix d’outre-tombe le vampire.

- Il faut les excuser, les morts vivants ne sont pas très soigneux, ajouta t-il en écartant les bras pour expliquer les cadavres en décomposition.

- Mais, arriva à balbutier David, il y a la police.

Le prédateur pouffa de rire. Sa proie s’en trouva encore plus tétanisée.

- Nous choisissons consciencieusement nos « terrains de chasse », nous nourrissant de ce que la société considère comme sa lie. En disant cela, il tendit la main vers le visage du garçon pour lui caresser la joue tout en se pourléchant les babines.

- Demain nous serons loin, les disparus seront déclarés « fugueurs », ceux qui en réchapperont par chance, c’est fort improbable, comme des drogués victimes d’un mauvais trip, « the show must go on » conclut t-il en écartant nerveusement le col du sweat de David.

Un grésillement.

Le monstre venait de se blesser contre la chaîne en or bénie que David tenait de sa grand-mère. Il hurla en contemplant sa main dont montaient des volutes de fumée, perdant par la même occasion le contrôle hypnotique qu’il exerçait sur celui qu’il s’apprêtait à mordre.

David se jeta par le trou par lequel il avait pénétré dans le camion, atterrissant brutalement sur le sol bitumé de la place.
Derrière lui, il entendit la ridelle du camion céder à un coup de pied brutal de l’émule de Dracula, dont la silhouette ne fut pas longue à le surplomber.

- Tu es faible, affirma t-il, ton colifichet ne te protégera pas longtemps, je t’obligerai à le retirer toi-même et à supplier mon baiser.

David ferma les yeux aussi fort qu’il le put, essayant de faire abstraction des cris et du « remue ménage » qui venaient du « musée des horreurs ».
Il sentait du sang couler de son front. Il entendit soudain une voiture arriver au loin, et il se mit à espérer…

Un espoir fou…



Une "nouvelle" que j'ai déjà "édité" sur ED Forum, mais qui a disparu lors de son dernier "déménagement" :wink:. J'en ai discuté l'autre jour avec Rowan qui à l'époque me l'avait gentiment corrigé...
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MessagePosté le : 25 Jan 2004 18:10
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Dernier conte.

« Chaque jour qui passe me fait perdre un peu plus conscience de mon identité.
En attendant celui prochain où mon esprit ne luttera plus avec la volonté du Maître, mon dernier acte de rébellion consistera à coucher par écrit le récit de notre rencontre, à narrer assurément ce qui constitue la fin de notre monde.
Jusqu’à ce jour je n’avais jamais rédigé aucun de mes contes ni aucune de mes fables.

Je me prénomme Théobald Troubadour, ma vie d’avant je l’ai passé à sillonner les routes, derrière une vieille mule, à aller de tavernes de villages, en châteaux.
Seigneurs, gens du peuple et minots s’empressaient à la veillée pour entendre mes histoires peuplées de créatures fabuleuses ou maléfiques et de héros courageux.
Le Bien triomphait toujours du Mal et s’il y avait bien quelques instants d’effroi, les moments de joie et les rires étaient bien plus nombreux chez mon auditoire.
Ainsi en fût-il jusqu’à ce que le Maître et les siens tombent des étoiles.

C’était la fin de l’automne et je rejoignais la capitale de notre royaume espérant, comme à chaque année, échanger mes récits contre une place au coin du feu, lorsque j’appris l’incroyable nouvelle, lors d’une étape dans une auberge, de la bouche de commerçants rejoignant le littoral.

Venant du ciel, un oiseau de fer géant s’était posé dans la plaine au pied de la citadelle royale. Son ventre s’était ouvert, libérant des hommes au teint pâle, que notre suzerain, le bon roi Louis, s’empressa d’accueillir en sa demeure.

Fort intrigué et très enthousiaste à l’idée d’être parmi les premiers à mettre en scène cette épopée merveilleuse, je ménageais un peu moins mon fidèle destrier qu’à l’habitude, afin de rejoindre ma destination au plus tôt.
Il me fallut néanmoins pas moins de deux longues semaines pour arriver en vue des remparts de la grande ville.

Nombreux furent, sur le chemin, les colporteurs et routiers à me confirmer l’arrivée des « hommes de l’espace » et à me raconter également les évènements étranges qui suivirent.

Si récit il devait y avoir, assurément celui-ci aurait sa part de mystères, mais jamais je n’aurai pu imaginer qu’il traiterait d’une malédiction, d’un fléau qui venait de s’abattre sur nos contrées.
Ceci, je ne le devinais qu’une fois aux portes du monument ancestral où siégeait la cour, en entendant l’écho inhabituel des sabots de ma bête sur les pavés de la ville inhabitée.
A cet instant j’aurais sans doute encore pu fuir et laisser derrière moi ce qui ne tarderai pas à devenir un cauchemar, si par comble de malchance ma mule, jusqu’alors infatigable, ne s’était pas effondrée sous moi, m’emprisonnant la jambe, ajoutant à l’ambiance générale un nouveau signe néfaste.

Je tempêtais un moment, criant à ce que l’on vienne à mon secours sans obtenir de réponse, jusqu’à ce qu’un commis, à qui j’avais inculqué quelques rudiments d’écriture l’année précédente, passe là par hasard et réponde à mes cris.

Une fois dégagé, nous nous mirent en route vers la demeure royale.
En m’appuyant sur mon sauveur qui y retournait, je m’enquérais de la situation : que se passait-il ? Le castel était-il la proie d’un mal contagieux pour paraître aussi vide et abandonné ? Où était passé l’ « oiseau de fer » ?

Le jeune garçon paru effrayé, ne sachant trop quoi me raconter, me suppliant de me taire de peur que mes questions n’offusquent les valets du Maître qui assurément observaient nos faits et gestes, on ne pouvaient rien leur cacher selon ses dires.

J’essayais de le rassurer lui disant que manifestement nous étions seuls et isolés sur le chemin et que mes rapports avec le roi avaient été jusqu’ici fort amicaux, mais rien n’y fit.
Le soleil déclinait, et avec l’obscurité se faisant, sa peur ne cessait de grandir…
Je frémis moi-même en attendant des chiens sauvages hurler à la vision du disque lunaire montant dans le ciel.

Habituellement à cette époque, la capitale était en liesse, célébrant la fin de l’automne, qui coïncidait avec l’anniversaire de la princesse Aymeraude, mais en ce jour nul signe de festivités n’était visible.
Nous arrivâmes au cœur de la ville dans un palais aussi sinistre que l’étaient les rues parcourues depuis le mur d’enceinte.

A la poterne de l’entrée, aucun garde ne vint nous accueillir.
Le commis, me laissant prêt de l’âtre des cuisines où il venait d’embrocher un maigre lapin de garenne, après l’avoir dépecé grossièrement, me dit qu’il allait prévenir le maître de ma présence en ces murs.
J’espérais en moi même que le roi arriverait à m’expliquer ce qui se passait, m’étonnant quelque peu du manque de protocole.
En réalité, je ne le compris que plus tard, le propriétaire des lieux dont il était question n’était plus le même…

Un autre jeune garçon au teint maladif, que je supposais être un marmiton, à l’allure crasseuse, vint m’annoncer que l’on m’attendait dans la grande salle des banquets.
Je m’y rendis au plus vite en boitant ne voulant en aucun cas déplaire en faisant attendre mon hôte.

Ce que j’y vis ne fit que grandir en moi, le malaise qui s’était insinué depuis le coucher du soleil.
Il y régnait un calme solennel, seulement troublé par les éclats du bois brûlant dans la cheminée.
Je vis avec consternation qu’on avait commencé à brûler le riche mobilier, dont il ne restait que le strict nécessaire afin d’attabler la triste assemblée qui m’attendait.
Le trône était vide, et la vision du roi Louis en guenille, assit sur un simple banc comme la reine et la princesse, et quelques serviteurs de ma connaissance, me glaça le sang, quant bien même il régnait une chaleur étouffante dans la salle.

Le « triste sire », d’une pâleur cadavérique comme l’ensemble des convives, m’invita à m’asseoir d’une voix désincarnée entre son épouse et sa fille.
Les deux femmes, telles de véritables gourgandines, ne cessèrent de me toucher, devisant quant à la chaleur de ma peau, posant de force mes mains en des endroits où la bienséance ne le permettait pas, se pâmant du bien être que leur procurait mon contact, m’embrassant avec passion de leurs lèvres glacées.
On pouvait observer dans leurs cous et en d’autres endroits habituellement invisibles mais qui étaient offerts à ma vision bien malgré moi, la présence de morsures violacées.
Je ne tardais pas à constater que tous étaient marqués de la sorte.
Des gouttes de sang perlaient encore à certaines de ces blessures, et je vis avec horreur le roi se pencher sur son voisin pour se repaître du liquide vital, en se passant la langue sur les lèvres.

L’entrée d’un nouveau personnage mit fin aux piaillements et aux comportements scandaleux de mes compagnons de table, qui firent silence et se tournèrent extatiques vers celui qui était manifestement devenu leur raison de vivre.

Pour la première fois, le maître m’apparut.

Je ne vis tout d’abord qu’un énorme colosse au crâne rasé, à la musculature impressionnante, et à la peau couleur de craie. Puis mon regard tomba sur la créature qu’il portait avec déférence, un être chétif, d’une blancheur incroyable ; la peau de la couleur de la neige la plus pure.
Nu comme un ver, il ne paraissait ni male ni femelle de par l’absence d’organes génitaux entre ses jambes et arborait des cheveux d’un roux détonnant.
L’ensemble de ce qui restait de la cour de Louis le bon se jetèrent aux pieds de cette chose qui ne leur renvoyait pourtant que mépris à travers son regard. Tous lui présentaient leurs gorges le suppliant de lui offrir « son baiser ».

Les pupilles de ses yeux étaient d’un rouge carmin extraordinaire qui, lorsqu’elles se fixèrent sur moi, me laissèrent imaginer un âge incommensurable.
Cet être venait du fond des siècles, des abysses du temps, et ce que je devinais également, alors que mes yeux n’arrivaient plus à s’en détacher, c’est sa nature malfaisante : il était l’essence du mal.

Je me mis à hurler comprenant l’irrévocable destin qui m’attendait au moment où deux autres géants se saisirent de moi et me poussèrent vers le Maître, m’arrachant mon pourpoint de laine pour offrir mon cou veineux.
Le vieillard souriait dévoilant deux canines proéminentes. On me maintint la tête de coté jusqu’à ce que je sentisse ses dents mordre ma jugulaire.

Je ne sais, si jamais personne n’eut l’occasion de décrire ce qui se passe dés lors qu’un vampire, une créature comme mon Maître, vous offre son baiser.

A ce moment là vous ne faites plus qu’un avec lui, vous touchez du doigt l’éternité, cet ultime cadeau qu’il a le pouvoir de vous offrir, un état auquel tant d’hommes aspirent.

C’est un moment de pur extase.

Vous voyez aux travers de ces yeux son histoire, et à coté, votre courte vie ne paraît rien, il a vécu et vu tant de choses.

Sur une lointaine planète, il avait été un prince roumain qui s’étant vu ravir son amour, s’était détourné d’un Dieu en bafouant volontairement ses commandements, et qui l’avait maudit en retour.

De par son parjure, il s’était vu offrir un destin diabolique.

Exilé du monde lorsque l’astre diurne y brillait, il s’était forgé un empire une fois la nuit tombée, s’alimentant du sang d’hommes et de femmes qui lui offraient leurs services espérant une place un jour à ses cotés.
Il était mort, le temps n’avait plus prise sur lui.

Un jour, après plusieurs siècles de solitude, il avait rencontré Carmilla Harker.

Devenu asexué, il avait cependant crû éprouver un sentiment qu’il avait cru pourtant ensevelit à jamais : l’Amour.

Il lui offrit l’éternité, en lui faisant boire de son sang altéré, et connu pour la seconde fois l’ironie divine.

Carmilla devînt folle, et fit absorber son hémoglobine transcendée tant et si bien, que les morts furent bientôt plus nombreux sur Terre que les vivants.

Le secret de l’éternité n’était plus l’apanage du seul Maître, les vampires se reproduirent de façon exponentielle, jusqu’à la guerre fratricide pour contrôler la ressource du précieux liquide vermeil.

Pour survivre, il fallut partir vers les étoiles.
Libéré du temps, le vampire ne craignait pas les distances, il trouva d’autres planètes humanoïdes, sur lesquelles l’histoire originelle se répéta sans cesse…


Le maître a ainsi écumé, plusieurs planètes, avant d’arriver sur notre monde dont il repartira une fois semées les graines de sa malédiction, à moins que ce ne soit avant tout pour fuir une horde de ces « enfants » illégitimes » voulant s’approprier l’endroit. Carmilla ayant par ailleurs jurer sa perte.

Peut être aurais-je la chance, comme je le souhaite de tout mon cœur, d’être parmi ceux qui seront du voyage, car le Maître est désormais si âgé, qu’il lui faut être protégé durant son sommeil, dont il s’éveille de plus en plus affaiblit jusqu’à ce qu’il ingère le sang qui le vivifie et prolonge son existence.

Le Maître aime beaucoup que je lui raconte mes histoires et autres légendes, selon ces propres dires je le divertie. Peut être aurais-je l’infime honneur comme par exemple Stan Rice, un de ces gardes du corps, de devenir à mon tour un vampire éternel.
Quant bien même cela ne devait pas arriver, cela resterait un honneur que de vivre un moment à ses cotés à le servir.

En son hommage j’ai écris ces quelques feuillets.

Il a paru enchanté hier au soir lorsque je lui en ai parlé et m’a invité à continuer ce récit après m’avoir offert son baiser.
Les premières lignes déjà écrites lui sont parues indociles, mais il m’a dit en souriant de ne rien changer.
Ce que j’ai fait pour lui faire plaisir.

Il est mon Maître, il est tout pour moi.


Théobald Troubadour »

Document trouvé le 28 décembre 20256 sur un squelette de la planète Shambleau par le Sergent Whedon, du 5ème régiment des troupes aérospatiales lors d’une « mission de nettoyage ».

En attendant que je la reprenne... :oops:
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MessagePosté le : 25 Jan 2004 18:32
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Tu arrives à créer une ambiance prenante, même si le début m'a paru un peu long. Ton écriture est plutôt agréable à lire. Tu exploites bien les zones d'ombre, c'est appréciable dans les courts récits. Seulement je suis un peu déçu par le final... et puis j'avoue que j'aurais préféré que ce soit un peu plus gore ! :evil:
Cela dit c'est pas mal du tout... Surtout continue d'écrire :top:


Pour "dernier conte", tu sais déjà ce que j'en pense, j'attends maintenant la version longue ;)
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MessagePosté le : 25 Jan 2004 18:33
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merci Aede :oops:

J'apprend :oops:
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Oui, et tu fais bien... et puis, pour ton jeune âge, tu te débrouilles pas mal du tout... L'écriture est un exercice périlleux.
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