-Seule ta sœur pourra te révéler qui tu es. Si tu n’acceptes pas son don, tu mourras.
Ce n’était pas Loïcadamus qui parlait : la voix grave et sourde qui s’échappait de sa bouche semblait résonner dans la clairière comme si elle provenait d’un passé si lointain que même les montagnes n’avaient pas connu. Vamp restait immobile, interdite. Ces paroles l’avaient traversée comme un vent glacial, la laissant gelée et comme pétrifiée. Son cœur qui s’était arrêté de battre quelques secondes reprit un rythme erratique, permettant à son sang d’irriguer à nouveau ses membres et atténuant le froid qui l’avait saisie.
Le devin détourna son regard de la mercenaire et se retourna avec raideur vers Com. Son corps était tendu comme la corde d’un arc et ses gestes étaient malhabiles comme-ci la voix qui s’échappait de la bouche du devin ne contrôlait qu’imparfaitement son corps. Com le regardait, hypnotisé par ses yeux dont l’aspect étoilé lui rappelait la sphère offerte par Saule. Il sortit de sa transe lorsque la voix mystérieuse retentit à nouveau.
-Ton présent les sauvera mais il te changera.
Dès qu’il eut prononcé ses mots, le regard de Loïcadamus retrouva sa couleur noisette originelle. Il s’effondra sur le sol, évanoui. Com et Vamp, incapables de réagir, se regardaient, un peu perdus, ne sachant que penser de cette étrange expérience.
Eparcyl s’approcha lentement du devin et se mettant sur ses genoux, elle lui lécha tendrement le visage de sa langue râpeuse. Retrouvant enfin ses esprits, Vamp se leva et avec l’aide de Com, installa plus confortablement Loïcadamus qui semblait plongé dans un sommeil profond. Ils le placèrent près du feu, une couverture sur le corps et une sacoche sous sa tête. Inquiète de son immobilité, Vamp se pencha sur le devin, posa sa main sur son épaule, et essaya de le sortir de son sommeil en le secouant légèrement. Eparcyl qui avait suivi Vamp, lui donna alors un fort coup de tête sur l’épaule. Surprise, elle la regarda et croisa le regard implorant de la mule qui semblait lui dire « laissez le en paix ». Vamp reposa alors son regard sur le devin. Sa respiration semblait régulière et il commençait même à laisser échapper de petits ronflements. La meilleure solution était peut-être de le laisser dormir. Elle se leva et laissa passer Eparcyl qui s’allongeant sur le sol, colla son dos contre son maître. Celui-ci, toujours endormi, se tourna alors vers sa mule et passant son bras sur son encolure, enfouit son visage dans sa crinière et poussa un petit soupir de satisfaction.
Vamp s’assit de l’autre côté du feu et contemplant la mule et le devin se demanda qui ils pouvaient bien être en réalité. Eparcyl était loin d’être une mule ordinaire et sa façon de se comporter avec son maître semblait plus humaine qu’animale. Quand au devin, même si Vamp demeurait persuadée qu’il n’était qu’un charlatan, la scène à laquelle elle avait assisté continuait de la troubler profondément. Elle se tourna vers Com qui l’avait rejoint. Lui aussi était pensif, les sourcils froncés et le regard perdu dans les flammes. Elle se décida à rompre le silence.
-Tu penses que c’était lui qui parlait ?
Le regard de Com quitta comme à regrets les flammes et se posa sur Vamp. Malgré le ton faussement naturel qu’elle avait employé, il voyait bien qu’elle était aussi troublée et indécise que lui sur ce qu’ils avaient vu et entendu. Il ferma les yeux, essayant de revoir aussi précisément que possible la scène, le moment où le devin avait semblé disparaître pour être remplacé par quelquechose de complètement inconnu.
-Non, je ne crois pas. J’ai senti une présence différente, inhumaine.
Vamp soupira.
-J’ai eu l’impression que cette entité était plus vieille que le monde et qu’elle voyait tout. Tout ce que nous étions, tout ce que nous avons fait. Et surtout, tout ce que nous serons et deviendrons.
Com ne répondit pas tout de suite, entendant à nouveau les paroles du devin. Leur sens lui échappait pour le moment mais il avait le sentiment qu’il ne finirait pas sa vie comme il l’espérait, retiré dans une ferme tranquille non loin de Miniun, recevant parfois quelques vieux amis, évoquant avec nostalgie les batailles, victoires ou défaites, auxquelles il avait participé. Quand à la prédiction concernant Vamp, elle lui échappait complètement.
-Tu as une sœur ? lui demanda-t-il.
-Moi ? Non, répondit Vamp étonnée. Je n’entends rien à ce galimatias … Tu parles d’un oracle. Si on ne le comprend qu’après qu’il se soit produit, à quoi sert-il ?
Com la regarda, un sourire naissant sur ces lèvres. Il commençait à connaître Vamp. Elle ne craignait ni homme ni bête sur terre mais la magie l’effrayait car elle ne savait pas comment la gérer. En général, devant un phénomène magique ou mystérieux, elle répondait par la bravade et l’humour, cachant ainsi ses angoisses.
-Com ?
-Oui ?
-Si cela ne te dérange pas, je préférerais que nous ne parlions pas aux autres de ce qui vient de se passer.
-D’accord.
Lorsque Hunter et Ma’non revinrent de leur chasse, accompagnés de Tram qui avait ramassé des baies et du bois, ils trouvèrent Com et Vamp près du feu qui discutaient tranquillement à voix basse.