ludo
Mage Supérieur
Inscrit le : 18 Avr 2003
Messages : 670
Localisation : Vernouillet
Séries favorites : The shield/ Lost/ urgences/ BTVS/ desperate housewives
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Séries favorites : The shield/ Lost/ urgences/ BTVS/ desperate housewives
Bientôt dans votre ville…
De grandes affiches colorées avaient fleuri aux alentours des hautes tours de béton de la ville grise quelques jours auparavant.
C’était l’été, le mois d’août.
Les HLM écrasées par la chaleur voyaient leurs quelques occupants diurnes somnoler à leurs fenêtres, rêvant au mot « vacances » ; pensant aux autres locataires « chanceux » qui passaient du bon temps « au pays » et qui reviendraient à la fin du mois, pleins de forces pour combattre ce quotidien dont ils étaient restés prisonniers.
Ce quotidien semblait les entraîner pour les engloutir insidieusement dans une léthargie qui ne faisait que s’accentuer avec la moiteur étouffante qui persistait même à la tombée de la nuit. Une hébétude habituelle dont les quelques ouvriers et salariés ne sortaient qu’en fin d’après-midi alors qu’ils rentraient enfin chez eux. Leur liberté retrouvée les incitait alors à chasser ce « sommeil poisseux » sous une douche fraîche pendant que les femmes s’activaient à leur mitonner un bon repas pour leur faire oublier une journée épuisante et déprimante. On entendait enfin quelques rires, parfois bruyants, dans la cité dortoir alors que s’échappaient des appartements grands ouverts des odeurs acres mêlant épices, aromates et autres senteurs rappelant pour le temps du repas les parfums enivrants du pays ».
Une fois les odeurs de nourritures dissipées, les écrans de télé s’allumaient à plein volume.
« Alors que la nuit tombait, on attaquait la seconde partie de soirée, le moment où les premiers gosses livrés à eux-mêmes toute la journée étaient définitivement rappelés à leurs foyers ».
Aux cris enfantins succédaient les braillements de jeunes adultes excités par l’ennui et le désœuvrement.
Aboiements de canidés échaudés, bris de bouteilles, ricanements, rougeoiements de cigarette, odeur de shit mélangée à celles des détritus. Morceaux de rap s’échappant d’un poste de radio déglingué posé à même le trottoir.
L’ambiance serait sans doute toute autre ce soir.
Ce n’était pas sans une certaine frénésie que David avait entendu puis aperçut ce jour-là un vieux poids lourd, attelé de deux remorques toutes aussi bringuebalantes, sortir de l’autoroute et s’engager dans la cité pour venir stationner sur la place, au pied des habitations affreusement verticales où il habitait avec sa mère.
Il était dehors depuis longtemps, profitant du bien être que peut apporter la solitude, scrutant « son territoire » du haut des toits. Il aimait voir le soleil rouge sang se lever à l’horizon.
Jeune veuve, sa mère partait très tôt en direction d’un travail mal payé et très éloigné, pour ne rentrer que très tard le soir.
C’était temporaire lui disait-elle, ayant manifestement mauvaise conscience de laisser ainsi son enfant de 13 ans tout au long de la journée. Il ne lui en voulait pas, elle faisait de son mieux.
En fin de matinée, avec quelques autres galopins, ils s’étaient approchés du véhicule intrus dont les flancs arboraient la même inscription que celle des affiches cartonnées accrochées au hasard aux feux rouges ou sur les lampadaires des avenues avoisinantes : « Musée de l’horreur ».
Ne voyant personne dans les environs, ils s’enhardirent jusqu’à essayer d’ouvrir une des ridelles du camion pour essayer de voir avant l’heure (« le musée ouvrira ses portes à minuit ») un des « trésors» énumérés sous l’accroche : vestiges de créatures maléfiques et fantastiques, mais aussi des pièces à conviction de monstres contemporains, de tueurs en série…
Au moment où l’un d’eux commençait victorieux à grimper à l’arrière du poids lourd, il fut accueilli par un molosse surgi soudain du fond de la remorque en aboyant furieusement…
Les gamins s’éparpillèrent, à l’exception de David.
Le jeune garçon vit avec frayeur les mâchoires du gros doberman s’ouvrir et ses dents se planter dans l’avant bras bronzé de son camarade de jeu qui hurlait en voyant son sang s’en échapper. La bête paraissait déterminée à le dévorer.
Tétanisé, il se rapprocha néanmoins espérant de façon inconsciente venir en aide à Ahmed. Il fut bousculé sans ménagement par un individu qui, armé d’une canne, fit reculer le chien de garde en lui donnant plusieurs coups sur le museau…
Au même moment, une brute épaisse descendit lentement de la cabine avant pour récupérer le cerbère… Ce dernier, une fois le « monstre enragé » renfermé dans la caisse du camion, s’excusa du bout des lèvres avec un fort accent indéterminable.
- Pas rentrer dans le camion, conclut-il avant de s’en aller.
L’homme à la canne, un des vieux qui passait sa journée sur un des bancs de la cité, le regarda partir avec dégoût et cracha au sol, marmonnant en polonais, sa langue natale… Il regarda la plaie sur le bras de l’adolescent blessé en grimaçant :
-On va aller à l’hôpital ça n’est pas joli, joli…
Effectivement, l’avant bras avait pris une couleur violacée à l’endroit de la morsure…
- Ca pue là-dedans, dit Ahmed en sanglotant.
Le vieillard se tourna alors vers David :
- Ne t’approche pas de ce musée, il est mauvais !
Le jeune homme haussa les épaules, montrant ainsi son mépris vis-à-vis des conseils prodigués par les adultes. Néanmoins, il était loin de considérer l’avertissement comme absurde. Le chauffeur du camion ne lui était pas apparu non plus particulièrement rassurant.
Le teint pâle, les yeux vides, il exhalait une odeur désagréable qui semblait émaner de sa personne même plutôt que des habits tachés et crasseux qu’il arborait. David se rassura en se disant qu’il devait être saoul, et que le vacarme l’avait réveillé alors qu’il cuvait son vin. Mais son impassibilité n’avait rien d’humain…
Le vieillard réitéra son conseil alors qu’il s’éloignait pour rejoindre les autres gamins qui attendaient un peu plus loin en retrait.
La fin d’après-midi se déroula sans autres incidents. On ne vit pas revenir le vieillard ni Ahmed, et à l’heure du goûter, alors que la chaleur commençait à faiblir, le chauffeur accompagné d’une dizaine de comparses du même genre commencèrent à monter un énorme chapiteau, sans que personne ne vienne les déranger ; enfant ou bien même animal en liberté les évitant avec prudence.
- Le frère d’Ahmed, il va aller leur péter la gueule aux forains quand il va rentrer de l’usine ce soir, glissa Nadia.
- Il a intérêt à venir à plusieurs, lui répondit David, observant lesdits gens du voyage en frissonnant.
- C’est vrai qu’ils paraissent mastoc, dit Florian en faisant claquer une bulle de chewing-gum, et se relevant pour aller remplir sa bouteille d’eau à la borne incendie qu’ils avaient ouverte et dont l’eau se répandait sans fin dans le caniveau.
- Il fait chaud ! Tu m’en donnes ?, lui demanda Nadia.
- Ils boivent pas, remarqua David.
Ca faisait bientôt deux heures qu’ils s’activaient à monter leur tente…
Un peu plus tard, alors que ses camarades étaient rentrés dîner, et que les manutentionnaires suspendaient des guirlandes électriques du sommet vers le bas de leur installation, David, adossé à son balcon face au musée tout en attendant le retour de sa mère qui n’arriverait pas avant deux heures, fut témoin d’une scène incroyable.
Le chauffeur du camion, arrimé en haut du mat central, tira brutalement sur une des rallonges constellées d’ampoules multicolores qui s’était retrouvée coincée un peu plus bas, arrachant par la violence du geste le doigt d’un de ses collaborateurs, amorphe, qui la tenait à l’autre bout.
Il n’y eut aucun cri, à peine si l’ouvrier avait l’air de s’en être rendu compte avant de se faire invectiver par son « chef » qui lui ordonna de ramasser le morceau qu’il avait perdu.
Le gars glissa son index mutilé dans la poche de son jean, le tachant de sang par la même occasion, tout en gardant un air placide.
David attendit que la nausée, qui l’avait saisi en voyant la scène, passe, et se précipita sur le téléphone afin d’appeler les parents d’Ahmed. La mère de ce dernier, en pleurs, finit par lui répondre et expliqua, dans un français plus qu’approximatif, que le garçon était resté à l’hôpital. Son cas s’était aggravé : son bras avait été atteint par la gangrène, il avait une très forte fièvre et les médecins paraissaient dépassés.
Quelque chose n’allait décidément pas avec ce musée, pensa le garçon.
La nuit était maintenant tombée et la place circulaire, éclairée par la lumière blafarde des rampes lumineuses du chapiteau, conservait un aspect lugubre, alors même que des enceintes diffusaient une musique d’orgue de barbarie.
Sa mère, rentrée un peu plus tôt, s’était endormie, écrasée de fatigue, devant la télévision.
En sortant de la cage d’escalier, David remarqua un attroupement devant ce qui semblait être l’entrée pour accéder au musée. La bande du frère d’Ahmed était là, au grand complet, ne manquait que son leader, sans doute resté à l ‘hôpital au chevet du blessé.
D’autres adolescents étaient en retrait attendant le début du spectacle, le moment où la soirée déraperait définitivement. Nombre d’adultes regardait fiévreusement la scène en surplomb de leurs fenêtres.
Une voiture de police stationnait à vue.
Tous patientaient en regardant un bateleur haranguer la foule quant aux merveilles dissimulées sous le chapiteau, et qui à l’occasion distribuait des billets gratuits.
L’individu qui ressemblait au Baron Samedi, avec sa longue veste noir dépenaillée et son visage maculé de fard blanc, était accompagné d’autres saltimbanques tout aussi macabres : cracheurs de feu déguisés en démons cornus ou avaleurs de sabre incroyablement insensibles qui s’enfonçaient des lames dans la gorge de façon véritablement impassible.
- Du jamais vu mesdames et messieurs ! Entrez ! Entrez !, criait le bonimenteur en indiquant la caisse où se tenait un Frankenstein au pied duquel on pouvait voir le doberman assoupi.
La patrouille du commissariat partit peu avant minuit. Le grand frère d’Ahmed ne viendrait apparemment plus et ses potes paraissaient plus décidés à profiter de l’ambiance électrique, certainement pour parvenir à leurs fins avec les filles de la cité et des environs accrochées à leurs bras, qu’à vraiment en découdre avec les forains.
Après tout, nombre d’accidents du genre avait déjà eu lieu dans les caves où certains élevaient des pitbulls malgré l’interdiction de le faire. On ne peut pas rendre responsable des animaux dressés pour défendre un territoire.
La racaille avait fini par trouver l’ambiance marrante, les gonzesses avaient les chocottes et se laissaient peloter. Ils étaient assez nombreux à faire la queue pour entrer dans le musée. C’était une bonne soirée.
Les adultes étaient partis se coucher.
David se glissa furtivement du coté du camion manifestement abandonné : trop effrayé pour faire face au contenu du musée, il tenait néanmoins à prouver sa témérité, et pourquoi pas en ramenant un petit souvenir de ce qu’il trouverait à l’intérieur ? Ses copains seraient enthousiastes !
Il tira avec précaution les élastiques qui tenaient la bâche au camion, afin de se faire une ouverture, puis prenant appui sur la roue arrière, il grimpa sur le bord de la caisse du véhicule pour basculer maladroitement dedans.
Il avait bien senti une odeur désagréable, mais une fois à l’intérieur, celle-ci le saisit à la gorge au point de le faire suffoquer.
Un jour, il avait assisté à l’accouchement de chiots morts nés : c’était l’odeur de la mort, de la putréfaction.
Les larmes aux yeux, toussant tout ce qu’il pouvait, se retenant pour ne pas vomir, David réussit à allumer la lampe de poche dont il s’était outillé pour son escapade.
Le jeune garçon faillit la lâcher aussitôt.
Au centre du faible rayon de lumière (il n’avait pas vérifié les piles), il vit un cercueil, et tout autour, ce qui semblait être des cadavres humains.
La vision et le bruit des asticots s’engraissant des chairs nécrosées, eurent raison de lui, et David rendit bruyamment son dîner en se détournant de la scène.
Secoué de spasmes, il se précipita à reculons pour sortir du charnier, trébuchant sur les morceaux de viandes épars, lorsqu’il vit avec horreur le couvercle de la bière se soulever. Une main aux doigts effilés et griffue le projeta sur le coté.
Dans le faisceau de sa torche, dirigé vers le « phénomène », apparut bientôt un homme au visage totalement imberbe et d’une pâleur crayeuse, qui, le voyant, sourit révélant des canines de vampire.
Quant bien même il aurait voulu hurler de frayeur, David n’y serait pas parvenu, la gorge en feu, essuyant instinctivement la bile qui suintait de ses lèvres.
Le monstre avait capté son regard, et l’adolescent n’arrivait plus à le détacher des iris jaunâtres de la créature qui avançait sur lui.
- Que le spectacle commence !
Des hurlements s’élevèrent du chapiteau, d’où la phrase venait de résonner.
- Mes « petits » vont s’amuser un peu, s’alimenter, puis m’amèneront un peu de sang frais. C’est la même routine depuis des centaines d’années, expliqua d’une voix d’outre-tombe le vampire.
- Il faut les excuser, les morts vivants ne sont pas très soigneux, ajouta t-il en écartant les bras pour expliquer les cadavres en décomposition.
- Mais, arriva à balbutier David, il y a la police.
Le prédateur pouffa de rire. Sa proie s’en trouva encore plus tétanisée.
- Nous choisissons consciencieusement nos « terrains de chasse », nous nourrissant de ce que la société considère comme sa lie. En disant cela, il tendit la main vers le visage du garçon pour lui caresser la joue tout en se pourléchant les babines.
- Demain nous serons loin, les disparus seront déclarés « fugueurs », ceux qui en réchapperont par chance, c’est fort improbable, comme des drogués victimes d’un mauvais trip, « the show must go on » conclut t-il en écartant nerveusement le col du sweat de David.
Un grésillement.
Le monstre venait de se blesser contre la chaîne en or bénie que David tenait de sa grand-mère. Il hurla en contemplant sa main dont montaient des volutes de fumée, perdant par la même occasion le contrôle hypnotique qu’il exerçait sur celui qu’il s’apprêtait à mordre.
David se jeta par le trou par lequel il avait pénétré dans le camion, atterrissant brutalement sur le sol bitumé de la place.
Derrière lui, il entendit la ridelle du camion céder à un coup de pied brutal de l’émule de Dracula, dont la silhouette ne fut pas longue à le surplomber.
- Tu es faible, affirma t-il, ton colifichet ne te protégera pas longtemps, je t’obligerai à le retirer toi-même et à supplier mon baiser.
David ferma les yeux aussi fort qu’il le put, essayant de faire abstraction des cris et du « remue ménage » qui venaient du « musée des horreurs ».
Il sentait du sang couler de son front. Il entendit soudain une voiture arriver au loin, et il se mit à espérer…
Un espoir fou…
Une "nouvelle" que j'ai déjà "édité" sur ED Forum, mais qui a disparu lors de son dernier "déménagement" . J'en ai discuté l'autre jour avec Rowan qui à l'époque me l'avait gentiment corrigé...
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De grandes affiches colorées avaient fleuri aux alentours des hautes tours de béton de la ville grise quelques jours auparavant.
C’était l’été, le mois d’août.
Les HLM écrasées par la chaleur voyaient leurs quelques occupants diurnes somnoler à leurs fenêtres, rêvant au mot « vacances » ; pensant aux autres locataires « chanceux » qui passaient du bon temps « au pays » et qui reviendraient à la fin du mois, pleins de forces pour combattre ce quotidien dont ils étaient restés prisonniers.
Ce quotidien semblait les entraîner pour les engloutir insidieusement dans une léthargie qui ne faisait que s’accentuer avec la moiteur étouffante qui persistait même à la tombée de la nuit. Une hébétude habituelle dont les quelques ouvriers et salariés ne sortaient qu’en fin d’après-midi alors qu’ils rentraient enfin chez eux. Leur liberté retrouvée les incitait alors à chasser ce « sommeil poisseux » sous une douche fraîche pendant que les femmes s’activaient à leur mitonner un bon repas pour leur faire oublier une journée épuisante et déprimante. On entendait enfin quelques rires, parfois bruyants, dans la cité dortoir alors que s’échappaient des appartements grands ouverts des odeurs acres mêlant épices, aromates et autres senteurs rappelant pour le temps du repas les parfums enivrants du pays ».
Une fois les odeurs de nourritures dissipées, les écrans de télé s’allumaient à plein volume.
« Alors que la nuit tombait, on attaquait la seconde partie de soirée, le moment où les premiers gosses livrés à eux-mêmes toute la journée étaient définitivement rappelés à leurs foyers ».
Aux cris enfantins succédaient les braillements de jeunes adultes excités par l’ennui et le désœuvrement.
Aboiements de canidés échaudés, bris de bouteilles, ricanements, rougeoiements de cigarette, odeur de shit mélangée à celles des détritus. Morceaux de rap s’échappant d’un poste de radio déglingué posé à même le trottoir.
L’ambiance serait sans doute toute autre ce soir.
Ce n’était pas sans une certaine frénésie que David avait entendu puis aperçut ce jour-là un vieux poids lourd, attelé de deux remorques toutes aussi bringuebalantes, sortir de l’autoroute et s’engager dans la cité pour venir stationner sur la place, au pied des habitations affreusement verticales où il habitait avec sa mère.
Il était dehors depuis longtemps, profitant du bien être que peut apporter la solitude, scrutant « son territoire » du haut des toits. Il aimait voir le soleil rouge sang se lever à l’horizon.
Jeune veuve, sa mère partait très tôt en direction d’un travail mal payé et très éloigné, pour ne rentrer que très tard le soir.
C’était temporaire lui disait-elle, ayant manifestement mauvaise conscience de laisser ainsi son enfant de 13 ans tout au long de la journée. Il ne lui en voulait pas, elle faisait de son mieux.
En fin de matinée, avec quelques autres galopins, ils s’étaient approchés du véhicule intrus dont les flancs arboraient la même inscription que celle des affiches cartonnées accrochées au hasard aux feux rouges ou sur les lampadaires des avenues avoisinantes : « Musée de l’horreur ».
Ne voyant personne dans les environs, ils s’enhardirent jusqu’à essayer d’ouvrir une des ridelles du camion pour essayer de voir avant l’heure (« le musée ouvrira ses portes à minuit ») un des « trésors» énumérés sous l’accroche : vestiges de créatures maléfiques et fantastiques, mais aussi des pièces à conviction de monstres contemporains, de tueurs en série…
Au moment où l’un d’eux commençait victorieux à grimper à l’arrière du poids lourd, il fut accueilli par un molosse surgi soudain du fond de la remorque en aboyant furieusement…
Les gamins s’éparpillèrent, à l’exception de David.
Le jeune garçon vit avec frayeur les mâchoires du gros doberman s’ouvrir et ses dents se planter dans l’avant bras bronzé de son camarade de jeu qui hurlait en voyant son sang s’en échapper. La bête paraissait déterminée à le dévorer.
Tétanisé, il se rapprocha néanmoins espérant de façon inconsciente venir en aide à Ahmed. Il fut bousculé sans ménagement par un individu qui, armé d’une canne, fit reculer le chien de garde en lui donnant plusieurs coups sur le museau…
Au même moment, une brute épaisse descendit lentement de la cabine avant pour récupérer le cerbère… Ce dernier, une fois le « monstre enragé » renfermé dans la caisse du camion, s’excusa du bout des lèvres avec un fort accent indéterminable.
- Pas rentrer dans le camion, conclut-il avant de s’en aller.
L’homme à la canne, un des vieux qui passait sa journée sur un des bancs de la cité, le regarda partir avec dégoût et cracha au sol, marmonnant en polonais, sa langue natale… Il regarda la plaie sur le bras de l’adolescent blessé en grimaçant :
-On va aller à l’hôpital ça n’est pas joli, joli…
Effectivement, l’avant bras avait pris une couleur violacée à l’endroit de la morsure…
- Ca pue là-dedans, dit Ahmed en sanglotant.
Le vieillard se tourna alors vers David :
- Ne t’approche pas de ce musée, il est mauvais !
Le jeune homme haussa les épaules, montrant ainsi son mépris vis-à-vis des conseils prodigués par les adultes. Néanmoins, il était loin de considérer l’avertissement comme absurde. Le chauffeur du camion ne lui était pas apparu non plus particulièrement rassurant.
Le teint pâle, les yeux vides, il exhalait une odeur désagréable qui semblait émaner de sa personne même plutôt que des habits tachés et crasseux qu’il arborait. David se rassura en se disant qu’il devait être saoul, et que le vacarme l’avait réveillé alors qu’il cuvait son vin. Mais son impassibilité n’avait rien d’humain…
Le vieillard réitéra son conseil alors qu’il s’éloignait pour rejoindre les autres gamins qui attendaient un peu plus loin en retrait.
La fin d’après-midi se déroula sans autres incidents. On ne vit pas revenir le vieillard ni Ahmed, et à l’heure du goûter, alors que la chaleur commençait à faiblir, le chauffeur accompagné d’une dizaine de comparses du même genre commencèrent à monter un énorme chapiteau, sans que personne ne vienne les déranger ; enfant ou bien même animal en liberté les évitant avec prudence.
- Le frère d’Ahmed, il va aller leur péter la gueule aux forains quand il va rentrer de l’usine ce soir, glissa Nadia.
- Il a intérêt à venir à plusieurs, lui répondit David, observant lesdits gens du voyage en frissonnant.
- C’est vrai qu’ils paraissent mastoc, dit Florian en faisant claquer une bulle de chewing-gum, et se relevant pour aller remplir sa bouteille d’eau à la borne incendie qu’ils avaient ouverte et dont l’eau se répandait sans fin dans le caniveau.
- Il fait chaud ! Tu m’en donnes ?, lui demanda Nadia.
- Ils boivent pas, remarqua David.
Ca faisait bientôt deux heures qu’ils s’activaient à monter leur tente…
Un peu plus tard, alors que ses camarades étaient rentrés dîner, et que les manutentionnaires suspendaient des guirlandes électriques du sommet vers le bas de leur installation, David, adossé à son balcon face au musée tout en attendant le retour de sa mère qui n’arriverait pas avant deux heures, fut témoin d’une scène incroyable.
Le chauffeur du camion, arrimé en haut du mat central, tira brutalement sur une des rallonges constellées d’ampoules multicolores qui s’était retrouvée coincée un peu plus bas, arrachant par la violence du geste le doigt d’un de ses collaborateurs, amorphe, qui la tenait à l’autre bout.
Il n’y eut aucun cri, à peine si l’ouvrier avait l’air de s’en être rendu compte avant de se faire invectiver par son « chef » qui lui ordonna de ramasser le morceau qu’il avait perdu.
Le gars glissa son index mutilé dans la poche de son jean, le tachant de sang par la même occasion, tout en gardant un air placide.
David attendit que la nausée, qui l’avait saisi en voyant la scène, passe, et se précipita sur le téléphone afin d’appeler les parents d’Ahmed. La mère de ce dernier, en pleurs, finit par lui répondre et expliqua, dans un français plus qu’approximatif, que le garçon était resté à l’hôpital. Son cas s’était aggravé : son bras avait été atteint par la gangrène, il avait une très forte fièvre et les médecins paraissaient dépassés.
Quelque chose n’allait décidément pas avec ce musée, pensa le garçon.
La nuit était maintenant tombée et la place circulaire, éclairée par la lumière blafarde des rampes lumineuses du chapiteau, conservait un aspect lugubre, alors même que des enceintes diffusaient une musique d’orgue de barbarie.
Sa mère, rentrée un peu plus tôt, s’était endormie, écrasée de fatigue, devant la télévision.
En sortant de la cage d’escalier, David remarqua un attroupement devant ce qui semblait être l’entrée pour accéder au musée. La bande du frère d’Ahmed était là, au grand complet, ne manquait que son leader, sans doute resté à l ‘hôpital au chevet du blessé.
D’autres adolescents étaient en retrait attendant le début du spectacle, le moment où la soirée déraperait définitivement. Nombre d’adultes regardait fiévreusement la scène en surplomb de leurs fenêtres.
Une voiture de police stationnait à vue.
Tous patientaient en regardant un bateleur haranguer la foule quant aux merveilles dissimulées sous le chapiteau, et qui à l’occasion distribuait des billets gratuits.
L’individu qui ressemblait au Baron Samedi, avec sa longue veste noir dépenaillée et son visage maculé de fard blanc, était accompagné d’autres saltimbanques tout aussi macabres : cracheurs de feu déguisés en démons cornus ou avaleurs de sabre incroyablement insensibles qui s’enfonçaient des lames dans la gorge de façon véritablement impassible.
- Du jamais vu mesdames et messieurs ! Entrez ! Entrez !, criait le bonimenteur en indiquant la caisse où se tenait un Frankenstein au pied duquel on pouvait voir le doberman assoupi.
La patrouille du commissariat partit peu avant minuit. Le grand frère d’Ahmed ne viendrait apparemment plus et ses potes paraissaient plus décidés à profiter de l’ambiance électrique, certainement pour parvenir à leurs fins avec les filles de la cité et des environs accrochées à leurs bras, qu’à vraiment en découdre avec les forains.
Après tout, nombre d’accidents du genre avait déjà eu lieu dans les caves où certains élevaient des pitbulls malgré l’interdiction de le faire. On ne peut pas rendre responsable des animaux dressés pour défendre un territoire.
La racaille avait fini par trouver l’ambiance marrante, les gonzesses avaient les chocottes et se laissaient peloter. Ils étaient assez nombreux à faire la queue pour entrer dans le musée. C’était une bonne soirée.
Les adultes étaient partis se coucher.
David se glissa furtivement du coté du camion manifestement abandonné : trop effrayé pour faire face au contenu du musée, il tenait néanmoins à prouver sa témérité, et pourquoi pas en ramenant un petit souvenir de ce qu’il trouverait à l’intérieur ? Ses copains seraient enthousiastes !
Il tira avec précaution les élastiques qui tenaient la bâche au camion, afin de se faire une ouverture, puis prenant appui sur la roue arrière, il grimpa sur le bord de la caisse du véhicule pour basculer maladroitement dedans.
Il avait bien senti une odeur désagréable, mais une fois à l’intérieur, celle-ci le saisit à la gorge au point de le faire suffoquer.
Un jour, il avait assisté à l’accouchement de chiots morts nés : c’était l’odeur de la mort, de la putréfaction.
Les larmes aux yeux, toussant tout ce qu’il pouvait, se retenant pour ne pas vomir, David réussit à allumer la lampe de poche dont il s’était outillé pour son escapade.
Le jeune garçon faillit la lâcher aussitôt.
Au centre du faible rayon de lumière (il n’avait pas vérifié les piles), il vit un cercueil, et tout autour, ce qui semblait être des cadavres humains.
La vision et le bruit des asticots s’engraissant des chairs nécrosées, eurent raison de lui, et David rendit bruyamment son dîner en se détournant de la scène.
Secoué de spasmes, il se précipita à reculons pour sortir du charnier, trébuchant sur les morceaux de viandes épars, lorsqu’il vit avec horreur le couvercle de la bière se soulever. Une main aux doigts effilés et griffue le projeta sur le coté.
Dans le faisceau de sa torche, dirigé vers le « phénomène », apparut bientôt un homme au visage totalement imberbe et d’une pâleur crayeuse, qui, le voyant, sourit révélant des canines de vampire.
Quant bien même il aurait voulu hurler de frayeur, David n’y serait pas parvenu, la gorge en feu, essuyant instinctivement la bile qui suintait de ses lèvres.
Le monstre avait capté son regard, et l’adolescent n’arrivait plus à le détacher des iris jaunâtres de la créature qui avançait sur lui.
- Que le spectacle commence !
Des hurlements s’élevèrent du chapiteau, d’où la phrase venait de résonner.
- Mes « petits » vont s’amuser un peu, s’alimenter, puis m’amèneront un peu de sang frais. C’est la même routine depuis des centaines d’années, expliqua d’une voix d’outre-tombe le vampire.
- Il faut les excuser, les morts vivants ne sont pas très soigneux, ajouta t-il en écartant les bras pour expliquer les cadavres en décomposition.
- Mais, arriva à balbutier David, il y a la police.
Le prédateur pouffa de rire. Sa proie s’en trouva encore plus tétanisée.
- Nous choisissons consciencieusement nos « terrains de chasse », nous nourrissant de ce que la société considère comme sa lie. En disant cela, il tendit la main vers le visage du garçon pour lui caresser la joue tout en se pourléchant les babines.
- Demain nous serons loin, les disparus seront déclarés « fugueurs », ceux qui en réchapperont par chance, c’est fort improbable, comme des drogués victimes d’un mauvais trip, « the show must go on » conclut t-il en écartant nerveusement le col du sweat de David.
Un grésillement.
Le monstre venait de se blesser contre la chaîne en or bénie que David tenait de sa grand-mère. Il hurla en contemplant sa main dont montaient des volutes de fumée, perdant par la même occasion le contrôle hypnotique qu’il exerçait sur celui qu’il s’apprêtait à mordre.
David se jeta par le trou par lequel il avait pénétré dans le camion, atterrissant brutalement sur le sol bitumé de la place.
Derrière lui, il entendit la ridelle du camion céder à un coup de pied brutal de l’émule de Dracula, dont la silhouette ne fut pas longue à le surplomber.
- Tu es faible, affirma t-il, ton colifichet ne te protégera pas longtemps, je t’obligerai à le retirer toi-même et à supplier mon baiser.
David ferma les yeux aussi fort qu’il le put, essayant de faire abstraction des cris et du « remue ménage » qui venaient du « musée des horreurs ».
Il sentait du sang couler de son front. Il entendit soudain une voiture arriver au loin, et il se mit à espérer…
Un espoir fou…
Une "nouvelle" que j'ai déjà "édité" sur ED Forum, mais qui a disparu lors de son dernier "déménagement" . J'en ai discuté l'autre jour avec Rowan qui à l'époque me l'avait gentiment corrigé...
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