Arallu
Allez... je la poste finalement...
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Citation :
Fumer tue.
L'homme était d'âge mur et n'avait encore atteint son paroxisme de sagesse.
Il avait prétexté un patron envahissant et d'obscures heures supplémentaires pour s'extirper de la torpeur de son foyer mais la vérité était bien moins avouable... ne serait-ce qu'à lui même.
Ce n'était une fois de plus pas pour contenter un patron trop exigeant, ni même pour partager diverses histoires salaces autour d'un verre de vieux rouge comme l'avait imaginé sa tendre moitié dans un de ses "accès de paranoïa" qu'il laissait dans leur petit habitat de campagne sa chère famille, mais bien pour un rendez-vous galant...
Evidemment, s'il est des rendez-vous où l'homme se doit d'être à l'heure, ce sont bien ceux qui taraudent sa conscience, ou ce qui en fait office et qui lui rend impossible l'idée d'être incorrect envers deux êtres, deux idéaux chers à son cœur .
Et effectivement, il fut à l'heure, et même un peu en avance.
Pour patienter, il alluma machinalement une cigarette, inspirant à grandes bouffées comme témoin de son impatience et de sa nervosité grandissantes, comme à chaque grande étape de son apogée...
Elle arriva enfin, fort belle, d'un pas gracieux et détendu. Elle avait visiblement de l'affection pour notre individu mais on pouvait aussi lire dans son regard le ravissement à l'idée de pouvoir une nouvelle fois toucher à l'étendue de son pouvoir, faire de nouveau bafouer ses promesses éternelles à cet homme.
Ils se rejoinrent et pénétrèrent main dans la main dans la forêt dont l'orée avait été le lieu de leur première rencontre, alors qu'ils s'épanchaient de concert devant le fugace spectacle des reflets cuivrés d'un soleil renaissant sur l'étendue d'eau qui bordait le bois, et de tous leurs rendez-vous depuis lors.
Il se promenèrent ainsi longtemps, redécouvrant avec un émerveillement toujours neuf les lieux de leurs premières amours.
Puis ils s'embrassèrent, pour ne finalement faire plus qu'un sous l' oeil sage et bienveillant des hêtres centenaires. Puis, une fois leur désirs repus, se laissèrent choir sur l'herbe sèche qui constituait leur nid d'amour.
Après ce moment de douce béatitude, et toute bonne chose devant avoir une fin, ils se mirent en route pour rejoindre respectivement leur véhicule, les bras ballants.
Il s'alluma une nouvelle cigarette alors qu'ils fixaient ensemble les commodités de leur future prise de contact avant l'au-revoir final.
Une fois cette étape nécessaire terminée, il rejoint le siège de son auto, et , sous le regard de celle qu'il venait d'aimer, l'homme jeta virilement sur le sol son mégot incandescent, dans un dernier geste de fierté inconsciente, comme si cela pouvait encore avoir la moindre importance...
Il fit alors vrombir son moteur et pris à toute allure la direction qui le mènerait au plus proche marchand de fleurs, ressentant soudainement le besoin de prouver à son amour son attachement.
Il savait ce qu'il désirait, était pressé et le détour en fut bref... un bouquet de 25 roses rouge passion lui semblait suffisant pour expier son écart de conduite...
Après tout pensait-il à raison, tout le monde avait passé une bonne journée et la recherche de la vérité lui semblait un idéal suranné. L'homme n'avait à proprement parler pas de confession , oh il avait bien lu quelques textes et en avait tiré ses propres conclusions, notamment que la vérité apporte trop souvent la peine pour y attacher une importance primordiale.
Tandis qu'il pensait, sur la route du retour, il aperçut au loin de grosses volutes de fumée noire.
Son autre dulcinée n'avait aucune raison de ne pas garder le silence non plus, la situation lui convenait plutôt à ce qu'il avait cru comprendre...
Au fur et à mesure de sa progression les volutes se firent colonnes et le ciel perdait de son éclat, de sa superbe, brouillé par les cendres encore chaudes qui s'élevaient.
Et puis, le bois n'était pour ainsi dire pas fréquenté, il pourrait y être enterré des cadavres issus de crimes quelconques que personne ne s'en rendrait jamais compte, pensait-il, culpabilisant toujours pour cet acte dont il était pourtant coutumier, visiblement plus touché par ses lectures qu'il ne voulait se l'admettre.
Distrait par sa réflexion, il en avait oublié les profondes ténèbres qu'il avait maintenant rejoint et il haussa malgré le manque évident de visibilité la cadence, inquiet que le feu puisse être proche de sa maison et des siens.
Il arriva quelques instants plus tard, non sans mal, à destination et constata avec soulagement qu'aucune habitation n'avait été touchée. Rassuré, il s'approcha à pied de la source de ses récents tourments pour aller s'enquérir du déroulement des évènements.
Les secours présents sur place lui conseillèrent abruptement de quitter les lieux, il y avait eu un feu et il pouvait reprendre à tout moment avec le satané vent qu'il faisait.
L'homme, qui se doutait bien que tout ce remue-ménage ne pouvait provenir d'un raz de marée, se fit insistant.
Son interlocuteur, qui avait jusque là gardé son calme malgré la situation désespérante, lui dit agacé qu'on ne savait rien sur les causes de l'incendie et qu'il fallait circuler, que cela pouvait être dangereux.
L'homme acquiesca alors, s'arrêtant une dernière fois pour constater tristement la mort de son petit paradis, devenu brasier infernal en quelques minutes à peine...
Lassé, il retourna à sa voiture, prit le bouquet et frappa à sa porte.
Personne ne répondit.
Il prit alors machinalement son trousseau de clefs, en extirpa une et l'inséra dans la serrure de la vieille porte vermoulue qui scellait son chez-lui.
Il ouvrit et, hébêté, entendit un silence qui ne lui était point familier.
Sa petite fille adorée, d'habitude si prompte à lui sauter au cou, ne venait pas.
Sa femme non plus.
Il décida donc de s'asseoir, un peu pantois, reléguant son superbe cadeau à la place habituelle du pain sur la grande table du salon.
Le doute commençait à l'envahir, après tout, si elles n'avaient pas pour habitude de se promener en forêt, il n'était pas inimaginable qu'elles aient pour une malheureuse fois rangé leurs habitudes de côté...
Et où était-il lui, pendant ce temps ? Pendant que , qui sait, sa vie s'embrasait à quelques foulées du lieu de son crime. Le remord commença alors à ronger l'homme interieurement, comme si ce grouillant animal sommeillait en lui depuis toujours et n'attendait que le moment trop tardif de la perte pour enfin se réveiller, le réveiller...
L'homme reprit cependant ses esprits bien vite et se jeta littéralement sur son annuaire, martelant frénétiquement son téléphone avec l'énergie du fou qui n'a pas encore perdu tout espoir.
Il appela en premier sa belle-mère, il avait beau détester la famille de sa reine, la nécessité le poussait vers cette infâme sorcière qui lui avait si souvent mené la vie dure. Elle devait savoir, elle.
Malheureusement, il n'eut droit qu'au déplaisir immense de cette voix aigrie pas les années et la solitude.
L'inquiétude monta en lui au fil des appels.
Après qu'il eut épuisé cette ressource, désespéré, l'homme se résigna à rejoindre son lit vide, froid, convaincu que la seul chose à faire était d'attendre que se passent les évènements...
Le lendemain matin, il était encore seul...
Il jeta un regard à travers la fenêtre pour s'assurer de n'avoir pas rêvé, et la vision d'une étendue de pieux calcinés près du lac tant aimé le ramena à la triste réalité...
Il finit son paquet de cigarettes, tirant de nouveau à grosses bouffées cette fois comme pour combler un besoin, un vide qui s'était creusé en son sein.
Finalement il alluma son petit écran, décidé à ne pas sortir de peur que sa lumière revienne et cherchant malgré tout une illumination quelque part. La sentence était tombée, deux cadavres avaient été retrouvés dans le petit bois ardent...
Il éteint son poste de télévision brusquement, imaginant avec horreur les visages déformés par les flammes bouffantes de l'enfer de sa vie... puis imaginant son propre visage étouffé, tuméfié par la fournaise, c'était sa place finalement se dit alors l'homme, acceptant les trop rares précepts dont il avait pensé réussir à se détacher...
Il bondit alors pour aller de frustration hurler sa rage devant la triste séquelle des tragiques évènements.
En claquant la porte violemment, l'homme ne fit pas attention au petit bout de papier insignifiant qui voleta doucement pour s'échouer finalement sur le tapis de marguerites qui égayait comme il le pouvait la triste bâtisse.
L'homme hurla sa haine avec violence, sa haine du monde, de la vie, de lui même en fait...
Il aurait voulu faire quelque chose, mais il ne pouvait que rester impuissant, lui qui était toujours resté sourd face au monde qui l'entourait...
Il aurait aimé avoir un refuge, mais son travail ne le passionnait guère, et il avait abandonné ses trop rares passions lors de l'élaboration de ce qui n'était aujourd'hui plus qu'un amas de ruines: son tendre foyer.
Finalement la seule occupation qu'il trouva était de fumer, encore, il se dit que de toute manière il reviendrait vite et qu'il pouvait par conséquent prendre le temps d'aller chercher un nouveau paquet, non , une nouvelle cartouche, après quoi il serait paré pour tenir le siège face à ses démons intérieurs.
Dans le tabac-presse qu'il avait choisi de par sa proximité et par attachement à ses habitudes, il s'attarda avec émotion sur les revues "inutiles" que lisaient sa femme et sa fille. Il prit un exemplaire de chaque, comme pour essayer, maintenant qu'il était trop tard, de se rapprocher d'elles enfin , et aussi un journal car il mettait un point d'honneur à se tenir informé des grands évènements de ce monde, persuadé que la vérité , ou celle que lui cherchait, se tenait là...
Sur le chemin du retour il manqua de peu de percuter un marcassin visiblement perdu sur la route...
Enfin chez lui, il ralluma une cigarette, puis se mit en quête d'informations.
Arrivé à la rubrique régionale, son intérêt fut vivement éveillé par un article sur la fameuse incendie :
"... l'incendie ne serait apparemment pas d'origine criminelle mais d'un simple acte de négligence comme malheureusement trop souvent..." .
Une fois de plus un journaliste oubliait son objectivité pourtant garante de son "titre", mais cela ne l'amusa pas comme à l'accoutumée...
Alors l'homme était son propre boureau, n'ayant finalement passé sa vie qu'à commettre des actes méprisables à ses propres yeux, il se dit qu'il avait cet fois bien atteint son but et pour parachever son oeuvre il ne lui restait plus qu'à accomplir l'acte final de cette mascarade qu'il nommait sa vie.
L'homme se donne alors la mort, laissant une mère éplorée se lamenter de voir que sa plus aboutie création était vouée à l'échec...
Sur le mot échoué comme une bouteille dans un océan trop vaste pour cet être envahi par un flot incessant d'idées et d'émotions:
"Mon amour, je sais que j'aurai dû attendre ton retour pour te prévenir, mais mon frère, dont la femme vient tout juste d'accoucher, nous a invité pour l'occasion. Sachant à quel point tu répugnes à voir ma famille et à quel point ton patron est envahissant je te laisse ce mot pour te prévenir que nous serons absentes, Marie et moi, pour trois jours environ...
Je t'aime...
Ta Marie..."
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