Chapitre 11 : Duan Talath.
Les deux dieux déchus cheminaient dans la neige, leurs pieds s'enfonçant profondément à chaque pas.
- Fait froid ici, grogna Isis en se frottant les bras à travers ses vêtements de fourrure pour se réchauffer.
- Oh arrête, il ne fait pas si froid, répliqua le mage en singeant la voix de l'ex-déesse. Et regarde ce magnifique paysage !
- Ça va hein, grogna-t-elle en retour.
La déesse déchue accéléra l'allure en bougonnant, suivie par un mage au grand sourire satisfait.
- On approche de Yétympie, déclara le mage quelques minutes de marche silencieuse plus tard en désignant la ville qui se dessinait maintenant clairement à l'horizon.
- Hum, ses habitants n'ont pas l'air des plus civilisés, constata Isis en observant les grandes huttes en peaux de bêtes qui constituaient la majeure partie de ses bâtiments.
- Les Yétis le sont rarement... En plus ceux là ne pensent qu'à jouer...
- Ah ?
- Ouais, tous les quatre mois, ils organisent leurs « Jeux Yétympiques » où les plus grands champions s'affrontent dans une série d'épreuves dont la plupart consiste à lancer des pingouins...
- Ça explique les pingouins qu'on voit régulièrement voler d'un bout à l'autre de la ville alors... J'avais pensé à une variante tordue des pigeons voyageurs, mais ton explication me semble plus crédible...
- On va contourner la ville. De toutes façons, il nous faut obliquer à l'ouest pour atteindre la passe permettant de traverser les Monts Gelés.
- Ils avaient de l'imagination à revendre les explorateurs qui ont nommé les régions de ce monde, ironisa Isis.
***
Le lendemain, ils traversèrent la Passe du Jour Perdu.
- C'est quoi encore ce nom bizarre ? Demanda Isis.
- Les Monts Gelés forment un gigantesque anneau naturel autour du pôle, ainsi toute la région intérieure est entièrement plongée dans l'obscurité à toute heure de la journée. On nomme cette région la Plaine de la Longue Nuit et les elfes l'appelle Duan Talath.
- Et ça veut dire quoi ?
- Ben « la plaine de la longue nuit », répondit le mage en haussant les épaules.
- J'aurais dû m'en douter...
- Depuis des millénaires, cette terre est contrôlée par des vampires... Le dirigeant actuel est le Comte Spike Bloody. Un vampire blond âgé de quelques siècles. Il est puissant, cruel, sans pitié, sadique et avide de pouvoir... Son plus grand atout, c'est sa fille, Julie Bloody qu'il garde enfermée dans la plus haute tour de son château, de peur que ses ennemis s'en prennent à elle... C'est aussi là que se trouve le fragment que nous cherchons.
- Elle doit avoir une vie passionnante, enfermée dans sa tour...
- Oh, ça pourrait être pire... Sa mère était une magicienne et une voyante... Une humaine enlevée par le Comte lors de l'attaque d'une mission d'exploration. Elle lui a légué toutes sortes d'objets... distrayants... boules de cristal, miroirs magiques et autres babioles de voyants. C'est comme ça qu'elle assure le pouvoir de son père en déjouant les différents complots contre lui...
- Elle le soutient ? Elle aurait plutôt des raisons de le haïr pour la séquestrer comme ça !
- Oh elle le hait au plus haut point, concéda le mage, comme si c'était proprement hors sujet. Mais s'il était tué, nul doute que son successeur la ferait exécuter... Elle est l'héritière du royaume puisqu'elle est sa fille. Mais comme elle est en partie humaine, aucun vampire ne l'épouserait pour légitimer sa prise de pouvoir... Il l'éliminerait simplement pour libérer la place...
- Ils m'ont l'air d'avoir des coutumes charmantes par ici... Remarque dans mon monde, ils faisaient pareil... Mais ce Spike, il va nous donner le fragment comme ça sans broncher ?
- Ça m'étonnerait franchement...
- Je m'en doutais, grommela Isis. On va donc devoir fuir en vitesse quand on l'aura...
- Ouais, c'est probable... Bon, en route, conclut le mage en reprenant la marche.
***
- Qui va là ? Cria une voix alors qu'un vampire se dessinait dans l'obscurité engloutissant le chemin.
- Nous venons voir le Comte Spike Bloody.
- Il ne reçoit pas les humains... sauf à dîner, bien entendu, précisa le vampire en éclatant d'un rire gras, manifestement satisfait de sa plaisanterie.
- Désopilant... Bon, soit tu nous laisses passer, soit je te tue et on passe quand même. Je n'ai rien contre l'idée de te tuer, mais ce ne serait pas très poli envers notre hôte que de tuer ses sujets... Tu choisis quoi ?
- Je crois plutôt que je vais boire ton sang et garder la fille pour... un autre usage, contra le vampire en riant à nouveau.
Le mage haussa les épaules et, d'un mouvement négligeant de la main, désintégra l'importun trop sûr de lui.
- T'es sûr que le Comte appréciera qu'on tue ses sujets ? Demanda Isis.
- Je doute qu'un tel abruti le préoccupe beaucoup... D'un certain côté, je lui ai même rendu service en l'en débarrassant...
- C'était quand même assez inconsidéré de le désintégrer comme ça...
- Ben tu te chargeras du prochain alors, conclut le mage en reprenant sa route.
***
Pendant ce temps dans la plus haute tour du château du Comte, Julie Bloody observait la scène dans sa boule de cristal favorite.
- Hum... Il a l'air puissant celui là... Peut-être vais-je enfin pourvoir quitter ce stupide pays gelé... Voyons de quelle manière le convaincre de m'aider...
Elle se dirigea vers la grande armoire de bois, sculptée de motifs démoniaques, où elle rangeait ses objets magiques. Ouvrant les portes, elle contempla sa collection.
- Par quoi commencer ? Réfléchit-elle à voix haute. Voyons déjà comment il s'appelle, décida-t-elle en saisissant son anneau d'identité.
Cet objet rare et précieux permettait de dévoiler les noms de la personne sur laquelle on se concentrait. Cette information était particulièrement utile au mages, car nombre de sorts nécessitait le véritable nom de la cible, nom que les plus puissants gardaient généralement pour eux. Passant l'anneau au doigt, elle retourna à sa boule de cristal. Elle se concentra et une multitude de noms jaillirent dans son esprit.
- Comment on peut avoir autant de noms ? Grommela-t-elle.
Affinant ses recherches, elle put dégager de la masse les noms les plus importants.
- Son véritable nom – celui que lui ont donné ses parents à sa naissance – est Gaël, découvrit-elle. Mais il ne s'en sert plus depuis bien longtemps... Je me demande même s'il s'en souvient encore... Son nom de mage était « Darathor », dont il utilise encore le diminutif... Les autres gens le connaissent majoritairement sous le titre de... Quoi ? S'exclama la jeune femme en sursautant violemment. Le Grand Mage Administrateur ? Le Dieux des Dieux ? Eh ben... Rien que ça... Je crois que c'est mon jour de chance !
Retirant l'anneau, elle le replaça dans l'armoire et pris une sorte de petit miroir. Sur son cadre, on pouvait lire « Calculette d'amour Yahoo ! ». Quand elle effleura sa surface du bout des doigts, un visage apparut.
- Bien le bonjour, maîtresse, s'exclama-t-il joyeusement. Indiquez-moi le nom de deux personnes et je vous dirai si elles sont faites l'une pour l'autre.
- « Gaël » et « Julie », répondit la fille du compte.
Le miroir afficha une intense concentration, puis répondit :
- Compatibles à quatre-vingt-seize pour cent, maîtresse. C'est encourageant !
Les lèvres de la jeune femme s'étirèrent en un sourire satisfait, puis, se souvenant que le miroir était loin d'être infaillible, elle l'interrogea à nouveau en donnant leurs noms de mages.
- « Darathor » et « Bloody Girl ».
- Compatibles à quatre-vingt-dix-huit pour cent, répondit le miroir après un bref instant de réflexion. Vous avez toutes vos chances, à n'en pas douter !
Mais la voyante ne l'écoutait déjà plus, trop absorbée qu'elle était par ses rêves de grandeur. Elle allait séduire le Dieu des Dieux ! La perspective ne manquait pas d'attrait : non seulement elle quitterait enfin ce pays froid et insupportable, mais si elle le manipulait bien, une fois qu'il aurait retrouvé son rang, nul doute qu'il ferait d'elle son égale. Elle allait devenir une déesse ! Puis elle s'arrangerait pour se débarasser des autres dieux et elle pourrait alors régner en maître sur le monde ! Même dans ses rêves les plus fous, elle n'en espérait pas tant !
Emportée par l'excitation, elle éclata d'un long rire diabolique.