CHAPITRE 8 – CHOCOLAT ET MARSHMALLOWS
Je sors un peu brusquement un pieu de ma poche alors que je me dirige vers le son de la voix de Spike dans la cuisine. Mais il n’est pas là. Je fronce les sourcils une seconde en découvrant la casserole sale toujours sur la cuisinière et le paquet de marshmallows sur la table –je ne savais même pas qu’on en avait, où diable étaient-ils cachés ?- avant d’aller vers la porte de derrière. Ils me tournent tous les deux le dos alors qu’ils discutent, assis sur les marches, leurs tasses vides près d’eux. Dawn est en ce moment en train d’expliquer pourquoi le lycée est vraiment un enfer et combien elle appréhende d’y retourner dans deux semaines. Je vois Spike se crisper, et je sais qu’il sait que je suis là. Il ne se retourne pas cependant, et continue d’écouter Dawn, plaçant un mot ou deux de temps en temps.
Et je reste simplement là.
Je reste juste près de la porte et je les écoute, les regarde, et je ne peux croire que je pensais il y a une minute qu’il lui ferait du mal. Une croix de plus dans la colonne ‘Je ne connais décidément pas Spike’. Et alors que j’écoute, je comprends autre chose. Pas à son sujet, au sujet de Dawn. Elle est en train de lui dire des choses qu’elle n’a jamais mentionnées en ma présence. Des choses qui m’auraient inquiétée, ou m’auraient mise en colère. Comme le fait qu’elle aurait voulu essayer d’être pom pom girl l’année dernière, mais l’entraînement était durant ses heures de boulot, alors elle a laissé tomber. Comme le fait qu’elle a été irrémédiablement classée comme une débile par les élèves du lycée. Comme le fait qu’il y a une fille qui fait tout ce qu’elle peut pour lui rendre la vie impossible, simplement parce l’ex de la fille a parlé à Dawn pendant une des rares fêtes où elle est allée. Ce à quoi Spike lui demande si elle veut qu’il ait « une conversation amicale avec la grognasse ». Ca la fait rire, et elle lui donne un petit coup dans l’épaule. Et je ne fais que regarder, ébahie. Est-ce ce genre de choses que j’ai raté l’été où j’étais… en train de reposer ? Est-ce que c’est ainsi que ces deux-là sont devenus amis ? Dawn y a fait allusion quelques fois, notamment juste après que Spike soit parti, mais il n’a jamais rien dit à ce sujet. Et je crois savoir pourquoi. S’il y avait fait allusion, je l’aurais probablement accusé de l’utiliser pour se rapprocher de moi. Ce qui apparemment n’est pas le cas.
« Ecoute, demi-portion », dit-il finalement redevenant plus sérieux. « Je vais devoir y aller. »
“Déjà ?”, elle proteste. « Mais il est seulement… »
Un regard rapide à sa montre et elle soupire. “Ouais, je crois que tu ferais mieux de partir. Buffy devrait bientôt être de retour, elle piquerait une crise si elle te voyait là. »
J’ai soudainement envie de révéler ma présence, mais je ne dis rien. Après tout, elle a raison. J’ai vraiment piqué une crise en pensant que Spike pouvait être ici. En fait, c’est Spike qui me devance.
“Elle est juste derrière nous. Ca fait un moment maintenant. Je crois que si je ne suis pas en poussière, c’est qu’elle n’a pas piqué de crise. »
Il ne bouge pas, mais Dawn se retourne, et me regarde, surprise. Je fais un signe de la main, avec un lamentable ‘hey Dawnie’, et elle fronce les sourcils avant de regarder Spike d’un air renfrogné.
“Tu aurais pu me le dire”, elle le réprimande, avant de se retourner une nouvelle fois vers moi et dire : “Et c’était une conversation privée. Quoi de plus grossier ? »
Spike et moi réagissons de la même manière, avec un haussement d’épaule embarrassé.
“Bien, tu n’as pas besoin de partir alors puisqu’elle sait que tu es là”, Dawn continue. “Tu peux me raconter ce que tu as fait à New York et Cleveland et Vegas et tous ces autres endroits. »
Il y a un silence, un long silence, alors que Spike regarde ma petite sœur, m’offrant son profil.
“Comment diable sais-tu où je suis allé ?”, il s’exclame finalement.
Il y a de la suffisance dans sa voix quand elle répond, sans aucune autre explication : “C’est magique.”
Pour la première fois, il se tourne vers moi, et le regard qu’il me jette est quelque part entre la curiosité et l’accusation. Aucun doute sur le fait de savoir qui il blâme pour l’avoir suivi à la trace par la magie. Il ne me dit rien cependant, et retourne son attention vers Dawn.
“Désolé globule, mais je ne peux pas rester. Je suis venu ici pour dire au-revoir. Je pars pour un petit voyage. »
“Où ?”, sa voix est froide, glaciale.
Il a entendu et a compris le changement, parce que sa réponse est un murmure. « Europe. »
“Et tu ne reviens pas”, elle déclare, trop calmement. “C’est pourquoi tu es venu dire au revoir, n’est-ce pas ? »
“Tu es une fille intelligente.”
“Et toi tu es un crétin.”
Sur ce, elle se lève et se dirige vers la porte sans un autre regard ou parole pour lui. Quand elle atteint la porte, elle fait une pause, et lance par-dessus son épaule :
“Tu peux bien aller au diable, je m’en fiche !”
Et elle entre dans la maison, passant près de moi sans un regard pour moi, mais je peux voir les larmes rouler sur ses joues. Elle ne s’en fiche pas. Elle s’en préoccupe trop pour son propre bien. Et moi aussi. Entendre Clem dire que Spike allait quitter le pays était déjà assez dur, mais l’entendre de la part du vampire blond, comprendre que cette fois, il ne reviendra pas, est douloureux. Et énervant à un autre niveau, parce que je ne sais pas pourquoi c’est douloureux. Ca n’a absolument aucune raison de l’être.
« Si tu es revenu pour lui faire du mal », je dis sèchement alors qu’il se lève, « félicitations, tu es toujours le Big Bad. »
Il me regarde, la tête penchée, et malgré l’apparente indifférence, je peux voir que la colère de Dawn l’a touché. Ce n’était certainement pas comme ça qu’il avait planifié les choses. C’est bien fait pour lui. Quel genre d’ami ne donne pas de nouvelles pendant plus de deux ans, et s’arrête en passant seulement quelques heures pour dire au-revoir pour toujours ? Elle l’a traité de crétin. Je suis d’accord.
***
Elle se tient là, juste derrière le seuil, juste hors de ma portée. Dawn s’est excusée de ne pas m’avoir invité à entrer, et m’a expliqué qu’elle avait promis à sa sœur de ne pas m’inviter. Tout à l’heure, ça m’a fait tout simplement rire, malgré la peine. Ca me donne envie de hurler à présent.
Alors, nous nous sommes assis dehors, et nous avons bu du chocolat chaud – Dawn avait même les petits marshmallows que sa mère m’a fait aimer - et nous avons rattrapé plus de deux ans de temps perdu. Tant à dire. Si peu de temps. Je savais que ça se serait probablement terminé comme ça, avec elle en colère contre moi, mais je devais quand même le faire. Tout comme je savais, au plus profond de moi, même si je ne peux l’admettre, qu’il fallait que je voie la Tueuse une dernière fois.
Elle croise les bras alors que je la regarde, et ça ne fait qu’accentuer la maigreur qu’elle affiche. Je ne peux retenir les paroles qui s’échappent de mes lèvres.
“Tu ressembles à une brindille, la Tueuse. Déjà entendu parler de quelque chose appelé nourriture ? »
Si c’est possible, elle me fixe d’un regard encore plus dur.
“Ce qui est clair”, elle lance d’un ton ferme, “c’est que tu n’as jamais entendu parler de tact”.
Je hausse les épaules. Je ne peux toujours pas détacher mes yeux d’elle.
“Je suis un vampire, tu te souviens ? Le tact ne fait pas partie du job. »
Elle pouffe à cette remarque, mais ne fait aucun commentaire. Elle bouge de derrière la porte, et je peux la voir momentanément marcher dans la cuisine. Comme un papillon attiré par la lumière, je m’approche de la porte et je la pousse pour l’ouvrir, juste pour voir ce qu’elle est en train de faire. Je ne peux pas m’en empêcher. J’ai dit à la demi-portion que j’avais besoin de m’en aller, et, en vérité, je devrais m’en aller, mais je ne peux pas résister au fait de rester un petit peu plus longtemps. La regarder encore un petit peu.
Et donc, je regarde, alors qu’elle se sert de la casserole déjà pleine de chocolat pour faire un peu plus de la délicieuse boisson. J’appuie mon épaule contre la barrière d’air qui me maintient à l’extérieur, et ça a l’air de la surprendre un petit peu lorsqu’elle se tourne vers moi à nouveau.
“Alors, elle ne t’a pas invité à entrer, hein ?”, dit-elle presque perplexe.
“Elle a dit que tu ne voulais pas.”
Ma voix est parfaitement neutre. Trop neutre. J’aurais pu aussi bien lui dire combien ça me fait mal. Autant que la première fois où j’ai été interdit de séjour ici.
“Je ne suis pas fana des tueurs ayant un accès illimité dans ma maison”, elle répond, et sa voix est inexpressive aussi.
Une courte pause, et alors elle ajoute, très lentement : “Tu es un tueur à nouveau à présent, n’est-ce pas ?”
Et voici la question piège du siècle, n’est-ce pas ? Qu’est-ce que je peux répondre à ça ? Non, je ne peux pas tuer, parce que tu ne me laisses simplement pas faire ? Ou oui, bien sûr que je le suis, c’est pour ça qu’on m’a retiré la puce. A la première, elle rirait et ne me croirait pas. A la seconde, elle me réduirait en poussière. Je ne suis pas sûr ce qui se serait le mieux finalement.
“Tu ne me croirais pas si je te disais que je ne le suis pas, n’est-ce pas ?”, je réponds avec un sourire en coin.
Elle secoue la tête avant de retourner son attention à la cuisinière et à son chocolat. Ca sent plutôt bon. Elle remplit une tasse, et s’installe au bar, fixant le chocolat comme s’il détenait tous les secrets de l’univers. Finalement, ses yeux reviennent sur moi.
“Si tu promets que tu n’es pas ici pour faire du mal à un des Scoobies, ou Dawn, ou moi”, elle dit très doucement, “je crois que je pourrais te croire.”
Et pourquoi est-ce que je voudrais qu’elle me croie ? Pourquoi est-ce que je voudrais qu’elle n’ait pas peur de moi ? Ce n’est pas comme si je me préoccupais de ce qu’elle pense. Elle m’a toujours vu comme un monstre, et bien sûr elle avait raison. Ce qu’elle demande maintenant prouve simplement qu’elle ne me connaît pas, et ne m’a jamais connu, et c’est seulement…
“Je ne suis pas là pour faire du mal à un de vous, je le promets”, je m’entends dire, et je peux seulement me maudire mentalement.
Un sourire triste s’élève sur ses lèvres, et elle acquiesce.
“Il y a assez de chocolat pour deux”, dit-elle. « Pourquoi n’entres-tu pas ? »
Tout ce que je sais ensuite, c’est que je me retrouve sur le putain de sol de la cuisine de la Tueuse, et elle me regarde à la fois surprise et amusée. J’étais toujours appuyé contre la barrière quand elle m’a invité à entrer, et je n’ai certainement pas anticipé le fait qu’elle soit enlevée de cette manière. Tout ce que je peux faire, c’est la regarder, complètement ahuri, me rappelant soudain une autre fois où elle avait levé la barrière quand je ne m’y attendais pas. Comment arrive-t-elle toujours à faire la dernière chose que j’attendais d’elle ?
Me renfrognant un peu parce qu’elle en train de ricaner à présent, je me lève et ressort, seulement pour retourner immédiatement avec les deux tasses que nous avions laissées dehors. Sans un mot, je prends le chocolat qui est en train de refroidir et, m’asseyant en face de la Tueuse, je verse généreusement des marshmallows dedans et commence à le boire. Pendant ce temps, elle me regarde tout en prétendant le contraire, tenant toujours sa propre tasse, mais elle n’y a même pas encore touché.
“Je comprends comment tu es devenue si maigre”, je ne peux m’empêcher de commenter, « si tu ne fais que regarder ta nourriture sans la toucher, comme tu fais avec ce chocolat. »
Ah, si ses yeux étaient des pieux…
Rien que pour me prouver que j’ai tort, elle en prend une gorgée.
“Là”, dit-elle en ronchonnant. « T’es content ? »
Pas le moins du monde, mais pourquoi devrais-je lui dire ?
“Alors, ton crétin aime les sacs d’os ?”, j’insiste bien que je serais incapable de dire pourquoi ? « Où est-il au fait ? Ne devrait-il pas garder un œil sur sa chérie ? »
Elle paraît blessée par le commentaire sur le sac d’os, et je cache une crispation d’embarras dans ma tasse. Ce n’est pas sorti exactement comme je voulais. Au moins, je n’ai pas paru me soucier d’elle –parce que, après tout, je ne suis pas inquiet, pas le moins du monde. Pourquoi devrais-je être inquiet alors que je n’en ai rien à faire ?
“Le crétin est parti”, elle murmure, et ses yeux retournent vers sa tasse.
Oh. Ca explique quelques petites choses je crois. Ce que ça n’explique pas c’est pourquoi je veux retrouver ce con et le tuer, bien plus aujourd’hui que toutes les fois durant ces deux dernières années où j’imaginais qu’elle était dans ses bras.
“Alors, c’est pour ça que tu pleurais la nuit dernière”, je déclare, et c’est à moitié une question. “Tu veux que je t’en débarrasse ? »
Elle me regarde avec un air horrifié, avant de secouer la tête, décidant apparemment que j’étais en train de plaisanter. Je ne plaisantais pas, mais si elle préfère penser ça…
Elle soupire. “Non, ce n’est pour ça que j’étais… mal. Il est parti depuis un moment, j’ai tiré un trait sur lui il y a longtemps.”
Les mots s’échappent de ma bouche avant même que je puisse me rappeler que je n’en ai rien à faire, que je ne devrais pas m’en soucier, et que je devrais simplement être sur la route à présent. Fais chier tout ça. Je veux savoir ce qui a fait fléchir la femme la plus forte que je n’ai jamais connu.
“Qu’est-ce que c’est alors ?”, je demande doucement essayant de capter son regard.
Un autre soupir, un autre signe de tête. « C’est compliqué. C’est une trop longue histoire pour quelqu’un qui ne fait juste que passer. Je ne veux pas t’ennuyer. »
« Tu ne m’as jamais ennuyé, chaton. »
Que quelqu’un me donne un pieu, maintenant, et me laisse mettre un terme à tout ça avant que je me couvre davantage de ridicule ! Mon Dieu, pourquoi est-ce que je suis toujours ici ?
Elle relève la tête, me laisse voir ses yeux, et soudainement, je me souviens pourquoi.