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Mageprincesse
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Il s'agit d'une série de textes que j'ai prévu d'écrire sur le personnage d'une Vampire.
Le premier texte (que je reposte ici) est "mesure pour mesure"
Mesure pour Mesure (1697)
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Le premier texte (que je reposte ici) est "mesure pour mesure"
Mesure pour Mesure (1697)
Citation :
La cave voûtée était plongée dans l’obscurité. Vidée de ses barriques de vin, elle n’était plus meublée que d’un beau fauteuil et d’un secrétaire marqueté dont la présence semblait incongrue. Deux chaînes scellées dans le plafond bas retenaient par les poignets une femme, inconsciente. Sa tête reposait sur son bras droit que les chaînes, trop courtes maintenaient en l’air. Sa coiffure élaborée s’était effondrée, laissant échapper de longues mèches de cheveux bruns qui retombaient sur un visage poudré. Un filet de sang provenant d’une blessure à la tempe avait séché, laissant une traînée sombre sur la joue. Son corps reposait à moitié sur le sol couvert d’une fine couche de sable fin.
Les seuls bruits perceptibles provenaient des souris qui trottinaient rapidement le long des murs.
La porte de chêne qui se trouvait à une des extrémités de la pièce, toute en longueur, s’ouvrit en grinçant. Un homme d’âge mur, presque un vieillard, vêtu avec l’élégance d’un courtisan habitué aux fastes de la cour, entra, un chandelier à la main.
Il s’approcha lentement du secrétaire, se tenant le plus loin possible de la prisonnière. La flamme des bougies dispensait une lumière tremblante, faisant naître des reflets noisette dans la chevelure de la jeune femme. S’asseyant dans le fauteuil, il sortit d’un tiroir du secrétaire un grand registre, relié de cuir qu’il se mit à parcourir rapidement. Il jetait de temps en temps un coup d’œil vers la femme, vérifiant qu’elle était toujours évanouie. Au fur et à mesure de sa lecture, son visage fin se contracta et ses lèvres se serrèrent.
Soudain, un mouvement de la prisonnière le fit sursauter. Son corps se tendit et il fixa sans ciller ses mouvements hésitants.
Elle leva lentement la tête et essayant de porter sa main à sa tempe réalisa qu’elle était entravée. Son regard se précisa et elle parcourut du regard la cave et son occupant. Son visage blafard traduisit l’étonnement et l’incompréhension. Elle essaya de se relever, sans y parvenir, et resta agenouillée sur le sol.
L’homme resta silencieux, observant ses réactions avec l’attention et la retenue d’un entomologiste devant un insecte rare et dangereux.
Son regard croisa celui de sa prisonnière et il fût malgré lui captivé. Son visage était commun, sans traits caractéristiques mais elle possédait des yeux couleur d’ambre, qui, telle la résine pouvaient piéger ceux qui n’y prenaient pas garde. Secouant légèrement la tête, elle sembla prendre conscience de sa situation et implora son gardien.
-M. de Fontenelle ! Que se passe-t-il ?
L’homme ne lui répondit pas et se contenta de la fixer, toujours tendu, la main crispée sur le bord du fauteuil.
- Répondez moi ! Pourquoi me retenez vous ? Je ne comprends rien … supplia la jeune femme, les yeux implorants et les lèvres tremblantes, essayant de garder le regard de Fontenelle captif.
Pendant quelques secondes, les traits de son adversaire se détendirent, son corps se leva légèrement et elle cru qu’il allait la libérer. Ce ne fut qu’un faux espoir. Il se rassit et la fixa d’un regard sévère.
-Allons, Madame. Vous êtes une excellente comédienne mais n’insultez pas mon intelligence. Je sais qui vous êtes, conclut-il d’une voix basse et profonde.
Elle le fixa d’un air étonné.
-Bien entendu, nous avons été présentés par Mme Lambert dans son salon, il y a quelques semaines, dit-elle d’un ton rassurant comme si elle s’adressait à un enfant malade.
Fontenelle laissa échapper un sourire moqueur.
-Ce n’était pas notre première rencontre, madame. Il n’est pas surprenant que vous ne vous en souveniez pas, ce n’était pas dans des circonstances mondaines.
-Je ne vois pas de quoi vous voulez parler, je vous assure monsieur, répondit la jeune femme. Ne pourriez vous pas me détacher ? Ces fers me blessent, ajouta-t-elle, implorante.
-Sûrement pas, je ne prendrai aucun risque.
Il s’enfonça dans son fauteuil, son regard se perdant dans la pénombre de la cave.
-C’était en 1684, il y a plus de quinze ans déjà… J’étais venu rendre une dernière visite à mon oncle Pierre Corneille avant sa mort. J’étais arrivé très tard dans la nuit et j’étais allé directement à sa chambre, sans m’être annoncé. J’allais ouvrir la porte lorsque j’entendis un faible cri. Je me contentai de l’entrebâiller et je fus témoin d’un étrange spectacle.
Il s’arrêta quelques secondes, revivant cet instant tragique qui avait changé le cours de sa vie.
-Mon oncle gisait étendu, un bras hors du lit, la tête penchée.
Il regarda intensément la jeune femme qui l’écoutait incrédule.
-Vous étiez là, madame. Penchée sur lui, vos lèvres sur sa gorge offerte. Du sang coulait de votre bouche. Son sang ! s’exclama-t-il en serrant les poings et en se levant à moitié.
Il se rassit, haletant doucement. Il ferma les yeux quelques secondes et reprit son souffle.
-Je n’ai pas bougé, tétanisé par cet affreux spectacle. Vous vous êtes relevée et je vous ai alors vu distinctement à la lueur des bougies disposées dans toute la chambre. Je n’oublierai jamais la vision de votre pâle visage, dont les seules couleurs étaient vos lèvres sanglantes et vos yeux de feu. J’allais me précipiter dans la chambre lorsque vous avez disparu par la fenêtre. Mon seul souci fut mon oncle. Las ! Il était bien mort et gisait livide, la marque fraîche de vos dents sur son cou.
Fontenelle posa un regard vengeur sur la jeune femme.
-Voilà, Madame, les circonstances de notre première rencontre.
La jeune femme semblait interdite. Elle attendit quelques secondes, essayant de rassembler ses esprits après cette histoire extraordinaire.
-Etes vous sûr de ne pas avoir rêvé ? Vous êtes un homme de science, inaccessible à la crédulité populaire.
Devant l’absence de réaction de son geôlier, elle tenta une nouvelle approche.
-Voyons, regardez moi attentivement. La femme que vous avez vue, il y a quinze ans, a vieilli et doit être à l’automne de sa vie. Je n’ai que vingt ans à peine. Je ne peux pas être cette femme mystérieuse, conclut-elle avec force, tirant sur ses chaînes.
Fontenelle ne répondit pas. Il tendit la main et saisit son registre qu’il ouvrit à la première page. Il se mit à lire d’une voix monocorde.
-En 1641, le duc de Sully décède. D’après les témoignages que j’ai pu recueillir, une femme était présente lors de ses derniers instants. Il s’agissait d’une lointaine cousine, Artemisia de Montpeyroux. Une des servantes m’a parlé d’une étrange marque que le défunt portait au cou. 1650, Descartes meurt à Stockholm. Une jeune veuve de ses amies l’aide durant son agonie. Elle se prénommait Artémisia Griffert et possédait de surprenants yeux d’ambre. 1662, Blaise Pascal s’éteint, assisté dans ces derniers instants par Artemisia de Montfaucon, veuve d’un janséniste.
Fontenelle leva les yeux de son registre et posa un regard moqueur sur sa captive.
-Dois-je poursuivre, Artémisia de Drascin ? C’est bien sous ce nom que Mme Lambert vous a présenté, n’est ce pas ? La liste est encore longue jusqu’à la mort de mon oncle. Dieu seul sait le nombre exact de vos crimes ! s’exclama Fontenelle, refermant le registre d’un coup sec. Qui êtes vous ? Comment avez-vous fait pour vivre si longtemps ? demanda-t-il d’un ton pressant.
Artemisia le jaugea du regard. Son expression, auparavant anxieuse, se modifia. Elle se redressa légèrement et Fontenelle vit la jeune veuve timide et apeurée se transformer en femme assurée et fière.
-Je dois avouer, cher Fontenelle que votre réputation de grand esprit n’est pas usurpée ! Vous avez là un document très intéressant même s’il comporte de nombreuses lacunes.
Elle eut un petit rire de gorge.
-Je dois vous avouer que vous êtes le premier à me découvrir depuis …, elle s’arrêta quelques secondes pour réfléchir, mais oui, depuis Abélard !
Fontenelle ne pu cacher son ébahissement.
-Abélard ! Pierre Abélard ? bredouilla-t-il.
-Bien sûr ! Vous ne croyiez pas que vous aviez couvert la liste de mes rencontres ?
-Qu’êtes vous ? demanda Fontenelle d’une voix faible.
La jeune femme se leva lentement en attrapant ses chaînes. Elle se tint, droite et orgueilleuse devant l’homme, éberlué.
-Dieu seul le sait, mon cher. Je n’ai jamais rencontré d’être qui me soit semblable. J’aime à penser que je suis unique. Pourquoi tremblez vous ? Vous êtes en sécurité. C’est moi qui suis enchaînée, incapable de me libérer et vous qui êtes assis confortablement, libre de vos mouvements, une arme près de vous, dit-elle en observant le pistolet qui était posé sur le secrétaire.
-Mon dieu ! s’exclama Fontenelle.
Elle eut un sourire moqueur.
-Profitez en, Fontenelle. Dieu ne vous enverra pas tous les ans un représentant de mon espèce. Pour récompenser vos efforts et votre sagacité, je vais répondre sincèrement à vos questions.
-Quels autres choix avez-vous ? demanda-t-il, reprenant confiance. Comme elle l’avait fait remarquer, il était maître du jeu.
Elle eut un sourire mystérieux.
-Mais aucun, mon ami, aucun.
Fontenelle respira profondément, essayant de retrouver ses esprits. Il ouvrit le registre à une page vierge et prenant une plume, traça d’une main un peu tremblante Artémisia de Drascin. Il regarda vers la jeune femme qui l’observait, insondable.
-Quel âge avez-vous ?
-Voyons, mon ami ! Ce n’est pas là une question qu’un gentilhomme pose à une dame de qualité ! s’exclama-t-elle, joueuse.
Devant l’absence de réaction du philosophe, Artémisia fit la moue.
-J’ai toujours eu du mal à calculer mon âge. Je suis née il y a longtemps, trop longtemps peut être, soupira-t-elle.
-Soyez plus précise, madame, répondit Fontenelle, cinglant.
-Voyons, je crois que c’était vers 650.
Fontenelle sursauta, stupéfait.
-Ce n’est pas possible ! Comment pourriez vous avoir plus de mille ans !
-Oui, je sais, je ne les fais pas, répondit Artémisia, goguenarde. Je ne sais pas pourquoi j’ai vécu si longtemps sans changer.
-Je ne vous crois pas, répondit-il.
Elle éclata de rire.
-Relâchez moi donc immédiatement ! Si je suis une impossibilité que votre esprit cartésien refuse d’accepter, vous ne pouvez pas me retenir.
Fontenelle la fixa longuement, ne sachant plus que croire. Il se décida à écrire sur le vélin : naissance en 650.
-Ne croyez pas que je vais croire tout ce que vous me direz. Il y a sûrement des moyens de vérifier vos dires.
-Comme il vous plaira, répondit-elle.
-Reconnaissez vous avoir tué ?
-Oui, mais votre liste n’est pas exhaustive, mon ami. La liste serait trop longue pour que je vous la donne et j’ai du d’ailleurs oublier la plupart de mes victimes.
-Mais pourquoi ? Pourquoi des hommes de science, de lettres ?
Artémisia souris gentiment.
-De la même façon que vous avez besoin de nourriture pour vivre, j’ai besoin de sang pour exister. J’ai besoin de leur esprit, j’ai besoin de leur force, de leurs émotions. Je ne suis rattachée au monde que par ceux que je tue. Durant le moment si court où leur cœur s’arrête, tout ce qu’ils sont, tout ce qu’ils ont ressenti, tout ce qu’ils savent me nourrit, me permet de continuer à exister. Leurs émotions me font sentir, leurs expériences m’enrichissent, leurs connaissances me font découvrir de nouveaux univers et leur sang, ô leur sang, me donne la vie. J’ai vite découvert que je suis une créature des ténèbres et il me faut la lumière de leurs âmes pour continuer à vivre.
-Vous êtes un démon ! s’écria, horrifié, Fontenelle.
-C’est ce que j’aimerais savoir… et je pense que vous êtes l’homme qui peut m’y aider, répondit doucement Artémisia.
Fontenelle, sonné par ce qu’il venait d’entendre avait fermé les yeux, sentant la fatigue s’abattre sur son corps usé. La jeune femme profita de ses instants de tranquillité pour attraper une des épingles qui retenait sa chevelure. Ses mains habiles ouvrirent rapidement les vieux fers qui la retenaient prisonnière.
Lorsque Fontenelle ouvrit les yeux, elle se tenait devant lui, le pistolet à la main.
-Tutut… Voyons mon cher, il ne faut pas me laisser sans surveillance, ironisa-t-elle.
Fontenelle blêmit et tenta de se lever. Artémisia le rassit d’une main de fer sur son fauteuil. Elle approcha ses lèvres de son visage et savoura la peur qui transparaissait dans ses yeux.
-Je ne vais pas vous tuer, mon ami. Vous m’intriguez et encore plus important, vous m’amusez. Votre tentative d’emprisonnement a réveillé en moi le goût du jeu. Je n’avais pas eu autant de plaisir depuis, voyons, … oui ! la Renaissance ! De plus, vous disposez d’assez d’intelligence pour réussir là où j’ai échoué : découvrir qui je suis vraiment. Je vais donc vous laisser en vie et je vais même vous faire un cadeau.
Elle se pencha et le mordit doucement à la gorge. Elle prit quelques gorgées de son sang et poussa un petit soupir de plaisir. Reculant, elle ajouta :
-J’ai découvert il y a longtemps que si je ne bois que quelques gouttes de sang d’un humain, celui-ci acquiert une longévité plus grande. Voici un autre mystère dont vous pourrez chercher la réponse.
Elle le lâcha et recula lentement, le pistolet pointé vers le vieil homme.
-Je reviendrai vous voir dans quelques années. Je vous raconterai mes aventures et vous me ferez part de vos recherches. Cela va vous plaire, vous verrez, conclut-elle en disparaissant derrière la porte. Celle-ci se ferma avec bruit, laissant Fontenelle effondré sur son fauteuil, la main sur sa gorge.
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