AiMa
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Mageprincesse
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Mageprincesse
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Voici les cinq textes présentés sur le thème "possession".
Attention, un des textes est assez violent et cru !!!
Dans ce topic, vous pouvez donnez votre avis sur les textes. Par contre, pour donner vos textes préférés, utilisez le topic notes, prévu à cet effet.
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Attention, un des textes est assez violent et cru !!!
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Citation :
Réminiscences
L’homme allongé sur l’étroit lit métallique se releva lentement et repoussa l’épaisse couverture grise usée qui lui recouvrait le corps. Ses yeux collés s’ouvrirent avec difficulté. La lumière blanche d’un vieux néon frappa ses rétines. Il frotta ses paupières d’une main encore endormie le temps de s’adapter à cet éclat agresseur. Il avait affreusement mal à la tête et ses membres engourdis ne se mouvaient qu’au prix d’un intense effort. Il se leva et regarda autour de lui. Il tourna sur lui même et se demanda ce qu’il pouvait bien faire en prison. Trois murs recouvert d’une peinture jaunâtre écaillée, sous laquelle ressortais le béton gris lui faisait face. Derrière lui, le quadrillage de fins barreaux glacés fermait la cellule.
« Mais merde, qu’est-ce que je fous là ? J’ai fait quoi pour me retrouver en taule ? » L’homme essaya de se remémorer ses derniers souvenirs afin de trouver un semblant d’explication à ce qui lui arrivait. Son visage prit soudain un air grave. Il se rassit sur le lit tandis que les cris stridents des ressorts résonnaient dans la pièce. Il prit sa tête dans ses mains, se pencha en avant, puis en arrière, alimentant la désagréable complainte de sa couchette. Il s’immobilisa un instant et se frappa violemment le front de la main droite. Impossible ! Impossible de se rappeler la moindre chose ! Son cerveau encore mal réveillé tentait de trouver des réponses. Qu’avait-il fait pour atterrir dans ce trou ? Il n’en savait rien. Depuis quand était-il ici, quel jour était-on ? Aucune idée, il ne pouvait même pas dire qui du soleil ou de la lune luisait à l’extérieur. Il était sale, sentait la transpiration. Ses mains étaient crasseuses et ses ongles noirs. Il portait un pantalon gris de bonne qualité, une veste grise assortie au-dessus d’une chemise dont la blancheur n’avait plus rien d’immaculé.
« En plus je suis dégueulasse ! … Calme-toi, réfléchis un peu. »
La ronde folle des questions repris, et les réponses restaient toujours aussi rares. Il en arriva finalement à un :
« Je suis qui ? Bordel, je m’appelle comment ? » Il se concentra encore un moment en vain. Un nœud lui étreignit l’estomac. Il était visiblement amnésique.
De l’autre côté des barreaux, il apercevait un couloir qui partait sur la droite. Il y faisait sombre. Il colla sa tête aux barreaux pour tenter de discerner quelque chose. Il cru voir une lueur quelques mètres plus loin. Il retint sa respiration et écouta si des sons lui parvenaient. Son cœur tapait violement dans sa poitrine, ses jambes tremblaient, il avait faim et sa bouche pâteuse lui indiquait qu’il n’avait sûrement pas bu depuis un moment. Il perçut un bruit sourd, comme une chaise que l’on tire. Au bout d’une minute, il entendit de faibles éclats de voix. Il se décida à appeler.
« Y a quelqu’un ? » Un son quasi inaudible était sorti de sa bouche. Il se racla la gorge, pris une profonde inspiration « Est ce qu’il y a quelqu’un ? » Toujours rien… Encore un essai, plus fort, monopolisant toute la puissance de ses cordes vocales ; « Ohé, vous m’entendez ? Y a-t-il quelqu’un ? ».
Une porte s’ouvrit au fond du couloir. Un homme en uniforme, corpulent, la trentaine, s’avança d’un pas résigné vers la cellule. Il cria mollement à l’intention de la porte :
« Patron, je crois que notre gars est réveillé. »
« Très bien, amène le nous ! » lui répondit la porte…
Quelques minutes plus tard, l’homme se retrouva au milieu d’une pièce aux murs verts pales, meublée d’une simple table et de deux chaises. Il était assis sur l’une d’elle, menotté. Sur l’autre siège, se tenait l’inspecteur Miles. À ses côté, un autre homme en uniforme regardait au plafond d’un air distrait. La dernière personne présente dans la salle d’interrogatoire, qui se tenait debout derrière le prisonnier, était le policier aboulique qui l’avait traîné jusqu’ici.
« Et bien mon gars, t’en a fais un sacré somme ! 18 heures que tu pionces dans ta cage ! Je t’aurais bien réveillé à coup de pompes dans l’… mais le toubib a été formel, avec le choc que tu t’es pris sur le crâne, fallait pas te déranger. Je suis l’inspecteur Miles, voilà Feathy et
tu as déjà fait connaissance avec Bournes. Maintenant écoute-moi bien mon gars, tu vas répondre à mes questions sans te faire prier et tout ce passera bien pour toi le reste de ton séjour ici, sinon notre ami Bournes risque fort de devenir maladroit… »
Associant le geste à la parole de son patron, le gros policier agrippa d’une main rapide le dossier de la chaise et la fit basculer en arrière. Celle-ci frappa violemment le sol et l’homme qui se voyait déjà affalé contre le carrelage fut retenu de justesse par le col de sa veste. Bournes remit le siège en place et rassit le détenu.
« - Tu m’as compris j’espère ? enchaîna l’inspecteur d’un ton lourd de menaces. Je te préviens d’avance, n’essaie pas de jouer au plus malin avec moi !
- Oui, bien sûr ; répondit prestement l’homme d’une voix paniquée. Il se rendit alors compte que, pour l’instant, mentionner son amnésie risquerait de lui attirer de graves ennuis. Il réfléchissait intensément au problème qui se posait à lui, cherchant la meilleure attitude à adopter…
L’inspecteur continua sur sa lancée :
- Alors, je vais faire simple pour commencer, tu ne m’as pas l’air d’être bien réveillé ! Ton nom est Mike Rohond et tu vis au 17 de la 8ème Avenue ? »
L’homme appréhendait cette question, mais en entendant son nom mentionné, un éclair jaillit dans son cerveau. Mike… Rohond… Mick, Micky… non Mickey, c’est comme ça qu’on l’appelait ! Des bribes d’informations ressurgissaient à une vitesse fulgurante. Tout était encore flou mais une lueur d’espoir se profilait à l’horizon. Il se revoyait vaguement rouler sur la 8ème dans un pick-up blanc. Il discernait des maisons, des jardins. Laquelle était la sienne ? Il parcourait ses pensées comme dans un rêve, cherchant la trace d’un indice caché dans ce flot désordonné d’informations. Il avait maintenant garé sa voiture le long du trottoir. Il descendait, commençait à avancer. Cette maison, était ce la sienne ? Non, c’était celle d’à côté sans aucun doute. Le numéro 17 était au-dessus de la porte. Il revoyait tout en noir et blanc, au ralentit, réminiscence involontaire répondant aux stimuli vocaux de l’inspecteur.
« - Oui, c’est ça, finit-il par répondre.
- Bien, maintenant tu vas me raconter exactement ce qui s’est passé à ton domicile hier soir. »
Mike hésita un instant. Il essayait d’activer ses neurones. Son hippocampe, centre de la mémoire, était fortement sollicité. Il se voyait à présent sortir un petit trousseau de clef de son pantalon, ouvrir la porte de sa maison. Mais était-ce hier ? Était-ce il y a un an ? Ou bien était-ce seulement l’amalgame des souvenirs de cette action quotidienne qui se répercutait dans son cerveau… Il n’aurait su le dire…
« - Je n’en sais rien. Je ne me rappelle plus, répliqua Mike d’un ton suppliant. Je ne sais même pas ce que je fais ici ! finit-il par concéder.
Le policier eu un petit rire nerveux.
- Tu n’as pas bien saisi ce que je t’ai expliqué on dirait ! Je t’ai dit de ne pas jouer au plus malin avec moi ! éructa-t-il d’une voix qui allait crescendo tout en frappant violement du poing sur la table.
- Mais je vous dis la vérité, se défendit Mickey tout en se reculant au maximum contre le dossier de sa chaise, je ne me souviens pas…
- Bon, et bien je vais te rafraîchir la mémoire puisque c’est cela ! Je suppose que tu te rappelles ta petite amie, Nadia Baytik. » ironisa-t-il.
Nadia... Nadia… Une silhouette se dessinait dans sa tête. Il fermait les yeux pour mieux se remémorer les images qui défilaient dans sa tête. Nadia… oui ! Elle avait emménagé chez lui depuis peu. Il l’avait rencontré à une soirée… chez un ami… non une soirée d’affaire, il y a presque un an. Il travaillait dans les assurances. Le puzzle de sa mémoire se reconstruisait laborieusement. Il se voyait la serrer dans ses bras, il sentait le parfum des fleurs qu’il lui offrait. Son cœur battait de plus en plus vite au fur et à mesure que ses sentiments rejaillissaient des profondeurs de son système limbique, centre des émotions de l’encéphale. Il sentait la douceur de sa peau sous ses caresses, la chaleur de son corps nu contre le sien. Moult de petits détails qui convergeaient tous vers une même conclusion ; il se rappelait à peine son visage mais il savait qu’il était fou de cette fille. Il acquiesça en direction du policier.
« - Bien, alors vous aller peut-être pouvoir m’expliquer pourquoi vous l’avez assassinée hier soir ! rétorqua Miles d’un ton non dénué d’une certaine touche de sadisme qui fit ricaner Bournes et Feathy.
- Je… Elle est morte ? Mais c’est impossible.
- Son cadavre est à la morgue à l’heure actuelle. Tu l’as tuée mon gars !
- Non, c’est impossible, je l’aimais, je n’ai pas pu… » sa voix s’étouffa en un sanglot.
Morte… non, ce n’était pas possible, pas elle. De nouveau son système limbique se mit en branle. Il se mit à pleurer, tandis que tout s’embrouillait. Il entendait vaguement l’inspecteur continuer à lui parler.
« - Très convaincant ton petit numéro d’acteur….
- Je l’aimais, je l’aimais je vous dis, essaya-t-il de crier. Vous mentez ! »
Les réponses de l’inspecteur devenaient de plus en plus lointaine…Tu l’as tuée ! Non c’était impossible, je n’aurais jamais pu lui faire ça… cuisine… carrelage… chambre… lit … coup… hématome… mains… cou… serrer… Impossible, je l’aimais… je refuse de l’écouter…
Et pourtant, bien qu’il luttait, Mike commença à voir des images… des images de lui et de Nadia… la veille, dans la cuisine… une dispute… il l’avait frappé… non c’était forcément son imagination qui lui jouait des tours, ce maudit flic allait le rendre fou… et pourtant, tout devenait de plus en plus net, de plus en plus évident… Il revoyait la scène du dessus, comme si son esprit flottant dans la salle avait observé son corps commettre cet impensable forfait.
« - Racontez-moi tout maintenant et vous vous sentirez mieux… » La voix de l’inspecteur avait muée en un doux et suave timbre. Ce dernier, rompu au délicat travail de l’interrogatoire, employait une autre stratégie pour tenter de faire parler son récalcitrant suspect.
Mike était de plus en plus bouleversé par ce qu’il se remémorait… Oui, il fallait qu’il raconte tout à présent…
« - Je… je crois peut-être me souvenir de certaines choses… Tout est si flou…
- Oui ? Nous vous écoutons, l’encouragea Miles.
- Je me vois… Je me vois l’attraper, la secouer, la jeter sur le sol… dans la cuisine… mais ce n’est pas moi, ça ne peux pas être vraiment moi… Il regarda le policier d’un air suppliant, mais ce dernier ne lui répondit pas, lui faisant comprendre qu’il devait poursuivre…
- Je me vois lui attraper les cheveux, lui frapper la tête contre le carrelage…Non… c’est horrible, je crois qu’elle saigne… je ne peux rien faire, je ne veux pas le faire… j’ai compris, c’est cette lumière bleue qui est apparue, c’est elle qui me force… Vous voyez, ce n’est pas moi, c’est elle ! »
« Il est cinglé » se dit Miles. « Ce type est totalement barjot. » Il croisa le regard de Bournes qui n’en pensait pas moins. L’inspecteur lui fit comprendre que tant que le type parlait, il fallait sans doute mieux le laisser faire. Il invita donc Mike à continuer son récit.
« - Je la tire par sa robe, jusqu'à la chambre… oh, non… je lui arrache ses vêtement, je... il la violente, il abuse d’elle. Il l’étrangle, je ne peux rien faire… mes mains autour de son cou… elle le griffe au bras ! Mike remonta légèrement sa manche gauche et y vit trois marques de griffure. Non ! Non ! cria-t-il. Ce n’est pas vrai, c’est un cauchemar. Il reprenait difficilement son souffle.
- Calmez-vous… Prenez votre temps, lui recommanda le policier.
- Je la traîne jusqu’au salon, elle ne bouge plus. J’ouvre la porte de derrière qui donne sur notre jardin. Il pleut. Je vois les gouttes finir leur course sur ma peau. Je prends une pelle, je commence à creuser dans le parterre de fleurs. La terre est meuble, je suis rapide. Je m’apprête à la jeter dans la fosse, mais… mais elle bouge encore. La pluie a dû la réveiller. Son regard… elle a peur, ça se voit, elle me déteste… C’est atroce, la pelle vient s’abattre sur son crâne… à plusieurs reprises… » Mike n’arrive plus à penser. Il finit son récit, amorphe, le regard dans le vide.
L’inspecteur marqua un temps d’arrêt.
« - Intéressant, presque émouvant » répondit-il finalement. Mike releva la tête d’un air interrogateur. Miles poursuivit :
« - Je ne vois pas encore où tu veux en venir mon gars, mais je le trouverai !
- Je ne comprends pas, je vous ai dis tout ce dont je me rappelais…
- Écoute, ta copine a été retrouvée morte, étranglée, sur votre lit. Elle n’a jamais été traînée dans le jardin, il n’y avait ni trou, ni pelle ! Un voisin vous a entendu vous disputer très violement. Il a vu que tu la frappais à travers sa fenêtre. Il a appelé la police. Tu as été retrouvé évanoui dans la cuisine et Melle Baytik morte dans la chambre. D’ailleurs elle ne portait pas de robe, mais un jean noir, et elle n’a pas eu de rapports sexuel hier soir ! Alors ne te fous pas de nous ! Regarde par toi même. » Miles sortit une dizaine de photographies d’un petit dossier beige qui se trouvait devant lui. Il les jeta devant Mickey. Les clichés représentaient le lieu du crime. Une femme grande, blonde, couverte de contusions était étendue sur un lit. Mike s’arrêta sur un gros plan.
« - Mais, ce n’est pas elle, ce n’est pas Nadia.
- C’est pourtant bien comme ça qu’elle se nommait. À quoi tu joues à la fin ! s’emporta Miles.
- Ce… ce n’est pas elle que j’ai tué. Ce… » Il s’arrêta net. Tout… tout lui revint en mémoire, tandis que ses dernières terminaisons synaptiques se remettaient en place, tel une balle en pleine tête qui traverserait son cerveau, tout était limpide maintenant. Nadia, oui c’était bien Nadia sur cette photo… La soirée avait bien commencée. Cela faisait exactement deux ans pourtant, il aurait du s’en rappeler… Il aurait peut-être dû ressentir du remord. Il revit cette grande lumière aveuglante qui était apparu hier au centre de la pièce. Elle avait tournoyée, elle avait pris un instant forme humaine, il l’avait reconnu. Puis la lumière l’avait pénétré et son esprit s’était retrouvé chassé de son corps, voguant dans l’air, témoin impuissant de ce qui se passait sous ses yeux. Elle avait pris possession de son corps, il ne savait pas comment mais elle était revenue pour se venger… Et elle fit à Nadia ce qu’il lui avait fait. Elle la frappa comme il l’avait frappé deux ans auparavant, dans la même cuisine. Elle la traîna sur le lit. Elle l’étrangla. Il se revoyait assister à la scène, volant à travers les corps intangibles. Il se revoyait également étrangler Marie sur ce même lit. Sa haine refit surface. Il parlait à haute voix, sans même s’en rendre compte
« - Elle m’avait trompée la salope, elle voulait me quitter ! Moi ! Elle n’a eu que ce qu’elle méritait. Ah ! elle a eu son compte. » Tout se remettait en place. Cette chienne de Marie n’avait pas pu rester tranquille dans sa tombe au fond du jardin. Elle était revenue le détruire, encore et toujours. Détruire la seule personne qu’il n’avait jamais aimée…
« - Elle n’a pas eu le courage de la violer comme je l’ai violée, de l’enterrer comme je l’ai enterrée, après lui avoir massacré son visage gerbant à coup de pelles . Elle m’a finalement laissé reprendre le contrôle de mon corps. Je la hais tant. Oh ! Nadia… pardonne-moi de n’avoir pas réussi à te protéger. Je t’aimais tellement… Mike s’effondra.
-Bournes, ramène-le dans sa chambre… Je crois bien que nous allons devoir tout reprendre à zéro… »
Citation :
LES CRIS
Premier acte
La sensation était encore présente. Extérieurement, des marques presque violacées restaient visibles sur sa peau. Cependant, elle n’avait pas mal. Pas de douleur vive, ni même sourde.
La compression sur ses doigts si fins, avait été forte et longue. La douleur aurait dû être cuisante. Et, elle aurait dû avoir mal, elle le savait . Mais, elle ne ressentait rien. C’était bien ce qu’Emma avait décidé…
En effet, pourquoi se plaindrait-elle ?
Sa sœur chérie, Alice, était là, allongée dans ce lit, près d’elle, tout près. Elle lui tenait encore la main. La sienne était encore chaude. Celle d’Alice, ma foi…
Voilà, elle allait dégager enfin son membre.
Elle le fit alors lentement, pour sentir le plus longtemps possible la raideur qui avait déjà envahi les doigts de la défunte. Elle ne voulait pas la brusquer.
…C’était arrivé le matin. Plutôt tard dans la nuit.
Cette nuit, en effet, Alice lui avait soudainement saisi la main, et la lui avait serrée très fort contre sa poitrine. Son geste avait été une sorte d’invitation. Une invitation ferme certes, mais, une invitation ultime à ne pas s’éloigner.
Alice sut que sa sœur avait compris. Elle sut qu’Emma avait réalisé que le moment était arrivé. Il était précisément celui où elle sentait sa bien courte vie la quitter. Il était cet instant, de leur séparation…Ce geste-là, Emma l’avait bien compris. Elles étaient jumelles.
…A présent, elle retirait sa main, doucement, de peur de lui faire mal. C’était absurde, elle le savait. Alice n’aurait désormais plus mal.
Depuis quelques minutes, dans cette chambre d’une maison au bord de la mer, elles étaient restées accrochées l’une à l’autre. Maintenant, c’était fini. Alice était morte. Emma pouvait repartir...
Deuxième acte
Des éclats de voix résonnaient dans sa tête. Les bruits d’une dispute. Des meubles qui se renversaient. On reconnaissait le timbre si caractéristique de deux femmes. L’une des deux avait une voix qui s’apparentait au cri d’un chat qu’on égorgeait. L’autre était, chose curieuse, identique. On aurait dit que ces deux personnes n’en faisaient qu’une en réalité. Mais c’était absurde. Pourquoi un être sain de corps et d’esprit perdrait son temps à se disputer avec lui-même ?
La dispute était retentissante. Cette dispute semblait sérieuse. Les bruits s’étaient amplifiés. Puis, ils cessèrent soudainement.
…Emma se réveilla en sursaut. Elle dégoulinait de sueur. Sa respiration haletante, elle présentait également une mine décomposée. Elle avait apparemment beaucoup de mal à rassembler ses esprits. Elle restait là, dans ce grand lit, les yeux rivés sur la porte de la chambre. Elle était effrayée, il n’y avait pas de doute. Pourtant, elle s’allongea, glissant lentement à nouveau sous ses draps. Ceux-ci étaient mouillés. C’était désagréable et toutefois peu recommandable d’ignorer ce genre de détail. Elle allait certainement prendre un petit coup de froid. C’était inévitable. Qu’importe, elle ne voulait surtout pas faire de bruit. Son agitation précédente avait déjà dû mettre à mal la sérénité qui régnait dans cette chambre à coucher. Elle se fondit donc dans ses draps, cherchant à respirer à nouveau normalement, cherchant à retrouver son calme.
Lui n’avait pas bougé. Il était resté étendu sur le ventre, la tête sur le côté. De sa bouche sortait le souffle chaud et rauque d’une respiration régulière. Lui, c’était Franck, le compagnon d’Alice.
Emma le regardait tendrement. La seule vision de cet homme la ramenait toujours du monde de ses tourments. Elle s’était apaisée. Elle voulait l’embrasser, le serrer très fort, se laisser aller dans ses bras. Mais, elle n’en fit rien. L’essentiel pour elle était de retrouver le sommeil.
Demain allait être une rude journée. Elle aurait besoin de toute son énergie pour affronter une sorte d’épreuve. Demain, elle reverrait sa mère. Cette mère qui ne la connaissait plus depuis si longtemps. Cette mère qui avait préféré l’oublier, elle, cette fille si peu recommandable.
Demain, était un grand jour donc. Aussi, elle saurait bien résister à des draps mouillés…
Troisième acte
Cette scène, Emma se l’était maintes fois imaginée…
Elle empruntait cette belle route, si belle car aux abords toujours verdoyants et à la surface bien damée.
Elle s’enfonçait plus avant, continuant son cheminement dans cette campagne accueillante, mais aussi charmée par ses retrouvailles avec cette nature qu’elle avait délaissée, il y a si longtemps, et qui pourtant se répandait à quelques coups de volants de l’Ogresse londonienne.
Elle arrivait devant ce grand portail aux grilles hautes et ajourées.
A travers elles, elle voyait s’étendre, à son tour, une splendeur d’un autre genre. Cette splendeur était un jardin au style hybride. Un jardin mélangeant de la rigueur, l’ordre caractéristique à la française, avec une multiplication des variétés, la tradudtion d'une désinvolture végétale typiquement à l’anglaise.
Puis, elle poussait les lourds vantaux de ces gardiennes métalliques, pour fouler la surface de cette allée bien entretenue.
S’installant de nouveau dans son véhicule, moyen de transport nécessaire pour traverser ce si vaste domaine, elle continuait sa progression.
Le bruit, issu du contact des roues avec le gravier qui composait cette élégante allée, se diffusait comme un grésillement et participait également au réveil progressif de ses souvenirs lointains.
Elle débouchait enfin, toujours avec un plaisir qu'elle avait du mal à dissimuler, sur le clou du spectacle : la maison. Une demeure très bourgeoise, de taille plutôt modeste, au cachet incontestable, mais à l’allure un peu désuète. Cette demeure était le reflet de cette atmosphère du passé, une atmosphère si familière, celle de son enfance, et d’une bonne partie de son adolescence.
…Cette scène, elle se l’était maintes fois imaginée. Aujourd’hui, elle était avec Franck, son futur mari, sa nouvelle vie. Tout allait aboutir enfin.
Sans la mort de sa sœur, Emma savait qu’elle ne serait jamais revenue. Elle n’aurait jamais daigné ressentir ne serait ce que l’envie de partager au moins avec ces lieux les souvenirs du passé. Ce passé lourd et douloureux, certes, mais également ce passé merveilleux où elle et sa jumelle consumaient la vie à pleine bouche.
Emma avait peine à croire qu’elle se présentait une nouvelle fois devant cette porte…
Celle-ci représentait, à elle seule, tout ce qui l’entravait.
Elle venait en ce jour pour la pousser à nouveau, sachant pertinemment que cette femme l’attendrait derrière. Cette femme, c’était évidemment sa mère…
Cette porte massive s’était ouverte devant Emma, comme par magie. Sa mère se présentait devant elle, dressant sa longue silhouette, une de ses mains encore arrimées au bouton de poignet, l’autre posée légèrement plus haut sur son tranchant épais.
Elle était souriante. Elle était vieille. Emma la reconnut quand même.
Elle était également cette même personne dont le souvenir horrible résonnait encore dans son esprit. Un autre de ses cris. C’était bien sa mère.
Celle-ci ne les laissa pas languir sur le perron. Il pleuvait, autre détail pittoresque tellement fréquent pour ce pays. Franck et Emma furent invités promptement à entrer.
Quelques instant plus tard, débarrassés de leurs diverses affaires (imperméables, parapluie, chapeaux, gants, sacs…), ils furent invités chaleureusement à passer au salon.
Chaleureuse ! Cette sensation lui vrillait le cœur.
Cet accueil maternel ne la prenait pourtant pas au dépourvu. Cette femme était pleine de douceur. Emma le savait bien. Cette mère n’était aucunement ce monstre dur, sec et cruel dont elle avait encore le souvenir. Cet être-là devait absolument s’effacer de sa mémoire. Emma s’y était résolue. Ce fut pourquoi, elle la suivit comme une automate, sa sollicitude l’ayant simplement mise à terre, forçant sa nouvelle ligne de conduite à se déployer inexorablement.
Seuls momentanément dans le petit salon, Franck et elle se dévisageaient. Ils affichaient sur leur visage leur bonheur complice et implacable.
Ils venaient aujourd’hui pour mettre la dernière touche à leur engagement l’un envers l’autre.
A la fin du week-end, ils seraient unis pour la vie. Ce lieu allait être pendant quelques jours le théâtre des festivités de leur mariage.
Emma avait céder aux traditions, et n’avait donc pas manquer de confier une bonne partie de l’organisation à sa mère.
Aujourd’hui, celle-ci accueillait son petit couple d’amoureux. Tout était encore calme dans cette demeure. Demain, les choses s’accéléreraient.
Aussi, cet après-midi, elle le leur avait arraché afin qu’elle puisse profiter d’eux, encore un peu.
Pour l’heure donc, elle s’était éclipsée dans la cuisine, vraisemblablement pour y préparer un joli plateau pour le thé. Elle tenait en plus à respecter cette tradition anglaise.
Dès le retour de sa mère de la cuisine, Emma se précipita pour lui prendre le plateau des mains. Les deux femmes s’échangèrent un sourire complice. Les souvenirs accomplissaient leur travail sur l’inconscience ; ils réveillaient chez Emma bien de vieux réflexes. C’était une madeleine de Proust. Emma se complaisait dans ce moment.
Elle posa délicatement le plateau sur l’unique table basse, au centre du petit salon, tandis que sa mère prenait place sur le bout d’un fauteuil en velours bleu, en face du sofa dans lequel Franck était installé.
Emma resta fixée longuement dans une position semi penchée. Ses mains restaient toujours au contact de ce plateau. Sa tête traînait au dessus du filet de vapeur qui s’échappait de l’imposante théière. Ses yeux se fermèrent un moment irrésistiblement pour augmenter le pouvoir de son odorat.
Les effluves de ce thé au jasmin la projetaient dans un autre temps. Dans un autre corps…
Ce fut alors qu’elle fut prise d’un léger vertige. Elle se redressa très vite pour se maîtriser.
Tout ici était trop doux. Tout donnait l’envie de se répandre en un flot de tendresse. C’était trop parfait.
Elle les entendait à nouveau tambouriner ses tempes. Ces cris la harcelaient. Du fond de sa tête, ils martelaient violemment les parois internes de son crâne. Elle sentit alors que tout se brouillait autour d’elle. Le visage de Franck prenait un aspect flou. Il en était de même pour celui de sa mère. Les meubles du salon commençaient à se déplacer, l’air ambiant se réchauffer, se raréfier.
Malgré cela, Emma essayait de se reprendre. Il le fallait. Son corps se ramollissait dangereusement.
- « Ca ne va pas ma chérie ? Alice, tu ne te sens pas bien ? »
Ces quelques mots, surtout le prénom, la ramenèrent aussitôt sur Terre. Franck venait de la saisir par la taille, parant par là même occasion cet évanouissement inévitable qui la guettait sournoisement.
Emma observa chez sa mère une inquiétude similaire. Elle ne s’était pas précipitée pour la retenir, mais elle la couvait du regard aussi chaleureusement que les solides bras aimant de son compagnon.
Alice oui ! Elle était en train de l’oublier ! Ces effluves de thé étaient responsables. Ils l’avait ramené si loin dans son enfance, qu’il lui semblait être revenue un instant dans la peau d’une autre, Emma, cette ombre dans ce joli tableau, si paisible.
Oui Alice, c’était elle maintenant ! Elle l’était devenue depuis quelques mois déjà. Emma n’existait plus désormais. D’ailleurs, elle avait cessé d’exister pour cette femme depuis longtemps, quant à Franck, il ne l’avait jamais connue. Du moins, le croyait-il…
…Emma savait ce qui lui arrivait. Elle sentait qu’Alice la quittait. Plus précisément, la personnalité d’Alice. Son corps et son esprit ne voulaient plus se travestir. C’était clair : elle était sur le point de se trahir.
Franck la força à se rasseoir sur le sofa. Il voulait même qu’elle aille s’allonger.
A cette dernière proposition, Emma ne se fit pas prier.
- « Oui, tu devrais aller t’allonger. Ta chambre est toujours là, tu sais. ».
Sa mère avait rajouté cela très vite. Emma saisit la perche qu’on lui tendait.
Elle se leva à nouveau du sofa, et sortit prestement de la pièce. Il valait mieux s’éloigner quelques instants, pensa-t-elle. Il valait mieux ne pas être exposée à une nouvelle défaillance. Aujourd’hui, elle n’était manifestement pas prête. Mais il allait bien falloir qu’elle le soit.
Dernier acte
Lorsqu’elle se retrouva seule dans sa chambre, elle prit le temps de fermer les yeux.
Elle sentait des bouffées de chaleur l’investir à nouveau, l’étouffer. Elle tenta encore de refouler cette angoisse qui l’oppressait. Les souvenirs de sa sœur revenaient à la charge. Tous criaient.
Les cognements légers d’un poing sur la porte la sortirent de son marasme. C’était Franck qui lui portait un verre d’eau.
Emma se pressa de s’allonger sur l’imposant lit qui trônait au milieu de sa chambre. Elle autorisa ensuite son futur mari à entrer.
Son cœur battait terriblement vite. Des gouttelettes de sueur perlaient encore sur son front. Elle devinait qu’elle était certainement blafarde.
Franck pénétra dans la chambre avec un beau sourire. Il tenait effectivement un verre d’eau dans la main.
Après l’avoir posé sur une des tables de chevet, et après n’avoir pas pu résister à l’envie de l’embrasser à nouveau, il voulut comme prévu la laisser seule. Emma n’en avait pas envie.
En effet, il était bien ce cadeau merveilleux qu’elle s’était octroyé aux dépens de sa sœur.
Emma avait depuis longtemps rompu avec sa famille pour d’obscures raisons.
Alice, sa jumelle, n’avait jamais voulu accepter cette évidence : tous disaient de sa sœur qu'elle était folle, et potentiellement dangereuse. Alice, cette bonté d'âme, avait voulu, malgré tout, garder des relations avec elle. C'était sa jumelle, une partie d'elle en quelque sorte.
Emma songea, en regardant Franck, qu’Alice avait eu raison sur ce point : ce Franck était une merveille.
Un jour, elle s’était dit que puisqu’il rendait Alice si heureuse, pourquoi ne le serait-elle pas également. Elle avait toujours raisonné simplement, laissant, vu de l'extérieur, ses pulsions s'exprimer plutôt que son coeur.
…Emma se résigna à ne pas le retenir. Alice était normalement une personne raisonnable. Elle devait en tenir compte. De plus, Emma n’était pas encore sûre d’elle même.
Et ces cris, atténués provisoirement par cette présence rassurante, attendaient toujours en embuscade dans un coin de son cerveau, prêts à finir de la déstabiliser, prêts à la compromettre.
Elle se redressa sur le lit, saisit le verre d’eau ainsi que son sac à main qu’elle avait pris soin de récupérer avant de monter. Elle l’ouvrit et fouilla frénétiquement à l’intérieur.
Ses gestes étaient saccadés et brusques. Elle tremblait en fait.
Elle se résolut à renverser alors le contenu de son sac sur le lit. Elle balaya du regard tous les objets qui se trouvaient éparpillés devant elle.
Tout d’un coup, sa main bondit pour en saisir un seul. C’était apparemment une petite boite de médicaments. Elle en sortit deux cachets, les porta immédiatement à sa bouche et les avala. Quelques gorgées d’eau vinrent faciliter le passage.
Elle respira ensuite profondément comme soulagée presque instantanément. Ce qui était bien sûr impossible; les cachets ne pouvaient pas avoir fait effet si vite.
Puis, elle s’allongea de nouveau, ne prenant même pas le temps de ranger tous ces objets qu’elle avait éparpillés sur le lit, juste avant.
Sa main traîna sur l’un de ces objets. Elle le saisit. Il était froid.
Ensuite, elle le porta jusqu’à ses yeux et l’admira en souriant. Ils brillaient.
Après quelques minutes à le caresser, à le mirer dans tous les sens, Emma décida de le ranger à nouveau dans son sac.
Un dernier et curieux baiser sur cet objet singulier, et le voilà retrouvant sa place au fond de la poche principale de ce fourre-tout.
Or, cet objet était un poignard. Un long et magnifique poignard. Et, ce baiser semblait si étrange, si peu approprié à un tel objet.
Emma rassembla tout le reste du contenu de son sac, et le fit disparaître à son tour.
Pour la énième fois, elle tenta de se relacher à nouveau sur le lit. Mais cette fois-ci, elle était certaine d’y trouver le repos. En effet, elle put enfin fermer ses yeux, et se sentit glisser plus facilement dans le sommeil.
Là, elle sut qu’elle y était arrivée. Plus d’angoisse et surtout plus de cris dans sa tête. Installée sur le lit d’Alice, dans la chambre d’Alice, dans la maison d’Alice…dans la vie d’Alice, elle savait que dorénavant elle ne l’entendrait plus crier.
Ce poignard, elle l’avait trop vite oublié. Il venait de lui rappeler ce qu’elle était. Cette chose sans âme…
FIN
Note de l'auteur: le thème de "la possession" n'est pas très surnaturel, dans mon texte. J'ai préféré le traiter de cette manière, pourtant. En effet, même s'il ne touche pas au surnaturel, il me fait froid dans le dos, sous l'apparente légèreté de cette histoire.
Pour ceux qui veulent voir du surnaturel dedans, je répondrais par cette pseudo morale que la nature humaine est une diversité d'êtres surnaturels, dans la mesure où ils veulent tous aller étymologiquement "au dessus de leur nature" et s'octroyer, la plupart du temps, et par différents procédés, ce qu'ils n'ont pas...
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