Samael
Invité
Un peu de serieux, le monde dans lequel nous vivons n'est pas très beau, la preuve avec Marc Dutroux, ce monstre qui à enlevé, violé et tué des enfants et de jeunes filles, arreté il y a 8 ans, voit son procès (le sien et celui de ses présumés complices) commencé ce lundi premier mars, plus de 1000 journalistes du monde entier sont présent dans la petite ville d'Arlon, province du Luxembourg, Belgique.
Aujourd'hui je vous invite à lire les dossiers paru dans le journal Belge: LE SOIR.
Je sais que ce topic est assez long à lire, mais je pense qu'il est important de savoir qui sont Marc Dutroux et ses complices ainsi que ce qu'il leur sont reprochés afin qu'un telle histoire ne tombe pas dans l'oublis.
Pour rappel, je proviens de Bertrix, la ou a eu lieu l'enlevement de la dernière victime de Dutroux et comme beaucoup d'autre Bertrigeois, j'ai participer à la recherche de Laeticia (mise d'affiche dans toute la région, fouille des étendue de bois,...)
Source: ~lien~
Aujourd'hui je vous invite à lire les dossiers paru dans le journal Belge: LE SOIR.
Je sais que ce topic est assez long à lire, mais je pense qu'il est important de savoir qui sont Marc Dutroux et ses complices ainsi que ce qu'il leur sont reprochés afin qu'un telle histoire ne tombe pas dans l'oublis.
Pour rappel, je proviens de Bertrix, la ou a eu lieu l'enlevement de la dernière victime de Dutroux et comme beaucoup d'autre Bertrigeois, j'ai participer à la recherche de Laeticia (mise d'affiche dans toute la région, fouille des étendue de bois,...)
Citation :
Ces semaines qui ébranlèrent la Belgique
Ce 1er mars, Dutroux, Martin, Lelièvre et Nihoul comparaîtront aux assises. Le Soir décortique le dossier et ses conséquences sur notre société.
Le procès de Marc Dutroux, Michelle Martin, Michel Lelièvre et Michel Nihoul approche. La fièvre monte dans les médias. Il ne se passe plus guère de jour sans qu’une « révélation », vraie ou supposée, sans qu’un aspect, anecdotique ou signifiant, du dossier ne soit publié dans la presse.
Tant mieux : l’affaire sera ainsi plus présente à l’esprit des Belges au moment du procès. Tant pis : le lecteur/auditeur/téléspectateur se noie dans un tourbillon de nouvelles hétérogènes dont il ne parvient plus à trouver le fil rouge.
« Le Soir » veut aider ses lecteurs à ne pas être submergés. La perche qu’il leur tend, c’est le dossier. Les faits. Rien que les faits. Les actes de Dutroux et consorts. Pour en revenir à l’essentiel : la mort et les souffrances de Julie Lejeune, Melissa Russo, An Marchal et Eefje Lambrecks ; la captivité et les souffrances de Sabine Dardenne et de Lætitia Delhez.
Le cœur du procès, ce sont ces enfants, ces jeunes filles, les sévices qu’elles ont subis, les tortures qui leur furent infligées, physiques et morales, la mort qui s’ensuivit pour quatre d’entre elles, la douleur et la perpétuité du souvenir pour les deux autres.
Ce que nous allons vous livrer pendant 30 jours est souvent brutal, parfois même à la limite du supportable. Nous n’avons pas voulu édulcorer les faits. L’affaire Dutroux, c’est ça, c’est cette réalité-là, dont il ne faut pas se détourner. Ni par décence, ni même par respect. Car le seul respect dû aux victimes, c’est de dire de quoi elles ont été victimes. Et de révéler de quelles aberrations humaines sont capables leurs tortionnaires. Sans complaisance. Mais également sans curiosité malsaine, sans voyeurisme ni exhibitionnisme.
Sans cet exercice de confrontation à la réalité, l’affaire Dutroux perd de sa vérité, perd de son sens. Elle redevient un banal fait divers. Julie, Melissa, An, Eefje, Sabine, Lætitia n’ont pas été victimes d’un banal fait divers. L’affaire Dutroux n’est pas une affaire triviale. Réduire le procès qui va commencer devant la cour d’assises d’Arlon à un procès ordinaire, comme il s’en déroule des dizaines chaque année dans les cours d’assises du pays, serait plus qu’une erreur : une faute. Les 30 pages que nous allons consacrer à la réalité du dossier ne servent qu’à cela : empêcher l’affaire de se banaliser, empêcher le lecteur d’oublier des événements qui hélas ! s’embrouillent déjà dans la mémoire, empêcher la justice de faire de ce procès un procès comme les autres, empêcher de croire que tout est clair, qu’il n’y a plus de questions.
Des questions, le dossier en est encore rempli, vous le lirez ci-dessous. La principale : Dutroux a-t-il agi pour lui-même ou pour le compte d’un réseau ?
Nous ne possédons pas la réponse à cette question, qui se pose depuis l’arrestation de Dutroux, le 13 août 1996. Croyons-nous au réseau ? N’y croyons-nous pas ? L’attitude du « Soir » a toujours été de ne pas s’enfermer dans une posture. Jusqu’ici, aucune démonstration évidente de l’existence d’un réseau de pédophiles alimenté par Dutroux n’a été faite. Et nous ne croyons pas que les questions restées sans réponse en reçoivent une automatique avec l’existence d’un réseau. Ce qui ne nous empêche nullement de rester ouverts : le procès nous fournira peut-être – en tout cas nous l’espérons – les éléments dont nous manquons aujourd’hui pour se forger des certitudes.
L’affaire Dutroux nous a tous profondément changés. Tous les Belges se souviennent avec émotion de ces événements, de ces images, de leur joie d’avoir retrouvé Sabine et Lætitia, de leur désarroi devant les cadavres de Julie, Melissa, An, Eefje, de leur incompréhension, de leur chagrin aux funérailles des Liégeoises d’abord, des Flamandes ensuite, de leur peur de retrouver d’autres corps, de leur stupéfaction devant le constat que Marc Dutroux bénéficia d’un sentiment d’impunité en raison du laisser-faire, conscient ou non, que lui accorda le fonctionnement de la justice et de la police, de leur étonnement devant cette tranquille révolution blanche, de leur fascination pour les débats de cette commission d’enquête parlementaire, de leur anxiété à voir le régime belge au bord du précipice.
La Belgique était complètement déboussolée. La suite incessante des arrestations. Des policiers en taule. Les aberrations incompréhensibles des services de police. L’opération Othello, Decime. La retransmission des travaux de la commission d’enquête parlementaire en direct à la télévision. Les mensonges des uns et des autres. Les menaces de Marc Verwilghen. L’arrêt spaghetti. Les arrêts de travail à Volvo Gand et ailleurs. Les manifestations spontanées. Les pompiers arrosant de mousse les façades des palais de justice. Les témoignages ahurissants des X. Régina Louf et ses révélations. Les fouilles interminables à Sars-la-Buissière, Jumet, le charbonnage Saint-Louis à Jumet encore, dans les étangs Caluwart, même à Ixelles. Abrasax
On aurait pu croire que tout était gangrené, jusque dans les plus hautes sphères de l’Etat. Que la Belgique allait basculer. Que ce n’était plus qu’une question de semaines, de jours.
Et puis la tempête se calma. Le feu n’avait plus d’aliment à manger. On ne retrouva rien dans le charbonnage, dans les étangs, dans le jardin d’Ixelles. Abrasax, c’était de la frime. Et les témoignages X semblaient ne pas tenir la route devant la réalité des faits.
La Belgique s’apaisa. Mais une lame de fond l’avait bousculée en profondeur. La Belgique muta.
Cette effervescence anxieuse et ces transformations, « Le Soir » veut aussi les ramener à la mémoire des lecteurs. Après un voyage dans les 440.000 pages du dossier de l’affaire, nous allons décortiquer ses conséquences, son impact sur la société belge, les transformations que la Belgique a connues. L’affaire Dutroux a en quelque sorte tué la vieille Belgique, la vieille politique, la vieille police, la vieille justice. Elle a profondément marqué les rapports aux enfants. Elle a accru l’intérêt porté aux victimes. Elle a fait émerger un mouvement citoyen, qu’il s’appelle blanc ou pas, dans un pays où les citoyens n’étaient que des électeurs.
Ces pages nous mèneront jusqu’au procès. Et nous serons alors tous mieux à même d’en estimer les tenants et les aboutissants.
Bertrix, 12 août 1996, Dutroux devient une affaire
L'enlèvement de Lætitia, à Bertrix, entraîne la chute de Dutroux, qui se croyait invincible. L'opiniâtreté des gendarmes ardennais et du procureur Bourlet permet de sortir son nom des fichiers de police. Le Carolo tente par tous les moyens d'échapper aux enquêteurs.
LES FAITS (1/30)
En ce début du mois d'août 1996, Bertrix l'ardennaise jouit paisiblement, comme chaque année, des touristes qui sillonnent la région. Il y a les Hollandais des campings, les trois camps scouts installés à proximité, les cyclotouristes, les hôtels et les gîtes qui ont fait le plein. Le ronron estival est troublé dans la nuit du 9 au 10 lorsque la maman de Lætitia Delhez et sa grande sœur Sophie déboulent à la gendarmerie. Elles sont inquiètes. Elles viennent de faire, en vain, le tour de la ville : Lætitia n'est pas rentrée.
La jeune fille, âgée de 15 ans avait, de 10 h 15 à 14 h 15, aidé sa maman à nettoyer les salles de classe de l'institut Notre-Dame où c'était jour de grand nettoyage. Elle avait ensuite enfourché le porte-bagages du scooter de sa mère pour l'accompagner à Recogne. Au magasin Brantano, d'abord, pour y montrer cette paire de chaussures qui plairait tant à sa grande sœur. Au magasin Aldi ensuite, pour y faire quelques courses. Le soir, sa maman aurait bien voulu l'emmener au cinéma. Mais je n'avais pas trop de sous, de plus j'étais fatiguée, précise-t-elle à la gendarmerie.
A 19 h 30, Lætitia et sa sœur quittent le domicile maternel pour rallier la piscine de Bertrix. Sophie doit y retrouver son petit ami. Lætitia y rencontre des copines, Gaelle et Lindsay. Elle s'amuse avec elles dans la plaine de jeux jouxtant le complexe sportif. Elle rallie ensuite les gradins d'où elle regarde ses amies s'ébattre dans l'eau. Vers 20 h 45, Lætitia veut rentrer. Sa copine Lindsay raconte : Lætitia a sifflé après moi et m'a dit : « Je retourne chez moi » et elle est partie seule.
A l'extérieur de la piscine, Marc Dutroux et Michel Lelièvre sont prêts à passer à l'action. Ils se croient invincibles.
Au petit matin du samedi 10, le branle-bas de combat est sonné dans la région. Michel Bourlet, le procureur du Roi de Neufchâteau, prend les choses en main. Le juge d'instruction de garde, Jean-Marc Connerotte est avisé. Les brigades de gendarmerie de Marche-en-Famenne, de Bouillon, de Bertrix, les polices locales sont mobilisées. L'association Marc et Corine est alertée. Des battues sont annoncées.
Ce jour-là, tout le monde a en tête les disparitions de Julie et Melissa et celle de Sabine Dardenne, enlevées bien loin de la petite cité ardennaise. Mais, la veille même de l'enlèvement de Lætitia, hasard prémonitoire du calendrier, la piste de Sabine s'était imposée à Bertrix. Le 8 août, la brigade de gendarmerie locale procède à une enquête de voisinage dans la rue d'Orgéo. Elle montre aux habitants des photos de Sabine. Trois semaines plus tôt, un Bertrigeois en vacances à la Panne avait en effet signalé à la police locale qu'il avait reconnu dans une photo de Sabine diffusée le 25 juillet à la télévision l'enfant accompagnée d'un homme de 40 ans circulant le 23 juillet près du pont d'Orgéo. Les recherches, vaines, menées à Bertrix ce jour-là ne seront qu'une répétition de ce qui se lancera deux jours plus tard.
Des témoins, souvent de bonne foi, se manifestent. L'un a entendu des cris d'enfants. C'était un couple qui se disputait. D'autres, venus spécialement de Mons pour assister aux battues, affirment avoir vu Lætitia en compagnie d'un homme de 30-35 ans vêtu d'un anorak bleu à la sortie du village d'Assenois. Un radiesthésiste soutient que l'adolescente se trouve dans une maison abandonnée située à Bertrix à l'angle de la rue des Frênes et de la rue de Bohémont. La fouille des lieux ne débouche sur aucun résultat.
Les gendarmes de Bouillon se concentrent sur les amis de Lætitia. Travail de police classique : ces témoins des derniers instants où Lætitia a été vue ont peut-être, enfoui dans leur mémoire, ce détail insignifiant qui va permettre d'élucider le mystère. Cette stratégie, assaisonnée d'un solide zeste de chance et de beaucoup de perspicacité, va payer. Une information intéressante leur est transmise par Sophie, la sœur de Lætitia.
Elle leur raconte qu'une de ses amies, Virginie, lui aurait signalé, le vendredi soir, vers 23 h 30, alors qu'elle parcourait la ville à la recherche de Lætitia, celle-ci avait été vue par « des jeunes gens » remontant de la piscine, en compagnie d'une autre amie. Je pensais qu'il s'agissait de Cathy, l'une de ses relations, confie Virginie aux gendarmes Peters et Sevrin. Je n'ai pas été témoin direct de cela, mais je sais aussi que Cathy n'est pas rentrée chez elle ce soir-là. Je ne peux pas vous en dire plus sur les jeunes gens, garçon et fille, qui m'ont fait cette réflexion, je ne les connais pas. Interrogée à son tour, Cathy dément avoir vu Lætitia le vendredi soir et fournit un emploi du temps crédible.
Une nouvelle piste vaine ? Au cours de son interrogatoire, Virginie a pourtant lâché une petite phrase sur laquelle les deux gendarmes vont se braquer. En fin d'audition, elle déclare : J'ai remarqué aussi un homme bizarre. Il est entré dans le vestiaire et est entré dans les toilettes. Son signalement : chaussures brunes type Mephisto, paraissant âgé de 50 ans. Mon copain Benoît, indique-t-elle, l'a vu aussi, mais je ne sais pas s'il s'en souvient.
L'adjudant Peters et le maréchal des logis Sevrin veulent en avoir le cœur net. Le mardi 12 août, à 12 h 40, ils entendent Benoît leur confirmer qu'il n'a aucun souvenir du physique de cet « homme bizarre », car, explique-t-il, lorsqu'il est entré dans les toilettes, j'étais en train de lacer mes chaussures.
Et alors que la piste de l'inconnu des toilettes semble s'effondrer, les deux gendarmes lui demandent, à tout hasard, s'il n'a rien vu de bizarre ce jour-là. Benoît reprend sa déclaration : Ce vendredi, j'ai remarqué devant mon domicile, garé quatre roues sur le trottoir, avant orienté vers le complexe sportif, un fourgon Renault Trafic de couleur blanche, tôlé, avec autocollants sur les vitres latérales arrière. Il portait l'immatriculation FRR et 69 et 2 ou 7. Je me suis inquiété de la présence de ce véhicule suite à la crainte du vol de mon vélo.
Benoît explique encore qu'il y avait au volant un homme curieux, que les autocollants évoquaient des lieux touristiques, qu'il a retenu la composition générale de la plaque minéralogique grâce à un moyen mnémotechnique ; qu'enfin il s'est étonné qu'une camionnette aussi vieille et mal entretenue portait une plaque aussi récente.
Les gendarmes tiennent enfin un élément concret. Sans la « petite phrase » de Virginie, sans les ragots relatifs à Cathy, jamais, sans doute, ils ne seraient retombés sur Benoît et son témoignage précis. Dès cette audition terminée, Jean-Pierre Peters et Gilles Sevrin entretiennent l'espoir que les ordinateurs du BCR (le Bureau central de recherches de la gendarmerie) et ceux de la DIV (Direction de l'immatriculation des véhicules) vont pouvoir leur permettre de poser un pas supplémentaire dans la résolution de la disparition de Lætitia. Ils notent dans leur procès-verbal, le mardi 12 août, à 13 h 40 : Etant en possession du numéro d'immatriculation débutant par les lettres FRR, nous demandons au BCR l'extraction des véhicules Renault débutant par les mêmes lettres. L'extraction comporte 77 véhicules dont un seul ressort pour un véhicule Renault Trafic. Le titulaire de ce véhicule (NDLR : immatriculé de fait FRR672) serait un certain Dutroux Marc, de Charleroi. Des vérifications doivent être menées en ce qui concerne cette personne.
L'identité judiciaire apporte un surcroît de certitude : Dutroux est sorti de prison quatre ans plus tôt après une série de rapts d'enfants et de jeunes filles. Le poisson est ferré. Il faut désormais le prendre. L'hallali est sonné. Le procureur Michel Bourlet, véritable chef d'orchestre de cette enquête menée au pas de charge, informe le juge d'instruction Connerotte, qui découvre pour la première fois le nom de celui qui fera sa gloire et obtiendra, plus tard, sa tête devant la Cour de cassation.
Dutroux est localisé. Ses proches sont identifiés grâce à des observations menées par les équipes Posa de la gendarmerie. La BSR de Thuin est chargée d'intercepter Dutroux. A Bertrix, on vérifie, ultime précaution, s'il n'est pas l'un des 4.700 « résidents secondaires » qui disposent d'un logement dans la région où Lætitia aurait pu être séquestrée. Le 13 août, à 14 heures, les gendarmes investissent à Sars-la-Buissière la maison du 43, rue de Rubignies, où réside Michelle Martin. Dutroux et Lelièvre sont là aussi. Dutroux vient d'ôter les plaques de son Renault Trafic pour les apposer sur une Ford Sierra. A la gendarmerie de Charleroi, il raconte lui-même les circonstances de son arrestation : Lorsque j'ai vu des personnes entrer par l'arrière de la propriété, j'ai pris peur et je me suis sauvé. Plus exactement, j'ai pris peur lorsque j'ai vu un homme sortir de la voiture avec une mitraillette. Je n'ai pas eu le temps d'aller très loin car, après une dizaine de mètres, il m'a rattrapé. Comme il n'avait pas tiré, j'ai cru qu'il n'en voulait pas à ma personne et je me suis arrêté. J'ai ensuite été immobilisé sur place. Un bandeau m'a été placé sur les yeux et j'ai été menotté avant d'être ramené à la brigade de gendarmerie. Jusqu'à présent, j'ignore le motif de mon interpellation. Je n'ai aucune idée de ce motif.
Il est à ce moment-là 15 h 15. Le chef d'enquête Michel Demoulin, de la BSR de Marche-en-Famenne, qui s'est transporté au Pays noir, laisse parler Marc Dutroux. Il découvre pour la première fois l'homme qui va l'occuper professionnellement pendant plus de cinq ans. Dutroux parle en abondance. De banalités. Il évoque sa relation avec Michelle Martin. Il parle de ses voitures. Il fait étalage de ses connaissances en matière de procédure d'immatriculation des véhicules. Il prétend que son Renault Trafic est actuellement en panne de moteur et ce depuis une quinzaine de jours. Le véhicule ne démarre pas. Cependant, ajoute-il, je pense qu'en le tractant le moteur devrait pouvoir prendre, mais je n'en suis pas sûr.
Après plus d'une heure, le gendarme hausse le ton. Dutroux réagit : Vous me faites remarquer que je suis très vague dans mes réponses et que vous me suspectez de vouloir cacher certaines choses. Dutroux tente de se libérer de l'étau qui inexorablement se resserre sur lui : J'ai de gros problèmes psychologiques. Je souffre de crises de désespoir. Je me révolte contre moi-même. Je souffre également de problèmes de mémoire. J'oublie tout.
Michel Demoulin passe à l'attaque.
- Où avez-vous passé les cinq dernières nuits ?
- J'ai peut-être dormi à Sars (NDLR : chez Michelle Martin) ou à Marcinelle, je n'en sais rien.
- Qu'avez-vous fait ces cinq derniers jours ?
- Je n'ai rien fait de marquant, je ne me souviens de plus rien.
- Avez-vous suivi l'actualité de ces derniers jours ?
- Non, je ne sais pas ce qui s'est passé en Belgique. Je ne regarde pas la TV et je ne lis que « L'Echo de la Bourse » lorsque j'en ai envie. Aujourd'hui, j'ai parcouru les titres.
- Connaissez-vous des personnes correspondant au prénom de Lætitia ?
- Non.
- Vous êtes vous déjà rendu dans les Ardennes ?
- Cela m'est arrivé. Quand il fait beau, je roule et je vais n'importe où.
- Vous êtes-vous déjà rendu à Bertrix ?
- Je connais tellement de communes que je ne sais pas.
A 20 h 30, cette première audition de Marc Dutroux s'achève. Son numéro d'amnésique ne va pas résister longtemps à l'interrogatoire serré de l'adjudant Demoulin. A 23 h 25, comme on le lira dans nos prochaines éditions, Dutroux est replacé sur la sellette. Au milieu de la nuit, il fait une première concession : Je pense que tout ceci a assez duré. Je suis disposé à vous dire toute la vérité concernant le fait qui vous occupe. Il va encore mentir.•
« Cette fille est en vie »
Le corps-à-corps avec Marc Dutroux se poursuit dans la nuit. Lelièvre, réarrêté, finit par avouer. Dutroux est contraint de céder. Le 15 août 1996, il livre aux gendarmes les secrets de son antre. Sabine et Lætitia lui demandent la permission de sortir de la cache.
LE DOSSIER (2/30)
Retrouvons Marc Dutroux dans la chambre de passage de la brigade de gendarmerie de Marche-en-Famenne où il a été enfermé après avoir subi, ce 13 août 1996, un premier interrogatoire de 15 h 15 à 20 h 30 (« Le Soir » d'hier).
Il est 23 h 25. Durant près de trois heures, l'adjudant de BSR Michel Demoulin et son collègue Jean Laboul ont laissé mariner leur prisonnier dans cette petite pièce inconfortable où du café et des sandwichs ont été servis à Dutroux. Il se plaint de souffrir d'hypoglycémie. Il a exigé qu'on lui apporte du sucre. Durant ces trois longues heures d'interruption, le juge d'instruction Jean-Marc Connerotte et le procureur Michel Bourlet ont été mis au courant de l'évolution de l'interrogatoire. La stratégie de confrontation avec celui qui se profile d'heure en heure comme le suspect nº 1 a été affinée. La nuit promet d'être longue.
- Qu'avez-vous encore fait le vendredi 9 août (NDLR : le jour de l'enlèvement de Sabine) ? commencent les enquêteurs.
- Rien de marquant, réplique Dutroux.
- Que faisait votre femme Martin Michelle ?
- Elle devait être chez elle.
- Qu'avez-vous fait le samedi 10 août 1996 ?
- Je ne sais pas.
- Qu'avez-vous fait le dimanche 11 août ?
- Je ne sais plus. Sauf que je me rappelle avoir été chercher une voiture à Bruxelles. J'ajoute que le samedi, M. Nihoul m'avait téléphoné pour que j'aille chercher la voiture.
Le nom de l'homme d'affaires bruxellois survient pour la première fois.
La nuit est déjà bien avancée. Dutroux est excédé. Il sait qu'ils ne le lâcheront pas. Il a d'ailleurs appris, dès le début de son interrogatoire, que le lendemain matin, le 14 août à 10 heures, il sera présenté au juge d'instruction Connerotte. Dutroux sait ce que ce mandat d'amener signifie : une arrestation et une nouvelle longue détention qu'il veut à tout prix éviter.
Dutroux essaie de s'en sortir en concédant quelques miettes d'une vérité tronquée : Je pense que tout cela a assez duré. Je suis disposé à vous dire toute la vérité concernant le fait qui vous occupe.
Ses trois heures de réflexion passées dans le cachot de la brigade lui ont laissé le temps de se construire une histoire qu'il débite avec beaucoup de conviction : Je suis effectivement au courant de la disparition de Lætitia. Bien que je ne sache pas ce qu'il est advenu de cette fille, je suis cependant au courant de pas mal de choses.
Et il raconte candidement être parti dans la journée du vendredi 9 août sans avoir de destination particulière et avoir roulé au hasard jusqu'à une ville où par la suite j'apprendrai qu'il s'y déroulait des courses de mobylettes.
Cette ville, il ne la nomme pas. Il se souvient que, quelques heures plus tôt, il avait affirmé aux gendarmes ne pas connaître Bertrix.
- Arrivé dans cette ville, poursuit-il, je me suis promené tant à pied qu'avec mon véhicule. Je ne sais plus très bien tout ce que j'ai fait dans cette ville, je ne me souviens plus des endroits particuliers où j'avais stationné mon véhicule. Dans l'après-midi, j'ai flâné en ville, sans but précis. Je regardais les filles et je me dépaysais. Arrivé dans la descente, mon moteur a « scafoté ». Il allait de moins en moins bien. Je me suis garé là. J'étais dans la pente parce que j'avais peur que mon moteur ne redémarre pas. J'ai ouvert la porte coulissante, je me suis assis derrière dans le mobil-home et j'ai bu un coup de jus.
Lætitia, qu'il n'a pas encore nommée, surgit à ce moment-là dans son récit : J'ai vu une jolie fille. Elle était habillée comme les filles s'habillent en été, soit très court. Lorsqu'elle est passée devant moi, je lui ai dit bonjour. Elle s'intéressait au mobile home. Je lui ai dit : « Tu peux bien monter. » Elle s'est assise à l'arrière près de moi sur la banquette. On a parlé. Je lui ai dit que j'avais envie de me changer les idées. C'est par elle que j'ai su qu'il y avait les 24 Heures de mobylettes. J'ai parlé un peu pour savoir son âge. Elle m'a dit quinze ans, quelque chose comme ça. Nous étions toujours dans la camionnette. Elle m'a aussi dit qu'elle en avait marre. Qu'il y avait des problèmes dans la famille. En discutant, je voyais qu'elle était liante, apparemment facile. Elle n'était pas peureuse. Quand j'ai su son âge, j'ai été déçu. Je me suis dit : « Ce n'est pas la bonne affaire, je n'ai pas envie d'avoir des emmerdes. » On s'est quitté.
Marc Dutroux, pressé de questions par les gendarmes incrédules, concède : Je l'ai prise par la taille. Elle s'est laissé faire. Elle ne s'est pas débattue. Je n'ai pas insisté. Elle n'était ni pour ni contre. Je n'ai pas caressé ses seins et ne l'ai pas pelotée. Je vous signale que je n'ai jamais attenté à sa personne, que je n'ai pas eu de relations sexuelles avec elle et qu'en tout cas je ne l'ai pas tuée.
Il est 4 heures. Il croit encore que son « histoire » peut tenir le cap. Car il sait que les perquisitions en cours dans sa maison de Marcinelle n'ont toujours pas livré leur secret. Les dizaines d'enquêteurs, les chiens qui se sont succédé ce jour-là et la veille dans les caves de sa maison n'ont toujours pas retrouvé Lætitia et Sabine qui se terrent au fond de la cache protégée par la lourde porte étagère de 200 kilos de ciment qui se confond avec le mur blanc.
Six heures plus tard, Marc Dutroux est introduit dans le cabinet du juge d'instruction Jean-Marc Connerotte, à Neufchâteau. C'est la première fois qu'il gravit les marches du désormais célèbre palais de justice. Au terme d'une audition qui se termine à 11 h 40, le juge l'inculpe de l'enlèvement et de la séquestration de Lætitia Delhez. Dutroux a fidèlement répété au juge l'histoire qu'il a livrée la nuit précédente aux enquêteurs. Je trouve l'inculpation anormale, lâche-t-il au juge Connerotte.
Le lendemain, le 15 août à 15 h 30, Dutroux est à nouveau extrait de sa cellule par l'adjudant Michel Demoulin et son collègue Laboul. Il ne sait pas ce que ces deux-là viennent d'apprendre de la bouche de leurs collègues de la BSR de Neufchâteau, l'adjudant-chef Gérard Degives et son collègue André Collin.
A 13 heures, ceux-ci ont repris l'interrogatoire de Michel Lelièvre, mis sur la sellette dès son arrestation le 13 août, mais libéré avant d'être réarrêté le 14 après avoir été reconnu par des témoins comme l'homme qui accompagnait Marc Dutroux le vendredi 9 à bord du mobile home Renault. Lelièvre est mal. Très mal. Il demande, dès le début de son interrogatoire, l'intervention d'un médecin. Il est en manque : À la suite des événements que je vais vous expliquer, se lance-t-il, j'ai consommé beaucoup d'héroïne et je ressens maintenant les effets du manque.
Il avoue. Bertrix. L'enlèvement de Lætitia. Les cris de terreur de la jeune fille L'arrivée à Marcinelle, où il abandonne Dutroux et sa proie : Toi tu as fini, m'a-t-il dit. Tu peux y aller. Ta dette (NDLR : des arriérés de loyer, principalement) est apurée.
Les enquêteurs le pressent :
- Où est-elle ?, demandent-ils à Lelièvre.
- Moi, je l'ai déposée à Marcinelle, chez Marc, et je n'en sais pas plus. Je ne sais pas si Marc a pu abuser d'elle ou s'il a pu la tuer. C'est en regardant la télévision chez Maryse (NDLR : son amie) samedi soir que je me suis rendu compte que Marc ne l'avait pas libérée. J'ai tout de suite changé de chaîne.
Il est 15 h 05. Le médecin vient soulager Michel Lelièvre de son manque de drogue. Dans une autre salle d'interrogatoire, l'adjudant Demoulin et son équipier, forts de ces aveux, reprennent Dutroux en main. A 15 h 30, il craque, contraint et forcé d'admettre la vérité à la suite des aveux de Lelièvre.
- J'ai effectivement enlevé la petite Lætitia à Bertrix le vendredi. J'étais effectivement en compagnie de Michel Lelièvre lorsque les faits se sont passés. Actuellement, cette fille est encore en vie. Je suis d'accord d'aller vous montrer où elle se trouve. Elle est en compagnie de Sabine que j'ai également enlevée. Je suis d'accord d'aller avec vous tout de suite pour vous montrer où elle se trouve. Prenez les clés de Marcinelle, je vous montrerai.
Dutroux accepte dans la foulée de signer, futile obligation administrative, une « autorisation de perquisition » par laquelle il marque son accord à la visite domiciliaire en sa demeure, ses dépendances et toutes les pièces que j'occupe afin d'y faire toutes les recherches jugées nécessaires et (NDLR : mention ajoutée à la main) d'y retrouver les deux jeunes filles Lætitia et Sabine. A 18 h 30, Marc Dutroux et les gendarmes se retrouvent dans la cave de Marcinelle. Dutroux enlève les boîtes et les packs d'eau qui encombrent l'étagère dissimulant la porte secrète et fait basculer l'entrée de son antre.
Les gendarmes consignent sur procès-verbal cette scène hallucinante : À l'intérieur se trouvent deux filles. Elles sont nues et se terrent dans un coin. Elles sont paniquées. Les filles en question ne croient pas que ce sont des membres de la gendarmerie en habits civils qui sont présents. Marc Dutroux, qui avait pénétré dans l'entrée de la cache, dit : « Vous pouvez venir. » Les filles ont alors répondu « Non, il y en a d'autres qui sont avec vous. » Marc Dutroux dit : « Ce sont des gendarmes. » D'un ton interrogatif, les filles ont demandé : « C'est vrai ? », ce à quoi nous les avons rassurées sur notre qualité. Sabine disait de façon répétée : « C'est vrai, je vais revoir maman. » Nous invitons les filles à sortir. Après une longue hésitation, elles se décident. Cependant, avant de sortir, Sabine voulait récupérer un sac de vêtements. Elle nous remet ce sac en plastique tout en disant : « Merci, merci, Messieurs. » Elle s'est adressée à Dutroux en disant : « Merci aussi à vous, Monsieur. » Juste avant de sortir, Sabine a demandé à Dutroux pour emporter ses crayons de couleurs. Dutroux lui a dit « oui ». Lætitia, quant à elle, a demandé à Dutroux si elle pouvait emporter le flacon de parfum qui se trouvait sur l'étagère. Dutroux a dit « oui ». Les deux filles sont alors sorties de la cache. En passant à côté de Dutroux qui se trouvait à côté de la porte d'entrée de la cache, toutes les deux lui ont donné un baiser sur la joue. Les deux filles se sont ensuite jetées dans les bras des enquêteurs.
Leur image, sortant de la maison de Marcinelle et tournée par les caméras de VTM, a fait le tour du monde. Deux petites filles apeurées, pleurant, s'engouffrent dans les voitures de la gendarmerie pour enfin rejoindre leurs parents après avoir été conduites à la brigade de Charleroi. Sur la route, Sabine évoque déjà son calvaire. Elle parle aux gendarmes, aux assistantes sociales. Elle leur livre quelques fragments de l'horreur subie dans la cache durant deux mois et demi. Les violences subies. Le pain pourri qu'il lui laissait. Il m'a dit que mes parents ne voulaient pas payer la rançon et ne pensaient plus à moi et que le « chef » voulait me liquider.
Marc Dutroux, à ce moment-là, a d'autres préoccupations. Au moment de quitter la maison, il demande de retourner dans la cache. Nous l'accompagnons, consignent les enquêteurs dans leur procès-verbal. Celui-ci nous remet un sachet en plastique contenant des titres. (NDLR : d'une valeur de 1,5 million d'anciens francs.) Dutroux nous demande de prendre les mesures afin qu'ils ne disparaissent pas.•
Marc Dutroux conduit le juge aux corps de Julie et Melissa
Le samedi 17 août 1996, à Sars-la-Buissière, les fouilles sont en cours. Dutroux n'a plus le choix : il avoue où il a enterré les corps de Julie et de Melissa et de Bernard Weinstein. Il emmène les enquêteurs au fond de la prairie. Autour de sa propriété, la foule exprime sa colère.
LE DOSSIER (3/30)
Il est 12 h 15 ce samedi 17 août. Marc Dutroux signe enfin le procès-verbal qui rend compte de son audition commencée le jour même à 9 h 20. Ces six pages d'audition, il les a triturées dans tous les sens, biffant certains mots, rajoutant de sa main des considérations qui minimisent sa responsabilité. Bien qu'il me soit très difficile de repenser à tout cela devant témoins et dans ma solitude, je l'ai fait spontanément, écrit-il au centre de la page 6, comme si l'horrible vérité qu'il vient de dévoiler devait ajouter une vraisemblance forcée à tous ses mensonges ultérieurs.
Trois heures plus tôt, à peine entré dans la salle d'auditions, Dutroux, prisonnier de l'étau qui se resserre sur ses secrets, s'est lâché.
- Je suis disposé à vous dire toute la vérité.
Toute ? En tout cas la sienne. Mais, ce jour-là, ce ne sont pas ses contradictions ou ses mensonges qui importent. Le juge, le procureur, les enquêteurs veulent seulement le faire avouer : savoir ce qu'il est advenu de Julie et de Melissa, d'An et d'Eefje.
Dutroux débute son récit. Il parle de Bernard Weinstein, son ami depuis 1994, et de Lelièvre, qu'il connaît depuis deux ans aussi. Il les désigne tous deux comme les auteurs du rapt de Julie et de Melissa, une affirmation sur laquelle il reviendra dans les mois qui suivent.
- A une date que je ne sais plus préciser, se lance-t-il, j'ai dit à Michel Lelièvre que j'aurais bien voulu une fille. Je ne lui ai pas dit pourquoi. Il me demandait 50.000 francs pour me la livrer. Ma surprise a été énorme lorsqu'un jour je suis rentré chez moi. Deux gamines étaient dans la maison. Elles étaient réveillées. Je saurai par la suite qu'il s'agissait de Julie et de Melissa. Michel Lelièvre qui était seul avec les filles m'a dit qu'il avait fait le coup avec Bernard Weinstein. Au départ, je ne voulais pas les filles parce que c'était des gamines. Ce n'était pas ce que j'avais demandé, avouant ainsi qu'il voulait, en ce mois de juin 1995, s'approprier une fille.
Marc Dutroux embraie rapidement sur « l'épisode An et Eefje ». Cet enlèvement a été réalisé par Bernard Weinstein, Michel Lelièvre et un autre, dont il ne cite pas le nom. Weinstein a bon dos. Il est mort. Il ne se défendra plus. Quant à Lelièvre, Dutroux sait, à ce moment-là, que l'avant-veille (« Le Soir » d'hier), le toxicomane l'a « balancé » pour l'enlèvement et la séquestration de Lætitia et Sabine. Il fulmine de rage à son encontre. Il ne va plus l'épargner, le chargeant de nombreux maux pour mieux les éloigner de lui.
Dutroux affirme qu'il a fait l'amour avec Eefje et qu'elle était consentante. Rappelons qu'il est accusé de viol. Dutroux lâche une formule vulgaire puis se ravise et préfère biffer de sa main cette formulation pour y substituer un plus convenable : J'ai passé à l'acte la veille de son départ. Il façonne déjà l'image qu'il compte bien donner de lui aux assises.
Après quelques jours, précise alors Dutroux, Bernard Weinstein et Michel Lelièvre sont enfin partis avec les filles. Le troisième homme, je ne l'ai vu que le jour de l'enlèvement et jamais plus après. Les filles, je ne les ai plus jamais revues. Je n'ai aucune idée de ce qui leur est arrivé. J'étais un peu embêté qu'elles partent, et, en même temps, cela m'arrangeait bien qu'elles ne soient plus là.
Bernard Weinstein ? Dutroux avoue lui avoir donné du Rohypnol en douce.
- Je lui ai mis une grosse dose et je l'ai enterré. Vivant : Il respirait encore lorsque je l'ai mis en terre.
Le Français voulait quitter la Belgique après avoir été impliqué dans une affaire de séquestration de trois jeunes gens qui allait aboutir à l'arrestation de Dutroux le 6 décembre 1995. Pendant le mois qui a précédé ma convocation à la police et mon arrestation, Bernard devait trouver une solution pour les deux filles (NDLR, il s'agit maintenant de Julie et Melissa). J'ai compris qu'il allait me laisser seul avec les deux filles ; il m'avait dit « Moi, de toute façon, je vais en France ».
Encore une fois, à l'issue de son audition, Marc Dutroux reprend son stylo à bille et tient à préciser : Sa seule solution était de liquider les filles, et, à défaut, je n'avais qu'à me débrouiller.
Cette phrase, écrite en pattes de mouche, forge jusqu'à maintenant sa ligne défensive : Weinstein voulait tuer Julie et Melissa, donc, moi qui voulais les protéger, je l'ai tué. J'ai donc jeté Bernard dans le trou. Ce mec est une ordure. Il foutait le camp, il partait en France. Je lui ai alors dit : Viens à la maison, on va faire le verre de l'adieu. Il est alors venu. Je savais que j'allais le supprimer.
Il raconte encore sa version : la mort des petites, laissées sans nourriture dans la cache pendant son incarcération du 6 décembre 1995 au 20 mars 1996 : J'avais prévenu Lelièvre. Je lui ai remis 50.000 francs. Je pensais qu'il allait s'en occuper. Mon incarcération est arrivée le 6 décembre 1996, et les deux filles sont donc restées dans la cave. Je pensais que Lelièvre allait s'en occuper. Deux mois après le début de mon incarcération, je sais que les filles étaient toujours en vie car j'ai retrouvé des dessins datés de cette époque. Elles étaient encore en bonne santé pour dessiner.
Il donne aux enquêteurs sa version de la mort des deux petites, découvertes agonisantes à sa sortie de prison. Julie, décédée dans les heures qui suivent et dont le corps fut placé dans le congélateur familial. Melissa, morte quelques jours plus tard.
Dutroux, sur le coup de midi, arrive au bout de sa déposition. Il revient à Julie et Melissa : Je les ai enterrées à côté de l'autre (NDLR : Weinstein). Il précise qu'il a creusé le trou avec la pelleteuse.
Il est 12 h 15. L'horreur appréhendée de ce qui est désormais « l'affaire Dutroux » vient d'éclater dans ce petit local d'audition.
Ce jour-là, le temps n'est cependant pas à la confrontation des déclarations du pervers, aux vérifications, à la traque aux mensonges.
L'urgence, ce samedi 17 août, c'est de se rendre à Sars-la-Buissière, de rendre aux enfants une sépulture, de dire enfin aux parents des petites disparues ce que fut l'échec de la traque de leur ravisseur. Un hélicoptère décolle. Il va repérer le terrain et cliche les parcelles sur lesquelles sont déjà déployés des dizaines d'enquêteurs. Dutroux est emmené dans la propriété. Il y arrive à 16 heures. La juge d'instruction liégeoise Martine Doutrèwe, en charge du dossier Julie et Melissa, retrouve son collègue Jean-Marc Connerotte à Sars à 17 h 50.
L'adjudant Jean-Luc Saintviteux, de la brigade de Charleroi, est chargé de consigner les événements par écrit. Son rapport est la mémoire de ce samedi noir : Le nommé Dutroux se dirige directement vers le fond de la propriété et désigne sur la parcelle l'endroit où il aurait enseveli les corps, annote le gendarme. La veille, à cet endroit, un chien de décombres avait déjà marqué l'arrêt. Le sol est creusé sur un mètre de profondeur.
Ce 17/08/96, à 17 h 57, relève très précisément l'adjudant Saintviteux, au moyen de la grue présente sur les lieux (NDLR : la Liebherr à bac rétro appartenant à Dutroux), laquelle est actionnée par un membre de la Protection civile, débutent les recherches dans le fond de la propriété de Dutroux, à l'endroit indiqué par ses soins.
La parcelle est entièrement protégée des regards par des plantations. Un poulailler y a été érigé. Plus loin, se trouve le local du club colombophile local. A 18 h 30, poursuit l'adjudant, les recherches entreprises nous permettent de constater, alors que le bac rétro de la grue remonte à la surface, la présence d'un sac en plastique de teinte noire. La profondeur atteinte à ce moment-là par la pelle est de 2,7 mètres.
Sur le chantier de fouilles, tout s'arrête. Julie et Melissa sont retrouvées. Mortes. L'adjudant Saintviteux poursuit sa prise de notes, en indiquant que les deux corps ont été ficelés de la même manière (...) de façon à occuper l'espace le plus restreint possible.
Le chef d'enquête, l'adjudant Demoulin, de la BSR de Marche-en-Famenne, invite Dutroux, dont il a obtenu les aveux à s'approcher des corps. Il est alors 19 h 17, consigne son collègue Saintviteux. Dutroux identifie le corps de l'enfant portant la boucle d'oreille comme étant celui de la nommée Russo Melissa. L'examen du deuxième corps est ensuite effectué à 19 h 24, et Dutroux reconnaît aussi ce corps comme étant celui de la nommée Lejeune Julie à 19 h 27. L'adjudant Saintviteux griffonne dans son carnet : Le nommé Dutroux est resté impassible et n'a manifesté aucune réaction durant toutes les opérations de fouille, de découverte et d'examen des corps.
A l'extérieur du périmètre de sécurité, la foule, peu à peu, s'est rassemblée. La nouvelle a filtré. Des cris fusent : « A mort Dutroux ! ».
Un opportuniste marchand de fleurs, venu de la Louvière, est pris à partie par des manifestants qui lui reprochent son indécence. La police le réprimande, non pas pour écart moral, mais bien parce qu'il ne dispose pas de permis de marchand ambulant.
Encadré par des gendarmes, celui qui devient le personnage le plus haï de Belgique est rapidement évacué par hélicoptère. Il est 20 heures. Ces mesures ont été prises pour éviter tout débordement de la foule, note l'adjudant Saintviteux.
Au même moment, la pelleteuse reprend son macabre va-et-vient dans la parcelle de terre glaise où Dutroux affirme avoir enterré vivant Bernard Weinstein. A 20 h 25, un lambeau de chemise est remonté de 4 mètres de profondeur. Le dégagement du corps se poursuit jusqu'à 22 h 45.
Pendant ce temps, à la morgue de l'hôpital civil de Charleroi, les médecins légistes Abati et Beauthier procèdent à l'autopsie des deux petites victimes. Ils concluent : La cause de la mort est la privation de nourriture. Le corps de Melissa ne pèse plus que 16 kilos, celui de Julie 13 kilos. L'une et l'autre ont subi des sévices sexuels.
Dans la salle d'autopsie, des policiers et des magistrats ne peuvent retenir leurs larmes. Les corps des deux petites sont ramenées à Liège par la juge d'instruction Martine Doutrèwe.
A Grace-Hollogne, les Russo et les Lejeune ont appris la nouvelle. Ils ne pourront pas voir une dernière fois les corps, martyrisés, de leurs enfants.
Le 18 août, la Belgique se réveille en colère.•
Lætitia enlevée au terme d’une longue maraude
Le 9 août 1996, Marc Dutroux veut à tout prix « une fille ». Avec Michel Lelièvre, il parcourt les Ardennes. La panne de son mobile home ne l'arrête pas. Il enlève Lætitia devant la piscine de Bertrix. A l'arrivée à Marcinelle, des voisins le voient porter le corps de la jeune fille.
LE DOSSIER (4/30)
Marc Dutroux retombe toujours sur ses pattes. Pour se justifier, deux heures après la libération de Lætitia Delhez le 15 août 1996, il n'hésite pas à désigner la petite Sabine Dardenne comme « l'instigatrice » de l'enlèvement de la Bertrigeoise. Sabine voulait une copine pour rester avec elle, déclare-t-il aux enquêteurs. Elle s'ennuyait. Après quelques jours, il lui est très vite venu l'idée que je pouvais bien enlever une fille pour elle-même, afin qu'elle lui tienne compagnie.
Le pervers n'a de cesse, depuis août 1996, de parfaire cette ligne de défense : C'est pas moi, c'est les autres. Même si les autres, ce sont ses victimes.
Le mardi 6 août, Dutroux contraint Michel Lelièvre à monter à bord de son mobile home. Lelièvre sait qu'il s'agit, une nouvelle fois, d'enlever une fille. Pour apurer ta dette, lui a signifié Marc Dutroux qui dispose d'une créance de 60.000 francs auprès du jeune homme. A deux, ils prennent la route des Ardennes, une région que Lelièvre connaît bien : sa grand-mère disposait autrefois d'une caravane à Vresse-sur-Semois.
Ils empruntent la nationale 40 : Fontaine-Valmont, Beaumont, Philippeville et Beauraing sont dépassés. Lelièvre suggère de rallier Bouillon. Ils s'y rendent en passant par Vonêche, Gedinne-gare, Bièvre, le carrefour de Menuchenet avant de rejoindre la nationale 89. A Bouillon, ils maraudent dans les rues de la cité médiévale. Mais aucune proie ne s'offre à eux. Ils cherchent des campings, s'arrêtent sur la Semois au pont de Cordemoy, puis se dirigent vers Bohan en passant par Poupehan et Rochehaut.
A Bohan, Dutroux doit retenir Lelièvre qui vient de repérer une Lada Niva de couleur bordeaux stationnée dans la rue Mont les Champs. Il veut la voler. Dutroux s'interpose. L'objectif de la journée n'est pas cette voiture. La nuit est tombée. Les deux comparses s'endorment dans le mobile home garé sur un parking.
Le lendemain, mercredi 7 août, leur équipée reprend. Ils empruntent de petites routes, longent la Semois par un chemin forestier, toujours aux aguets d'une proie. Ils arrivent, cahin-caha, à Membre où ils rôdent autour du camping, fort fréquenté en cette saison. Ils repartent vers Vresse-sur-Semois, là où Lelièvre campait dans son enfance. Ils patrouillent le long de la rivière dans l'espoir d'y repérer la jeune fille que veut Dutroux. Les deux comparses rallient Chairière, puis Alle, et se dirigent vers Mouzaive. Le long de la Semois, à hauteur du camping du Héron, ils aperçoivent huit jeunes filles nues se baignant dans la Semois. La présence, à proximité, de deux camions de pompiers les empêche de passer à l'acte.
Leur errance les conduit à Rochehaut. Dutroux y achète du Cécémel au magasin Spar. Ils retrouvent la Semois à Poupehan où ils rôdent autour d'une plaine de jeux. Il y a trop de monde. Ils prennent une consommation, que Lelièvre paie, au café « Le vieux moulin », avant de reprendre la route vers Corbion et Bertrix, cette ville où Lelièvre certifie « qu'il y a de beaux coins ».
Ils s'intéressent d'abord au centre de loisirs Récréalle, mais le parking est payant et ils renoncent. Ils tentent une incursion à l'IC Camping mais font demi-tour. Ils avisent enfin le complexe sportif et la piscine. Ils y prennent connaissance des heures d'ouverture, jugent l'endroit « intéressant » et décident d'y revenir le samedi 9.
Sur la route du retour, ils passent par Florenville où Michel Lelièvre, jamais en manque d'un mauvais coup, vole un vélo sur le parking du magasin Unic. Dutroux lui promet de l'échanger, à l'issue de l'enlèvement, avec celui que Michelle Martin a acheté pour son fils Frédéric.
Le samedi 9 août, Michel Lelièvre n'est pas au rendez-vous fixé par Dutroux à 9 heures. Il s'est levé tard, s'est rendu chez son assureur, est passé prendre un sandwich à Charleroi, sur la place du Manège. A 14 heures, il retrouve Dutroux, impatient, à Marcinelle. Tous deux s'engouffrent dans le mobile home Renault et prennent la route des Ardennes vers 14 h 30. Une heure plus tard, à Gedinne, le moteur lâche. Dutroux contacte son assureur, la Smap. Un garagiste est appelé à la rescousse. Il tracte le véhicule jusque dans son atelier et y effectue les réparations d'urgence. Dutroux reprend le volant. Son moteur demeure faiblard, mais il n'en a cure : sa « mission » obsédante, ce jour-là, c'est de se trouver une fille.
Il est passé 20 h 30. A Bertrix, Dutroux se gare dans une descente, pour être sûr de redémarrer. Michel Lelièvre passe au volant. Dutroux s'en va vers la piscine. Leur plan est au point : quand Dutroux aura repéré la fille qui lui convient, il fera un signe à Lelièvre qui devra alors interpeller la jeune fille. Marc Dutroux, comme à son habitude, n'aura plus alors qu'à la pousser dans la camionnette.
Le 15 août 1996, à 13 heures, lorsqu'il passe aux aveux avant même que Dutroux n'ait consenti à montrer le fonctionnement de la porte de la cache, Michel Lelièvre se livre :
- Je l'ai vu qui attendait devant l'entrée de la piscine. Une fille est sortie du complexe. Elle a remonté la rue en direction de notre véhicule. Il a suivi cette fille. Lorsqu'il est arrivé à hauteur de notre véhicule, qui avait toujours la porte latérale ouverte, il a poussé la fille violemment à l'intérieur. Elle a crié une fois. Il est monté à son tour.
D'après Lelièvre, Dutroux lui hurle alors de démarrer.
- Je n'ai pas démarré directement parce que j'étais paniqué. J'ai démarré par à-coups. J'ai demandé à Marc : « Pour aller où ? » Il m'a dit : « Roule tout droit, je te dirai le chemin après. » J'ai entendu à ce moment-là la fille qui disait : « Vous n'allez pas me tuer, je veux revoir ma famille, mon petit frère, mes sœurs. »
Marc Dutroux réplique sèchement à sa victime apeurée : Tu fais ce que je te demande et tu reverras tout le monde.
- J'étais mal dans ma peau et je ne savais pas quoi faire, poursuit Michel Lelièvre. J'ai continué à conduire. Il était déjà trop tard pour moi, je ne pouvais plus reculer.
Le récit de Michel Lelièvre rencontre les dépositions de Lætitia. J'ai de suite demandé à l'homme s'il allait me faire mal, déclare-t-elle aux enquêteurs le 19 août 1996. Je tremblais, j'avais froid. Il m'a répondu : « Non, si tu fais ce que tu dis, tu n'auras rien. » Lorsque je lui ai demandé s'il avait déjà fait cela, il m'a répondu sans hésiter « oui » .
Lætitia confirme aussi que le mobile home Renault était dans un piètre état et que Lelièvre était mal à l'aise. Il y avait un problème avec le véhicule, déclare-t-elle. L'homme (NDLR : Dutroux) qui me tenait disait au conducteur comment il devait faire. On aurait dit que cet homme apprenait à conduire. Alors que la camionnette brinquebalante s'échappe de Bertrix, Marc Dutroux se retourne vers Lætitia. Il sort de sa poche une petite bouteille pourvue d'un compte-gouttes et contenant du Haldol.
- A deux reprises, témoigne Lætitia, il a aspiré du produit dans le compte-gouttes. Ensuite, il m'a mis le tout dans ma bouche. Pendant qu'il parlait avec son copain, j'ai craché tout sur le matelas et il ne l'a pas vu. Le produit avait un goût vraiment dégueulasse.
Dutroux n'en a pas fini avec ses médicaments. Il sort de sa poche une tablette de Rohypnol et en administre 5 cachets à l'adolescente.
- Les pilules en question étaient blanches, déclare Lætitia. Je pense que c'est une à une qu'il me les a mises dans la bouche. Il m'a ensuite donné une canette. J'ai alors recraché le tout dans la canette et ça a commencé à mousser. Il m'a alors dit : « Qu'est ce que tu as foutu pour que ça mousse ainsi ? » Je lui ai répondu : « Rien ». Il a alors pris la boîte et a avalé tout le contenu. Il a senti les médicaments mais il était trop tard. Il les avait avalés. Il m'a alors dit : « Je m'en fous, ça ne fait rien, je suis solide. » Il avait un rire malade. Il riait pour se foutre de ce qu'il venait de faire. Il me disait : « Toi, t'es une petite maligne. »
Dans sa déposition du 13 août, Michel Lelièvre parle aussi de ce piège qui se retourne contre Dutroux lui-même :
- Marc se trouvait avec la fille. Il est venu derrière moi et m'a dit : « Elle m'a eu. Je lui avais donné des médicaments et elle les a recrachés dans la boîte de Coca. » Il avait l'air bizarre. Il criait dans mon oreille.
Lætitia va s'endormir. Marc Dutroux l'a forcée à avaler une à une sept pilules de Rohypnol.
- Il m'a aussi remis deux fois des gouttes dans la bouche, précise-t-elle aux enquêteurs. Et cette fois, j'ai bien dû les avaler. Il me demandait tout le temps comment je m'appelais. J'étais en train d'étouffer à cause des cachets. Je lui ai répondu que je m'appelais Lætitia.
Dopé par les médicaments qu'il a absorbés, volontiers bavard sur le chemin du retour, Dutroux confie à Lelièvre sa satisfaction d'avoir enfin trouvé une fille qui lui convenait.
La camionnette, poussive, ne peut rouler à plus de 60 km/h. Le voyage de retour vers Marcinelle dure trois heures. Les ravisseurs se garent vers 23 h 30 devant le 128, route de Philippeville. Sur le pas de porte d'une maison voisine, des riverains devisent. Ils voient Dutroux sortir un corps emballé dans une couverture rose. Ils croient que c'est le petit Frédéric, endormi, que transporte son père. Ils ne voient pas la chevelure blonde et les jambes de jeune fille qui dépassent du tissu. L'un des voisins s'adresse à Marc Dutroux qui vacille en raison des médicaments qu'il a involontairement absorbés : J'ai trop bu, lui lance le pervers.
Michel Lelièvre voit Dutroux déposer Lætitia sur le carrelage de la pièce du rez-de-chaussée. Il s'inquiète : Les voisins ne l'ont pas vue ? Dutroux le rassure : Non ! Il le congédie, lui précisant qu'il est dans le « gaz ». Lelièvre s'en va récupérer sa voiture. Il est en manque. L'héroïne qu'il a consommée (1 gramme) au cours de l'expédition de Bertrix ne lui a pas suffi. Il se rend à la plaine de jeux de la chaussée de Bruxelles, connue des toxicomanes de Marcinelle pour se transformer à la nuit tombée en un marché de la drogue. Il n'y rencontre aucun dealer. Il décide de revenir chez Dutroux, sachant qu'il en dispose.
Il frappe à la porte close. Les voisins de Dutroux, goguenards, lui disent : Tu peux insister, car vu l'état dans lequel il est rentré, il doit sûrement dormir.
Après quelques minutes, Dutroux apparaît à la fenêtre. Il descend et précise à Lelièvre qu'il ne dispose pas de drogue. Dutroux porte encore son pantalon. Son torse est nu. Quelques instants plus tôt, il a appelé Michelle Martin qui réside chez sa mère à Waterloo. Sans doute pour lui annoncer qu'il disposait d'une deuxième fille à Marcinelle.
Michel Lelièvre lui demande : Où se trouve Lætitia ?
- Elle n'est plus là, lui réplique sèchement Dutroux. La jeune fille, inconsciente, est à ce moment-là enchaînée sur le lit de son ravisseur, au premier étage.
Deux jours plus tard, Michel Lelièvre revient chez Marc Dutroux.
- Je l'ai interrogé sur ce qu'était devenue Lætitia, dit-il aux enquêteurs. Il a répondu que de son côté le travail était effectué. J'en ai conclu que la fille n'était plus là et qu'il l'avait déjà livrée aux gens qui l'avaient commandée
Sabine et Lætitia, terrorisées dans la cache
Conditionnée par Marc Dutroux, Sabine croit que Lætitia représente un danger pour elle. Les conditions de vie dans la cache sont épouvantables. Dutroux leur fait croire que leurs parents ne veulent pas payer la rançon. Et qu'un mystérieux chef veut les tuer.
LE DOSSIER (5/30)
La perversité de Marc Dutroux est sans limite. Dès ses premières auditions, ainsi qu’on l’aura lu hier, il transforme l’enlèvement de Lætitia en un « service « rendu à la petite Sabine qui voulait, selon lui, disposer d’une copine dans la cache. Il ose de plus prétendre que les violences qu’il a infligées à Lætitia durant ses cinq jours de détention étaient des « initiations » auxquelles sa victime apeurée acquiesçait. Cette abjecte ligne de défense est récurrente chez Dutroux. On lira plus tard dans cette série qu’il soutient aussi qu’An et Eefje étaient également consentantes.
La jeune Bertrigeoise, elle, est terrifiée. Elle raconte son supplice aux enquêteurs : Lorsque je me suis réveillée (NDLR : le samedi 10, au lendemain de l’enlèvement), j’avais oublié ce qui venait d’arriver. J’étais couchée sur le dos dans un lit. Le lit en question était un lit superposé et je me trouvais dans le lit inférieur. J’avais une chaîne avec des maillons longs passés autour de la cheville gauche. Un cadenas était placé pour maintenir cette chaîne à la cheville. Il s’agissait d’un petit cadenas où la clef s’introduit par le dessous.
Cette chaîne est fixée au lit supérieur. Elle est longue : Je pouvais me lever pour me rendre vers un seau pour y faire pipi. Il s’agissait d’un seau en plastique avec un couvercle. J’avais remis le couvercle à l’envers et il m’avait dit sur un air moqueur : ça se met comme ça .
Lætitia ne sait pas, à ce moment-là, que les premières heures de sa séquestration, elle les a passées dans le lit de Marc Dutroux, enchaînée mais aux côtés de son ravisseur. Au lever du jour, il l’a transportée, encore inconsciente, dans l’un des lits superposés habituellement réservé à son fils aîné. A son réveil, Dutroux (dont elle ne connaîtra jamais le nom avant sa libération) lui demande ce qu’elle veut boire et manger. Des tartines au choco et du café au lait, lui répond-elle. Il lui apporte deux tranches de pain tapissées de pâte chocolatée bon marché qu’il réservait à ses enfants et à ses victimes. Lui, il utilisait de la pâte à tartiner de marque, du Nutella, qu’il était le seul de la famille à pouvoir consommer.
Lætitia n’avale qu’une tartine. Lui, vêtu d’un simple slip blanc, mange l’autre, assis par terre. Je n’osais pas le regarder, raconte Lætitia aux enquêteurs. Elle se souvient d’un détail : Le café avait plus le goût de l’eau que du café. Mais surtout : A chaque fois que je le voyais, j’avais peur. Je me dépêchais de manger et, après le repas, il repartait.
Un soir, Lætitia est interpellée par Dutroux qui surgit dans la chambre, complètement nu : Tu veux prendre un bain ? lui demande-t-il alors qu’elle est enchaînée sur son lit. Je lui ai répondu que oui, déclare-t-elle. Je ne pensais pas qu’il allait venir avec moi. C’était la nuit, il faisait noir lorsqu’il est venu me chercher. J’avais trop peur alors je faisais ce qu’il me disait.
Lætitia est sonnée. Le Rohypnol continue à faire son effet. Il m’a remise dans le lit, se souvient-elle. Il m’a attachée par le cou avec la chaîne. J’avais l’impression d’étouffer. Je lui ai demandé de desserrer. Il m’a dit : « Tu n’es pas folle, je sais passer mon poing ». Je suis restée attachée par le cou jusqu’au lendemain. Il ne m’a pas dit pourquoi il avait fait cela.
Au troisième jour de sa détention, Lætitia découvre l’existence de Sabine. Elle est toujours enchaînée sur son lit à l’étage, livrée aux caprices de son ravisseur. Le troisième jour seulement, raconte-t-elle, j’ai entendu parler en bas. Il s’agissait d’une petite voix, en plus de celle de Marc (NDLR : libérée, elle connaît désormais son nom et le dénomme ainsi lors de ses dépositions). Je pensais que cela devait être la voix d’une femme. Marc m’a alors dit qu’il y avait une fille dans le même cas que moi.
Le mensonge de Dutroux apparaît avec évidence : Lætitia découvre l’existence de Sabine par hasard. Ce n’est donc pas à la demande de sa petite prisonnière, prétendument désireuse d’avoir une copine, qu’il a décidé d’enlever Lætitia. Son seul mobile est d’assouvir ses pulsions perverses. Il déclare d’ailleurs, lors d’un de ses interrogatoires, que lorsque Lætitia est arrivée, il s’est sexuellement détourné de Sabine.
Dutroux, ce lundi 12 août 1996, intime donc l’ordre à Sabine de se présenter à Lætitia : Viens ici fifille !, lance-t-il à la gamine terrorisée. Elle est venue sans blouse. Elle portait juste un short, se souvient Lætitia. Elle était toute blanche. Elle me donnait l’impression qu’elle se faisait battre. Elle s’est mise accroupie. Elle était gênée. Je lui ai demandé comment elle s’appelait. Elle m’a répondu « Sabine ». Je lui ai demandé depuis combien de temps elle était là. Elle m’a dit deux mois et quatorze jours. Je lui ai demandé si elle avait une chance de revoir ses parents. Elle m’a répondu : « Ouf, une chance sur mille ».
Juste avant de mettre ses deux prisonnières en présence l’une de l’autre, Marc Dutroux glisse à l’oreille de Lætitia : J’ai une mauvaise nouvelle. Tes parents ne veulent pas payer la rançon. Il vient de mettre Lætitia au même niveau de conditionnement psychologique que la petite Sabine qui est persuadée que ses parents l’ont abandonnée, comme l’en a convaincue Dutroux.
La veille, Sabine a déjà vu Lætitia enchaînée sur son lit et endormie. Mais ce dimanche soir, Sabine s’est refusée à réveiller l’adolescente enlevée à Bertrix. Parce qu’elle est terrorisée. Il m’a demandé si je voulais qu’il l’éveille, déclare Sabine aux enquêteurs. Je lui ai répondu non car j’avais peur que si ses parents payaient la rançon, elle retournerait chez elle et dirait qu’elle m’avait vue. J’avais peur pour ma vie puisque mes parents à moi ne voulaient pas payer la rançon.
L’emprise de Marc Dutroux sur les deux fillettes est totale. Il est parvenu à convaincre Sabine que Lætitia était un danger pour sa propre survie. Il entend ainsi faire de Sabine son alliée, celle qui va suffisamment se méfier de Lætitia pour ne pas avoir la tentation de trahir son ravisseur, qui se présente en fait comme son protecteur qui empêche « le Chef » de la tuer.
Marc Dutroux fait descendre Sabine et Lætitia au rez-de-chaussée. Il leur enjoint de ne pas toucher les murs de la cage d’escaliers. Ils sont trop poussiéreux. Arrivé en bas, Dutroux impose à Sabine de s’exposer au soleil. Il l’avait obligée à se mettre sous la fenêtre du toit (NDLR : une bulle de plexiglas) au soleil, témoigne Lætitia. Elle devait s’y mettre torse nu. Il disait qu’elle devait prendre de la vitamine D. Elle devait bronzer. Elle était assise sur une chaise. Elle mettait sa blouse sur son visage. Elle n’aimait pas le soleil dans sa figure. Normal après avoir passé deux mois et 14 jours dans la pénombre de la cache.
Marc Dutroux ouvre ensuite la petite porte qui mène aux escaliers de la cave. Il y emmène ses deux prisonnières. Lætitia, pour la première fois, découvre sa geôle. J’ai trouvé cette cache petite et « con », confie-t-elle lapidairement aux enquêteurs. La grosse porte était ouverte. On est rentrés dans la cache. On ne pouvait mettre nos mains aux murs. Je suis allée sur le lit. Sabine, qui était venue sur le lit, a allumé la Sega. Marc est rentré dans la cache et s’est aussi mis sur le lit. Il doit être resté sur place environ un quart d’heure.
Lætitia s’endort. Dans son agenda, Sabine note de son écriture juvénile, face à la date du 12 août, la mention « copine ».
Le soir venu, Dutroux refait monter ses deux prisonnières. Elles mangent du lapin sans sauce. Dutroux essaie de les amadouer. Il leur montre des dessins. Sur l’un figurent un château et une biche. Comme si Marcinelle était le refuge du prince Charmant. Lui, il sait ce qu’il veut. Quand le repas a été terminé, se souvient Lætitia, Sabine a dû redescendre. Je me suis donc doutée à ce moment de ce qui risquait de se passer. J’ai donc suivi Sabine mais il m’a dit de remonter.
Lætitia est renvoyée par son violeur dans la cache fermée où grouillent les insectes. Je ne pouvais pas me tenir debout, dit Lætitia. Outre le premier déjeuner que nous avions pris ensemble, tous les autres repas nous les avons pris dans la cache. Comme nourriture, nous avions reçu un pain gris, six pommes, du beurre, du fromage, du lait, du sucre, du Nescafé, un percolateur, des bouteilles d’eau et des boîtes de conserve. Pendant les six jours, je n’ai pas eu un seul repas chaud. La boîte de boulettes que nous avons mangée était ce qu’il y avait de meilleur. Après deux jours, lorsqu’il n’était pas venu nous chercher, nous avions l’autorisation d’ouvrir une boîte de conserve. C’est Sabine qui m’avait expliqué cela.
Dans la cache, la vie des deux adolescentes est rude. Quelques jours à ce régime-là laissent entrevoir ce que fut le calvaire, durant trois mois et demi, de Julie et Melissa. Dans la cache, raconte Lætitia aux enquêteurs, il faisait très chaud. Il faisait un peu plus froid lorsqu’on arrêtait le chauffage. Nous disposions d’un bouton que nous faisions aller à droite ou à gauche pour actionner le chauffage. Il y avait un dispositif d’aération. Il n’était pas possible de l’arrêter. Il fonctionnait tout le temps. Seule la Sega marchait. La TV ne fonctionnait pas. Il n’y avait pas de radio. A cause de la couverture qui grattait et qui était remplie de peluches, j’ai eu des croûtes au coude.
Ce témoignage sur la vie dans la cache est capital. Lors de la séquestration de Julie et Melissa, le dispositif d’aération (un ventilateur qui faisait beaucoup de bruit, selon Michelle Martin) ne fonctionnait pas, rendant illusoire la vie dans la cache. Nous reviendrons sur le sort réservé par Dutroux aux deux petites Liégeoises.
Pour leurs besoins naturels, Sabine et Lætitia ne disposent que de deux seaux en plastique. Sabine, dit Lætitia, m’avait dit que nous devions les remplir à ras bord avant d’en changer. Il y avait également trois rouleaux de papier hygiénique. Le lit sur lequel nous nous couchions était trop petit pour moi. Mes pieds passaient.
Plus que l’inconfort et les sévices infligés par leur geôlier, c’est la peur de mourir qui tenaille les deux enfants. Dutroux leur a parlé du « Chef », de la « rançon ». Il leur affirme, raconte Lætitia, que lorsqu’il part en mission, un de ses copains devait amener de la nourriture. Lorsque la porte s’ouvrait, nous devions nous cacher et ne nous montrer que lorsque nous entendions sa voix à lui (NDLR : celle de Dutroux). Nous devions faire le moins de bruit possible si quelqu’un était dans la maison. Marc m’a dit qu’il avait un copain qui connaissait la cache. Qu’il ne pouvait pas nous voir s’il venait et qu’il fallait qu’on se cache sous les couvertures. Que s’il nous voyait, il nous tuerait. Il nous avait dit que ses copains étaient méchants. Il ne nous a pas dit pourquoi ils étaient méchants. Sabine a ajouté dans ce qu’elle m’a dit que parfois le chef venait dormir à la maison. Cependant, elle ne l’avait jamais vu. Elle disait que si elle l’avait vu, il l’aurait tuée .
Qui était le chef ? Une pure et cruelle invention de Dutroux pour s’assurer l’obéissance des enfants ? Pendant que je me trouvais dans la pièce où on mangeait, témoigne Lætitia, lors de conversations téléphoniques, j’ai entendu deux prénoms. Michel (comme les prénoms de Martin et Lelièvre) et Jean-Michel (comme celui de Nihoul). Je sais que Dutroux a dit lors d’une communication : Ça a marché
Source: ~lien~