Posté le : 02 Oct 2005 19:18
Je pense qu'il y a deux façons de classer l'art et donc d'essayer d'établir une hiérarchie.
La première façon est par la forme d'art (peinture, sculpture, ciné, littérature....). Etablir une hiérarchie dans cette classification est forcément subjectif, car nous ne sommes pas tous sensibles de la même façon aux différentes formes d'art. Mettez-moi devant une sculpture, vous aurez beau m'expliquer en long en large et en travers pourquoi c'est un chef d'oeuvre, il y a de grande chance que j'y reste complètement insensible. Ce n'est pas une question d'éducation ou de connaissance, pas vraiment. Par exemple j'ai eu une exposition similaire à la littérature, au cinéma et à la musique. Il en ressort de façon très nette que les mots savent me toucher d'une façon que les images et le sons ne pourront jamais le faire. Bien sur, je peux être sensible à certaines oeuvres cinématographiques ou musicales de façon aussi intense que pour la littérature que ce soit à un niveau émotionnel ou un niveau intellectuel mais de façon nettement moins fréquente et moins large que les oeuvres littéraires. C'est une histoire de goût qui dépend en fait de la façon dont mon esprit fonctionne : j'entend souvent dire que lorsqu'on lit, on est plus libre que lorsqu'on voit un film car on peu se créer ses propres images. A mes yeux, cette affirmation est une aberration, car pour moi tout l'intérêt de la lecture est de réduire au maximum l'interférence de l'image et du son : je suis sensible à des ambiances créées par des mots mais ce ne sont jamais des ambiance sonores ou visuelle. En fait au niveau sonore c'est le grand néant : je n’"entends" rien quand je lis. Je ne traduis jamais les indications sonore en sons même si j'intègre la notion du son. Si je lis qu'un personnage crie, je sais qu'il crie (et j'en déduis pourquoi l'auteur à fait crier son personnage selon le contexte : danger, colère, panique ect...) mais je ne l’"entends" pas crier. Et pour les images je ne "vois" pas grand chose : les très grandes lignes et encore. Je vois plus des schémas de décor que des décors, je ne vois jamais des personnages, seulement des silhouettes imprécises (même lorsque je lis des fics basées sur une oeuvre visuelle que je connais, je ne vois pas le visage des personnages). Quelque soit la minutie d'une description je ne visualise jamais de détail, tout au plus j'intègre la notion d'une particularité si ca doit jouer un rôle dans le récit).
Donc, au vu de ma sensibilité aux images, l'argument que les films sont supérieurs aux séries pour une raison d'esthétisme visuelle n'a aucun poids. Parce qu'en vérité, dans la grande majorité des cas, pour moi, séries ou films au niveau de l'image, c'est du pareil au même : c'est la même forme d'image animé. Ca va pas plus loin.
Par contre si on parle de narration (qui est un des éléments prépondérant de la littérature), là oui, je vais pouvoir dire que film et série ne sont pas la même chose et que c'est difficilement comparable vu les spécificités des deux genres à ce niveaux. Cependant en tenant compte de ces spécificités, je serais capable de dire "la narration de ce film est excellent" comme "la narration de cette série est excellente", sans que l'adjectif excellent est plus de valeur dans un cas ou dans l'autre.
En fait plus qu'une hiérarchie par forme d'art, j'établie une hiérarchie entre les 3 éléments que sont le sens, l'image et le son. A partir de là ca ne gène pas du tout de comparer le sens, qui est l'élément qui prime à mes yeux dans différentes formes d'art. Fondamentalement le sens reste le sens, quelque que soit le vecteur à travers lequel il s'exprime. A l'inverse quelque soit la qualité de l'image et du son, ca reste de l'image et du son, soit des éléments qui m'importent moins et qui ont donc moins d'importance (la plupart du temps) dans mon jugement de valeur.
Ce genre de comparaison me gêne d'autant moins quand on est dans un même courant et /ou genre artistique. Les courants artistique sont souvent communs à plusieurs formes d'art : romantisme, réalisme, surréalisme, ect...
Je classe BTVS dans le courant dit de l'imaginaire qui regroupe la Science Fiction, la fantasy et le fantastique. Beaucoup ont essayé de séparer dans la théorie ces trois genres, dans les faits les frontières sont souvent très floues et il n'est pas rare qu'une oeuvre emprunte a deux, voir au trois genres en même temps. Le point commun de ces trois genres, c'est que dans leur forme la plus aboutie, l'intérêt réside dans ce que les oeuvres disent à propos de nos sociétés. La SF, la fantasy, le fantastique ne parlent pas de monde inventées, de créatures merveilleuses, de futures ou de pouvoir magique. Ces 3 genres parlent de nous. De nos peurs, de nos espérances, de nos sentiments, de nos croyances, de nos rêves, de nos problèmes de société, de nos interrogations philosophiques. Grâce à l'imaginaire, sf, fantasy et fantastique se servent de métaphores et de symboles pour explorer notre passé et notre présent.
Le fait que BTVS soit une métaphore n'est pas propre à la série, c'est propre au courant dans lequel elle s'inscrit. Bien sur, comme dans tout courant, on peut trouver du très mauvais, du mauvais, du bon, du très bon et de l'excellent. Que ce soit en littérature, en film, en série, en BD, toute oeuvre appartenant à ces courants de l'imaginaire peut être jugée selon sa qualité métaphorique et symbolique. Et sur ce point-là, je place BTVS très haut. Pour moi elle fait partie des meilleures oeuvres de ce courant au même titre que le SDA, le cycle d'Hypérion, la Romance de Ténébreuse, la Horde du contrevent ou la Stratégie Ender.
Alors oui, les genres de l'imaginaire relèvent souvent du divertissement, mais pour les meilleures oeuvres de ces genres, leur porté dépasse de loin le divertissement. En fait c'est même faux de croire que les genres de l'imaginaire appartiennent forcemment à la culture populaire. Il est plus juste de dire que dans ces courants, certaines oeuvres appartiennent à la culture populaire tandis que d'autres s'inscrivent dans l'avant garde.
Et là, on ne vient à la seconde façon de hiérarchiser l'art : établir une hiérarchie entre l'art et l'art populaire, allant parfois jusqu'a refuser de qualifier d'art l'art populaire.
Pourtant l'art populaire a autant d'importance pour l'art qu'en a l'avant garde. Sans avant garde, sans art majeur, la culture meure. Mais sans art populaire la culture ne vie pas. C'est grâce à l'avant garde que naissent de nouvelles idées, de nouveaux courants, de nouvelles limites, c'est dans la culture populaire que ces nouveautés, entre temps assimilées, vivent. Si ce qui fut nouveautés ne passent pas à un moment ou à un autre dans la culture populaire, alors elles pourraient tout aussi bien ne jamais avoir existé.
Il a des chef d'oeuvres dans l'art populaire comme il y en a dans l'art. Et il y a des nullité dans l'art populaire comme il y en a dans l'art. Pourquoi, parce qu'il est plus facile d'accès, ne doit-on pas considérer l'art populaire comme de l'art ? L'art populaire est tout aussi porteur de sens et de beauté que l'art.
BTVS appartient à la culture populaire de part sa nature de série télévisée facilement abordable. Ce qui ne veut pas dire que BTVS ne sait pas faire preuve d’exigence. Tout d’abord une exigence dans l’attention que doit porter le spectateur à la narration. BTVS part du principe que les spectateurs savent être attentifs d’un épisode à l’autre mais aussi d’une saison à l’autre (plus que la forme du sérial, c’est dans la continuité et les annonces que se ressent cette exigence) .
Ensuite il y a une exigence dans les opinions véhiculées par la série qui ne sont pas si « populaires » que ca (même si elles ne sont pas novatrices). Par exemple, BTVS développe un point de vue similaire sur le paradis que le fait Michel Onfray dans son récent Traité d’Athéologie. Sur le féminisme, BTVS adopte des positions qui rejoignent en partie celles qu’expose Elizabeth Badinter dans son ouvrage Fausse route. Pas besoin d’une forme complexe pour exprimer un contenu pertinent.
Enfin il y a une exigence par rapport au statut même d’œuvre populaire. La culture populaire peut se permettre d’entraîner ses spectateurs sur des terrains qu’ils n’auraient pas explorer par eux-mêmes, soit qu’ils se sentent intimidés par la culture avec un grand C, soit que, comme moi, ils connaissent de fortes disproportions dans leur sensibilité artistique. C’est cette opportunité qu’a saisi Whedon dans des épisodes comme Hush, Restless, The Body ou OMWF. Je ne vois pas ces épisodes comme des exceptions qui élèvent la qualité de la série. Ce sont des épisodes qui profitent de la qualité de la série pour explorer d’autres territoires. Par exemple, Restless comporte la majorité des quelques images qui ont su me toucher sans aucune notion de sens derrière. Juste l’image pour l’image. Il est probable que j’aurais eu du mal à accrocher à une série entière ou un film dans la veine de Restless. Mais dans le cadre de BTVS j’ai pu accepter que le sens soit suspendu et me laisser essentiellement porter par les images pendant un épisode sans problème, parce que un épisode ne remet pas en question le sens sur la globalité de l’œuvre. Après plusieurs visionnage il est évident que Restless est chargé de sens mais l’impact purement visuel ne disparaît pas pour autant. Je suis tellement fascinée par l’image au moment où Buffy récite sa tirade dans la pièce de théâtre (dans le rêve de Willow) que j’en oublie de lire les sous-titres. Je suis bien plus intéressée par voir que par comprendre le passage où Buffy joue dans le bac sable avec Gilles et Spike qui font de la balançoire. BTVS a su faire appel à ma sensibilité visuelle mais aussi acoustique à certaines occasions, comme peut d’œuvres cinématographiques ou musicales ont pu le faire, me permettant ainsi de percevoir une approche différente de l’art que celle que j’emploie habituellement.
S’il me semble possible d’établir une hiérarchie entre certaines œuvres il me semble plus délicat de hiérarchiser la culture de façon globale. Entre les différentes formes que peut adopter l’art et les différentes façon dont chacun d’entre nous peut aborder l’art, ca fini par faire beaucoup d’éléments subjectifs susceptibles d’ébranler n’importe quelle tentative de hiérarchie.