Dollhouse (Saison 1) - Ce que la science fait de nous
03.1208379360.gifLa présentation de Dollhouse, voilà trois mois, ressemblait à un exercice de méthode Coué. Parce qu’il s’agissait de Joss Whedon, on voulait y croire, parce que le sujet de la manipulation de la personnalité est passionnant, on voulait y croire, parce que cela ranimait les thèmes de Frankenstein et de Blade Runner, on voulait y croire. Trois mois plus tard, nos prières ont été exaucées.
Whedon a livré une série qui, comme l’affirme l’avant-propos de ce blog, rend la télévision meilleure. On a eu longtemps peur et je dois avouer que plus d’une fois j’ai failli déserter mon fauteuil au cours des cinq premiers épisodes. Mais comme l’avait promis le créateur de Buffy, l’épisode 6 a marqué un tournant. La fiction est entrée dans une seconde partie qui n’avait pratiquement plus rien de commun avec la première. Comme si l’on était passé, presque sans transition, de Hart to Hart (Pour l’Amour du Risque) à Firefly.
Les thèmes que l’on présentait après le pilote étaient enfin développés et approfondis, avec de brusques virages dans le scénario qui ajoutaient à l’impression déstabilisante qui s’était emparée de nous. A partir de ce moment-là, on se sentait vraiment accroché à son siège et l’épisode final, intitulé Omega, est une réussite presque complète. Il reste quelques scènes pas franchement bien vues, qui font penser à des séries des années 90, mais elles sont compensées par plusieurs passages absolument mythiques et par la présence d’un Alan Tudyk, formidable dans le rôle d’Alpha, le gros grain de sable dans l’engrenage.
Les admirateurs de Whedon retrouveront l’univers très stylisé du créateur, tout semble avoir été vérifié avec une minutie maniaque, chaque élément est à sa place et l’atmosphère paraît avoir été ciselée avec un soin extrême pour envelopper chaque scène, porter chaque dialogue et lui servir de chambre d’écho (sans jeu de mots).
Mais là au Whedon et ses acolytes sont admirables, c’est dans la rupture qu’ils ont opérée avec une certaine tradition des séries TV. D’habitude, semaine après semaine, les personnages principaux et secondaires d’une fiction sont relativement semblables. Ils n’évoluent que lentement, ils ne changent pas radicalement. C’est pour cela qu’on les suit, que l’on s’attache et que l’on s’identifie à eux. Dans Dollhouse, cela est tout bonnement impossible. D’une semaine sur l’autre, Echo, Sierra, Victor ou November ne sont plus les mêmes, elles n’obéissent plus aux critères enregistrés la semaine précédente. Normal, leur système d’exploitation a été retiré, stocké sur un disque externe et soigneusement rangé jusqu’à une prochaine utilisation.
Pour ajouter encore à notre confusion (et à notre plaisir), Whedon a introduit du désordre dans cet ordre sans cesse en changement. La multiplication des personnalités ne renvoit pas une multitude de personnes. Plusieurs caractères peuvent prendre place dans un même cerveau. Après tout, ce n’est qu’une question de place et de ce point de vue la matière grise humaine est généreuse. C’est bien de cela que souffre Alpha. Face à de telles perspectives, la tentation de l’expérience est irrésistible. Comme pour le Dr. Frankenstein (ou le Dr. Jekyll), le service de la science justifie n’importe quelle aventure, mais la noble cause ne résiste pas bien longtemps, elle s’efface devant d’autres intérêts plus prosaïques, d’autres buts qui n’ont rien d’altruiste ou tout simplement devant une forme de folie vertigineuse ou d’aveuglement.
Il est alors clair que Dollhouse n’est pas une série qui se laisse appréhender facilement. Elle bouscule les habitudes du spectateur, elle exige une attention soutenue, une bonne mémoire et quelques neurones encore vaillants pour réfléchir aux enjeux philosophiques sous-jacents. Cette série nous pose sans ambiguité la question de savoir qui nous sommes et elle nous demande de la confronter à deux autres questions: qui voudrions-nous être ? et comment le monde extérieur peut nous transformer ? Dollhouse pose également cette interrogation cruciale: la science peut-elle nous rendre meilleurs (on part de l’a priori qu’elle nous transforme qu’on le veuille ou non) ? Et cette transformation risque-t-elle de nous faire perdre notre âme ? Ou reste-t-il une ultime lueur d’espoir ? Quelque part au fond de nous-mêmes une infime partie de notre être n’est ni modifiable, ni effaçable, garantissant notre identité jusqu’à la mort ?
A l’heure où les différents gouvernements planchent avec beaucoup de sérieux sur la question de la manipulation des cellules souches, et tentent (avec plus ou moins de succès) de mettre des garde-fou au clonage et à l’utilisation d’embryons humains, Dollhouse confirme que cette question de la relation entre l’homme et la science (bien que peu médiatisée parce qu’extrêmement complexe) est cruciale. Ce point est d’ailleurs abordé dans le dernier épisode de la saison 1, Alpha invoquant même la notion de “surhomme” de Nietzsche (sans doute un peu rapidement et en empruntant un raccourci).
Il n’est pas étonnant que Dollhouse n’ait pas réussi à voir ses taux d’audience décoller. Elle n’est pas conçue comme un divertissement. Et l’on peut se faire quelques cheveux blancs concernant la suite. Le 13e épisode, qui devait être le dernier de la saison, avait déjà été retiré de la grille des programmes de la Fox. Pour ceux qui n’auraient pas encore entrouvert les portes de la maison des poupées, ne restez pas sur le seuil. Cela serait dommage. Entrez ! Soyez patients pendant la première moitié de la saison et votre attente sera ensuite récompensée.
Source :
http://seriestv.blog.lemonde.fr/2009/05/10/dollhouse-saison-1-ce-que-la-science-fait-de-nous/