La volonté du président péruvien d'appliquer la peine de mort suscite la controverse
LE MONDE | 10.10.06 | 15h09 • Mis à jour le 10.10.06 | 15h09
LIMA CORRESPONDANCE
Le Pérou s'interroge sur l'application de la peine de mort. Alan Garcia l'avait promis durant la campagne électorale. Aujourd'hui président de la République, le chef de l'Alliance populaire révolutionnaire américaine (APRA, social-démocrate) a fait de l'élargissement du champ d'application de la peine capitale une priorité de ses premiers mois à la tête du Pérou, un pays qui n'applique plus cette peine depuis 1979.
"Je crois que les gens ayant commis le crime atroce qu'est le viol suivi du meurtre d'enfants n'ont pas le droit de vivre et que la société doit s'en défendre", déclarait ainsi M. Garcia début août, quelques jours après son investiture.
Depuis, trois projets de loi ont été déposés devant le Parlement pour réformer l'article 140 de la Constitution, qui limite l'application de la peine capitale aux actes de trahison à la patrie en temps de guerre et au terrorisme.
Alors que la première proposition, élaborée par une députée de l'alliance conservatrice Unité nationale, souhaite instaurer la peine de mort pour les violeurs d'enfants de moins de 9 ans ou de personnes handicapées, le gouvernement et le groupe de l'APRA, à l'initiative des deux autres projets, préconisent la peine capitale pour les personnes ayant violé puis tué des mineurs de moins de 7 ans.
OPPOSITION DES ÉVÊQUES
Vingt-sept ans après la dernière exécution d'un prisonnier au Pérou, l'initiative présidentielle suscite un grand débat au sein de la société et de lourdes critiques de la part de la Conférence épiscopale, très influente dans un pays à forte majorité catholique. "L'expérience d'autres pays montre que (cela) ne résoudrait pas le problème et nous pousserait dangereusement vers un retour de l'"oeil pour oeil, dent pour dent" qui n'éradiquera pas le mal", ont déclaré les évêques.
La Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH) a, pour sa part, appelé les députés à rejeter ces projets de loi, "qui obligeraient le président à dénoncer la Convention américaine des droits de l'homme, ratifiée par le Pérou en 1978", aussi connue sous le nom de Pacte de San José. Si la plupart des juristes et analystes abondent en ce sens, l'exécutif péruvien estime, au contraire, que la réforme n'est pas incompatible avec ce traité qui bannit la peine de mort.
"Le Pérou ne dénoncera en aucun cas le Pacte de San José", a ainsi affirmé le ministre des affaires étrangères, José Antonio Garcia Belaunde. "Dénonciation ou non, le seul fait de rétablir la peine de mort mettrait le pays en marge du système international des droits de l'homme", tranche Jorge Danos Ordoñez, professeur de droit constitutionnel à l'Université catholique de Lima.
"Ces projets ne vont pas seulement à l'encontre des traités internationaux, mais aussi des droits fondamentaux de chaque Péruvien", insiste Ismael Vega, directeur de l'antenne d'Amnesty International, qui organise une manifestation, mardi 10 octobre, à l'occasion de la Journée internationale contre la peine de mort. "Rétablir la peine capitale est un véritable pas en arrière dans un Etat de droit", juge M. Vega, rappelant que "depuis trente ans, la tendance mondiale est de se tourner vers l'abolition".
Selon un sondage réalisé en septembre par l'université de Lima, 72 % des habitants de la capitale approuveraient la réforme constitutionnelle. Fatigués de l'impunité régnant dans le pays et de l'inefficacité des instances juridiques, beaucoup n'hésitent pas à se faire justice eux-mêmes.
A un mois des élections locales du 19 novembre, les députés péruviens sont divisés. Pour être adoptée, la réforme de la Constitution devra recueillir les deux tiers de leurs suffrages, à deux reprises.
Chrystelle Barbier
Article paru dans l'édition du 11.10.06