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Je suis assis sur le bord de mon lit et le temps s’est arrêté. Mon regard par la fenêtre ne perçoit plus rien. Les nuages me semblent d’irascibles nuées prêtes à déverser leurs torrents de foudre sur la vitre qui me sépare du dehors. Je suis assis et je ne sens plus mon corps. Ce corps qui encore il y a quelques heures emplissait sa chambre d’effluves ô combien coupables. Ce corps que je passe des heures à scruter dans le miroir, guettant le moindre signe de vieillissement précoce, la moindre improbable imperfection. Ce corps qui tant de fois a soupiré son plaisir dans tes bras protecteurs.

Mes yeux demeurent immobiles, comme fixés à jamais vers la noirceur céleste qui me frappe le crâne de sa vertigineuse profondeur. Ils regardent, et ne voient rien. Car les seules images qui les habitent sont celles de mon inavouable méfait, des entrelacs de nos corps fiévreux, des quelques secondes d’éternité volées dans le secret d’une nuit maudite. Mes yeux maladifs et rougis d’amertume. Rougis à en teindre les murs blancs d’une chambre qui m’est devenue étrangère.

Je crois que j’ai envie de pleurer. Non. Si. Peut-être. Mais je n’y arrive pas. Je ne pleure pas. Je n’ai pas besoin de pleurer. Et pourtant je voudrais les crever, ces yeux misérables, perfides tentateurs, fomenteurs funestes de ma fin. Leur ôter toute vie, toute utilité. Libérer ces pleurs qui me narguent et m’inondent le crâne. Et surtout, surtout, ne plus voir l’abominable hypocrisie humaine qui règne sur le monde et l’ensevelit de son sentimentalisme moribond sur fond de roucoulements mièvres et d’imbuvables plaidoiries. Ne plus voir la déchéance d’un Adam impuissant qui, tête basse, entraîne dans sa course folle les grotesques impudents comme les tristes amants. Ne plus voir les salauds qui consument le bonheur des autres en interminables feux de joie et répandent les cendres d’un rêve révolu sur les plaies béantes des corps meurtris.

A quoi bon ? J’en suis, de ces salauds. Sans scrupules ni conscience. Car le pire, dans cette histoire trop banale, c’est que je ne ressens rien. Je devrais, mais je ne ressens rien. Où est-ma culpabilité ? Où sont mes remords ? Rien de plus que des pleurs bâtards qui avortent au sortir de leur couche matricielle. Je t’ai fait mal, je t’ai détruite. Annihilée. Une âme en déliquescence dans un océan d’ignoble trahison. Et je m’en fous. En fin de compte, je me demande pour quoi j’ai le plus de peine : t’avoir trompée, ou ne pas en avoir de regrets. Je suis un monstre, et ça me plaît. Oh oui, ça me plaît.

Ne plus voir les salauds qui consument le bonheur des autres en interminables feux de joie et répandent les cendres d’un rêve révolu sur les plaies béantes des corps meurtris.

Mais c'est bien ,continue, ça va relancer le forum ( peut-être même qu'il y aura à nouveau des concours )

Ceci dit, il me semble que par rapport à d'autres topics, tu as beaucoup de commentaires

Ton écriture semble vibrer de poésie sans passer le cap définitivement, restant entre deux eaux. Si je prends la première strophe, le rythme est soutenu, même s'il n'est pas complètement régulier. Il y a des effets de répétitions et surout des effets sonores flagrants, que j'apprécie :
- "Ce corps qui encore ..."
- "... la moindre improbable imperfection"

Ce ne semble pas être complètement de la prose poétique comme l'a amorcé Baudelaire. Simplement un début de roman qui dégage des élans poétiques. Et ce sera une de tes grandes forces, l'autre étant à mon avis la matière même du sujet.

23h10. J’arrive en bas de l’immeuble. Je le connais bien, cet immeuble haut comme une montagne, qui se démène depuis d’immuables décennies pour conserver sa place entre deux rivaux de pierre grise. Combien de fois en ai-je gravi ou dévalé les escaliers, constamment pourchassé par ce monstre vaporeux et sans scrupules que les bien-pensants nomment conscience ! Heureux sont les innocents qui jamais n’ont souillé leur âme dans ce temple ignominieux de l’inavouable méfait ! Quant à la mienne, d’âme, il y a longtemps que je l’ai vendue. Mieux, je l’ai prostituée sur les trottoirs dégueulasses de mon insouciante dérive de jeune con. On ne peut pas dire qu’elle m’ait rapporté du pognon. Ah non, elle m’a plutôt fait les poches, cette trainée ! C’est d’ailleurs bien mieux comme ça. Je n’ai pas plus besoin d’elle qu’elle n’avait besoin de moi. Je n’ai besoin de rien, puisque j’ai les autres.

Mes pensées torturées cavalent insidieusement sur les mornes plaines de ma conscience disparue tandis que mes jambes finissent d’avaler les marches qui mènent au 6e étage. Trêve de bavardages. Je frappe à la porte. D’habitude, j’entre juste après avoir frappé – Ian ne ferme jamais à clé – mais ce soir c’est différent. La musique qui provient de l’intérieur de l’appartement fait trembler les parois du couloir. Jusque là, rien d’inhabituel. Je frappe à nouveau, sans me presser. Aucune raison de me presser, je suis détendu, sûr de moi, dans mon jeans à 300€ et mon cuir bordeaux de chez Hugo Boss. J’en profite même pour humer l’air du soir. Je pourrais presque me sentir heureux. La bonne blague.

Un épais nuage de fumée colorée qui emplit agréablement mes narines de senteurs d’herbe. D’assourdissants accords fiévreux. Led Zeppelin, je crois. Des rires de filles éméchées, des conversations inaudibles, des litres de bière et de vodka pure. Voilà mon royaume, je suis chez moi. Salut Alex, salut untel, salut toi, et toi, et toi. Et toi aussi, que je hais comme la peste, mais à qui j’adresse mon sourire de star hollywoodienne. Toi, qui me serres dans tes bras comme une adoratrice devant son dieu. Allez va, petite pénitente pitoyable. Et d’autres encore, qui m’appellent, m’attrapent le bras, laissent leur signature buccale sur mes joues trempées, me frictionnent misérablement le dos de leur mains manucurées. Monde ridicule dont je me repais avidement, source futile à laquelle je bois mon propre sang, microcosme insipide qui me nourrit de ses entrailles glamour et pailletées. Une irrésistible envie de vomir ma rage sur ces crétins insignifiants bourrés d’oseille et de pilules en tous genres me hérisse le poil. Jouissez, pantins ! La nuit est mienne ! Je me glisse avec nonchalance d’une conversation à l’autre, attirant à moi à chaque fois une demi-douzaine d’êtres indescriptibles, mélange de jeunesse racée et de luxure fétide. Juste l’occasion pour moi d’aiguiser mes canines encore un peu plus. Et le manège continue de plus belle. Joie, désir, vanité, arrogance, je ne fais plus qu’un avec la nuit et son cortège de zombies classieux. Vampire émotionnel qui caresse de ses ailes lugubres l’immoralité de cet antre fertile, je bouillonne de plaisir. A présent, je vis.

Salut Alex, salut untel, salut toi, et toi, et toi. Et toi aussi, que je hais comme la peste, mais à qui j’adresse mon sourire de star hollywoodienne. Toi, qui me serres dans tes bras comme une adoratrice devant son dieu. Allez va, petite pénitente pitoyable.