Avalon diminua légèrement l’intensité du sort.
-Qu’avez-vous fait à cette statue ? exigea-t-elle. Comment avez vous osé souiller ce marbre de Nevirth en le mêlant à une essence humaine !
-Je n’ai … rien fait ! se défendit le Messire en haletant. Tout ceci … n’est qu’un … malheureux malentendu.
Avalon ouvrit sa main et rendit sa liberté au Messire.
-Je vous écoute mais si vos explications ne me convainquent pas, vous mourrez.
Abasourdie par la violente attaque d’Avalon, Vamp avait assisté à ce renversement de forces sans intervenir. Depuis qu’elle avait retrouvé la magicienne, Vamp s’était persuadée qu’elle pouvait maîtriser son amie d’enfance malgré ses immenses pouvoirs. Avalon l’avait entretenue dans cette illusion en se laissant faire prisonnière. Le pouvoir que pensait détenir Vamp sur Avalon à l’aide de la capture de MissO n’était qu’un écran de fumée. En constatant la facilité avec laquelle le Messire avait été dominé, Vamp se rendait compte qu’elle n’avait jamais été maîtresse du jeu. Avalon avait choisit d’elle même de se rendre à Trillith et avait jouer avec Vamp. Elle aurait pu libérer sa panthère à n’importe quel moment et les tuer tous dans leur sommeil sans qu’aucun d’entre eux ne puisse réagir. Vamp recula et essaya de se fondre dans la pénombre de la pièce. Elle parviendrait peut-être à sortir de là sans dommages si Avalon et Le Messire, pris dans leur altercation, oubliaient sa présence.
A ce moment là, Avalon se retourna vers Vamp et lui fit un petit sourire, évoquant celui qu’arborait un félin devant une gazelle blessée, étendue sur le sol, prête à être égorgée.
Le Messire s’était redressé et tentait de retrouver sa dignité mise à mal. Changeant de tactique, il choisit d’opter pour la franchise.
-L’essence de ma femme Irina a été mêlée à celle de ce marbre par le mage Dar’a’thor, il y a plus de dix ans pour me punir suite à un différent commercial. Depuis lors, je cherche un magicien assez puissant pour la délivrer de cette statue de marbre. J’ai réuni plus d’ouvrages de magie noire que Trillith compte de putains, j’ai rencontré plus de soi-disant sorciers que je ne compte d’hommes à mes ordres. Tous ceux que j’ai pu consulter depuis deux ans m’ont donné votre nom. Votre magie minérale est particulièrement développée et j’ai bon espoir que vous arriviez à libérer Irina.
Avalon ne lui répondit pas et s’approcha de la statue. Elle posa ses deux mains contre elle et ferma les yeux. Au bout de quelques secondes, le marbre devint iridescent, pulsant lentement au rythme d’une lente respiration. Avalon rompit le contact et se tourna vers le Messire.
-L’essence humaine n’est pas trop dégradée, je dois pouvoir la séparer du marbre. Cependant, la vraie question est pourquoi le ferais-je ? demanda-t-elle d’un ton glacial au Messire. Vous avez usé des procédés les plus vils pour me faire venir ici et vous m’avez fait endurer la présence de Vamp. Je n’ai aucune envie de vous rendre service et je vous soupçonne d’avoir amplement mérité ce châtiment.
-Je peux vous payer ! J’ai rassemblé des pierres sentientes de Gloz, des fossiles de Trecx, tout un ensemble d’ouvrages rares ou d’amulettes qui renforceraient votre pouvoir. Tout mon or est à votre disposition. Je ne désire qu’une chose : retrouver Irina !
-Quel dévouement à une femme que vous n’avez pas vu depuis dix ans ! Quand bien même j’accepterais votre paiement, assez tentant je l’avoue, il reste cependant un problème. Dans quel réceptacle placer l’essence de votre Irina ?
Le Messire tourna la tête vers Vamp et sourit.
- Quel meilleur choix que Vamp ? Vous pourriez vous venger d’elle et Irina n’aurait pas à rougir de sa nouvelle forme, plutôt athlétique, proposa le Messire.
A ces mots, Vamp s’élança vers le Messire pour tenter un ultime coup de force. Elle n’avait fait que quelques enjambées quand Avalon la figea d’un seul geste de la main. Arrêtée en plein élan, elle était aussi inerte que la statue d’Irina. Les yeux à demi ouverts, la bouche déformée par un rictus, le bras vers l’avant, dirigé vers le Messire, elle formait un contraste saisissant avec les douces courbes et la position alanguie de l’épouse marmoréenne du Messire.
- Cette idée ne semble pas au goût de Vamp, commenta Avalon, amusée. Elle me parait tout à fait intrigante et mérite réflexion, poursuivit-elle en s’approchant de la mercenaire.
Elle posa la main sur sa chevelure, qui avait gardé sa souplesse et arrangea machinalement une longue mèche, la lissant soigneusement et la plaça derrière l’oreille de Vamp.
-Quelle douce revanche me permettrait ce sort. Transférée dans ce marbre, immobilisée à jamais, tu serais définitivement en mon pouvoir. Je pourrais facilement te rendre plus manipulable, changer la forme et la taille de ton réceptacle de marbre. Voyons, quelle forme animale te siérait le mieux ? Un petit singe ? Une belette ? Une hermine ! Je pourrais te mettre dans mon sac et te transporter toujours avec moi. Nous serions à nouveau inséparables, sœurs de sang, comme nous nous l’étions promis, conclut Avalon en caressant la joue de Vamp.
Résolue, Avalon se tourna vers le Messire.
-Approchez la statue de quelques pas, je vais tenter le transfert. Cependant, pour préserver l’intégrité de votre épouse lors du passage, il me faut disposer d’une référence, d’une image fidèle de son caractère, de ses caractéristiques.
-Que vous faut-il exactement ? s’empressa le Messire, anxieux de satisfaire toutes les exigences de la sorcière à la perspective de retrouver sa femme.
-Je suppose que vous ne disposez pas d’une empreinte de Bulle faite avant sa disparition ? demanda Avalon. Je m’en doutais, cette tradition est malheureusement tombée en désuétude, conclut-elle après le hochement négatif du brigand. Etes vous capable de former une image mentale, la plus fidèle qui soit de votre épouse et de la maintenir durant toute la durée de l’enchantement ?
-Bien sur. Que dois-je faire exactement ?
-Placez votre main sur le bras de la statue et concentrez vous sur un souvenir précis de votre femme. Soyez le plus méticuleux qui soit dans l’évocation de sa silhouette, dans la restitution du son de sa voix, de ses petites manies. L’intégrité de son essence ne sera préservée que si vous réussissez à maintenir cette image mentale.
Le Messire acquiesça d’un signe de tête, saisit avec douceur le bras de la statue et ferma les yeux.
-Vous devez maintenir un contact physique quoi qu’il advienne. Pour plus de sûreté, ajouta Avalon, je vais immobiliser votre bras, laissez vous faire.
Concentré sur l’image mentale d’Irina, submergé par la pensée qu’il allait enfin toucher au but et retrouver le seul être qu’il ait jamais aimé, il n’opposa aucune résistance à Avalon et se laissa manipuler telle une poupée de chiffons. Avalon se plaça entre Irina et Vamp et posa ses mains sur les bras des deux statues. Fermant les yeux, elle psalmodia à voix basse des mots gutturaux dans une langue inconnue. De ses deux mains, une lueur bleutée se dégageait et gagnait le marbre et la chair gelée de Vamp. L’iridescence progressait rapidement dans le marbre et nimba rapidement toute la statue. Son intensité crut doucement et se mit à osciller, pulsant au rythme de la respiration de la magicienne. Sa psalmodie s’accéléra et soudain des effluves jaillirent des doigts du Messire. L’air crépitait vivement tandis que le Messire haletant de douleur, tentait de rompre le contact avec la pierre. Maintenu par le sort d’Avalon, une étrange lumière bleue gagnait l’ensemble de son corps sans que ses gestes désespérés ne puissent l’empêcher. Tout d’un coup, une lumière éclatante jaillit du Messire et de la statue. S’éteignant soudainement, elle souffla les bougies qui éclairaient la pièce, laissant derrière elle un silence et une obscurité profondes. Des gémissements provenant du Messire sortirent Avalon de la concentration intense qu’avait nécessité le sort. D’un claquement de doigt, elle ralluma les bougies.
La statue n’avait pas bougé, inerte et minérale. A ses pieds, le Messire, prostré en position fœtale marmonnait des mots incompréhensibles. La magicienne se pencha vers lui et releva sa tête. Son visage était déformé, comme tiraillé entre deux expressions opposés. Sa bouche se tordait dans tous les sens et les sons qui s’en échappaient continûment n’avaient aucune cohérence. Son regard oscillait entre l’épouvante et l’incompréhension. Avalon sourit et se redressa, le laissant étendu sur le sol glacial. Elle s’approcha de la statue et d’une légère caresse vérifia qu’elle avait été libérée de toute présence humaine.
Elle se tourna vers Vamp et resta quelques seconde à l’observer en souriant, en restant à quelques pas. Avec quelques mots, elle leva le sort d’immobilisme qui entravait la mercenaire.
-Que s’est-il passé, s’écria celle-ci, en tentant de s’approcher d’Avalon. La magicienne leva la main pour la faire taire.
-Ce n’est pas le moment de régler nos comptes. Le Messire est hors d’état de nuire, je te conseille d’en profiter pour quitter les lieux. Avalon ajouta avec un sourire en coin. J’ai un certain nombre de choses à te dire mais cela attendra quelques jours. Ne quitte pas Trillith, conclut Avalon avant de disparaître progressivement.
Interloquée, Vamp resta quelques secondes à regarder le centre de la pièce où Avalon se tenait quelques instants plus tôt. Elle ne comprenait rien à ce qu’il s’était passé mais le conseil de la magicienne était de bon aloi. Il lui fallait récupérer ses armes et quitter enfin cette demeure, libérée des menaces du Messire, qui gisait prostré sur le sol.