Chapitre 9 : Ça faisait longtemps qu'on ne s'était pas vues !
Le gros arbre noueux et difforme recula prudemment sous le regard menaçant de Fenrir. Le loup ne put résister au plaisir de le faire sursauter d'un brusque claquement de mâchoires. C'en était trop pour l'arbre qui s'enfuit en hurlant de terreur. Sur un grand sourire dévoilant ses crocs affûtés, le grand loup noir emboîta le pas de sa maîtresse, s'enfonçant plus avant dans le marécage.
Le marécage de Nonjépapeur tenait son nom de l'habitude qu'avaient les aventuriers de préciser systématiquement qu'y entrer ne les terrifiait en rien... Ils le répétaient avec tant d'insistance qu'on sentait bien que la première personne qu'ils tentaient vainement de convaincre, c'était eux-mêmes. Certains finissaient d'ailleurs par y arriver, suite à de longues soirées passées à le répéter en boucle, mais on les voyait rarement en ressortir... Ou alors traumatisés à vie...
- Ça pue ici, grogna Nine en tentant de se souvenir du chemin à prendre pour parvenir à destination en évitant les flaques de vase, sables mouvants et autres pièges du marais.
Tout autour d'elle, les arbres habituellement menaçants se faisaient les plus petits possibles et jetaient des regards craintifs en direction de Fenrir, qui savourait la situation en prenant son air le plus dangereux... L'ex-déesse et son loup atteignaient un embranchement quand des cris retentirent sur leur gauche.
- Non mais tu va me lâcher, oui ? Hurlait une voix féminine. Enlève tes sales branches de là, espèce de vicieux !
Il y eut un craquement de bois suivit d'un grognement sourd que seule une gorge de bois à moitié pourri pouvait produire.
- Ça t'apprendra à vouloir me peloter, non mais ! Et maintenant, tu vas me lâch... Aïeuh ! S'exclama la jeune fille dont l'arbre venait de saisir les poignets avant de les immobiliser dans son dos, affichant un sourire mauvais.. Lâche-moi tout de suite ou je te réduis en bois de chauffage ! Non, pas là, sale pervers ! Attends que je me libère et tu vas voir ! Vise les yeux Akki, les yeux !
S'ensuivit un « shlac » retentissant quand la webcam fouetta l'arbre en plein visage, d'un coup de câble bien senti. Poussant un terrible grognement de douleur, l'arbre relâcha son attention, desserrant légèrement sa prise sur la jeune fille qui parvint à se libérer.
- Non mais c'est quoi ces arbres ? Jura-t-elle en remettant de l'ordre dans ses cheveux blonds.
- Lornette ! Ça faisait longtemps qu'on ne s'était pas vues ! S'exclama Nine qui arrivait sur les lieux de l'affrontement. Qu'est-ce que tu fais ici ?
- Je manque de me faire violer par un vieil arbre dégoûtant, ça se voit non ? Grogna la jeune fille en jetant un regard meurtrier à son agresseur.
- C'est un samaelier... Ils font ça tout le temps... Y en a plein par ici, c'est pas vraiment l'endroit idéal pour une jeune fille ce marais, expliqua Nine. Pour un jeune homme non plus, à la réflexion, parce qu'il y a aussi des loïcens...
- Ouais ben j'ai pas le choix moi... Un monstre a enlevé mon p'tit copain et l'a emmené dans ce marais de fous...
- Tu sais, il est probablement mort à l'heure qu'il est, soupira Nine.
- Je te remercie pour cette grande bouffée d'optimisme, je me sens mieux maintenant, maugréa la jeune fille.
- Enfin, à moins qu'il ne sache chanter et que son kidnappeur soit Vazmouçue, le maître de ce marais... Dans ce cas il vivra jusqu'à ce que Vazmouçue se lasse de l'entendre...
- Quand il a été enlevé il était en train de me chanter une de ses nouvelles chansons... On était assis au clair de lune, près d'un lac au nord... Et se adorables petites cornes rouges reflétaient la lumière des étoiles... Tu vas m'aider à le délivrer, dis ? Supplia Lornette.
- Je vais justement voir Vazmouçue, répondit Nine. Il détient quelque chose dont j'ai besoin... On en profitera pour libérer ton copain, conclut-elle avant de reprendre son chemin, Fenrir et Lornette sur les talons.
***
Après quelques heures de marche dans le dédale du marécage, ils arrivèrent dans un lieu manifestement habité. Sur un gros rocher trônait une cage contenant un démon vert humanoïde qui sourit jusqu'aux oreilles – littéralement – en apercevant Lornette.
- Oh ! Tu es venue ma Lornette adorée ! S'exclama-t-il.
- Évidemment ! J'allais pas te laisser moisir dans ce marais puant, voyons ! J'te présente Nine, dit-elle en désignant l'ex-déesse.
- Nine ? La déesse ? S'écria le démon, abasourdi.
- Déchue, précisa Nine. Enfin pour l'instant... D'ailleurs c'est pour ça que je suis là. Hé, Vazmouçue ! Ramène-toi !
- T'es folle ou quoi ? S'exclama Lornette. Tu veux tous nous faire tuer ?
- Il a un truc dont j'ai besoin, répliqua calmement Nine.
- Qui a osé ? Rugit une voix grondante alors qu'une immense silhouette dégoulinant de vase émergeait d'un bassin d'eau boueuse.
- T'es toujours aussi moche toi, remarqua Nine. Bon, je suis là pour le fragment.
- Hum, répondit Vazmouçue. Et j'aurai quoi en échange ?
- Ah et tu vas libérer celui là aussi, ajouta-Nine en désignant le démon vert dans sa cage.
- Et puis quoi encore ? Gronda le monstre des marais.
- Ce sera tout, merci, répondit Nine.
- Tu t'fous de ma gueule ou quoi ?
- Un peu, en effet, reconnut Nine en souriant. Bon, ça vient ?
- T'auras rien du tout ! T'est plus une déesse alors tu peux toujours rêver ! J'te dois rien ! Enfin... à moins que tu payes en nature, évidemment... Ajouta-t-il d'une voix si lourde de sous-entendu que si sa parole avait été d'or, elle aurait valu une fortune...
- Comme tu peux le constater, le roi et ses sujets sont faits pour s'entendre, souffla Nine en direction de Lornette sur le visage de laquelle s'afficha une moue dégoûtée. Fen' ! Appela Nine.
Le loup bondit d'un mouvement gracieux et atterrit sur le dos du monstre qu'il lacéra joyeusement à coups de griffes.
- Sale clébard ! Tu vas voir si je t'attrape ! Hurla le monstre en tentant de saisir son agresseur dans ses mains difformes.
- Donne-moi le fragment, ordonna Nine.
- Jamais !
- Donne le fragment, répéta Nine tandis que Fenrir continuait à déchiqueter frénétiquement son adversaire.
- Non ! Grogna le monstre. T'auras rien du tout !
- Fen', je crois que notre ami a un truc en trop entre les jambes... Remarqua négligemment la déesse déchue.
- C'est bon, le voilà ton fragment ! S'empressa de capituler Vazmouçue.
- Bien. Ouvre la cage maintenant, poursuivit Nine en saisissant le fragment que le monstre lui tendait.
- Voilà, voilà...
- C'est toujours un plaisir de traiter avec toi, conclut Nine avec un sourire ironique.
- C'est ça, ouais, grogna le monstre.
***
Quelques heures plus tard, c'est avec un grand soulagement qu'ils quittèrent Nonjépapeur.
- Merci pour tout, déclara Lornette.
- De rien, c'était un plaisir de te revoir, répondit Nine.
- Au fait, est-ce que par hasard, tu saurais ce qu'est devenue Sariane, demanda la jeune fille blonde.
- Elle s'est séparée du singe et elle va bien.
- C'est super ça ! S'exclama Lornette.
- Bon ben à la prochaine. J'ai un sorcier qui se prend pour un dieu à renverser, moi, salua Nine.
- Au revoir ! Et bonne chance ! Répondit Lornette en regardant Nine et Fenrir s'éloigner...