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Chapitre 1 : En route pour l'Enfer !

Necromancil.
La Cité des Morts...
Vaste étendue plane recouverte de constructions de pierre grise, dans un monde gris, peuplée d'habitants non moins gris appartenant à toutes les espèces que le monde ait abrité – ainsi que quelques autres.
Pourtant, parmi cette grisaille, une forme colorée apparaissait. Inattendue telle un soleil brillant au beau milieu d'un ciel d'orage, un nain sautant joyeusement de branche en branche en compagnie des écureuils ou encore une tache de sauce sur le vêtement blanc immaculé de Lord Dritharius¹. Un observateur – attentif ou non, pourvu qu'il ne soit pas trop saoul – aurait remarqué aisément que cette forme colorée était en réalité un groupe de quatre aventuriers valeureux, rentrant chez eux après avoir accompli une quête longue et périlleuse.
Ils avançaient de front dans les rues de la Cité des Morts qu'ils étaient les seules personnes vivantes à parcourir. À gauche marchait un grand guerrier aux cheveux blonds presque blancs et au visage menaçant. Arallu – car tel était son nom – avait été un petit démon jusqu'à quelques heures auparavant où il avait été changé en humain pour passer inaperçu – transformation aussi longue et riche en échecs préalables qu'elle s'était avérée inutile.
Puis venait Splach, un nain prétentieux, avare et porté sur la boisson. Il était également un fier guerrier propriétaire d'une splendide hache magique. Tout en marchant, il écoutait avidement Sariane relater sa conversation avec le grand Mage Administrateur, qu'elle avait eu l'occasion de rencontrer quelques minutes plus tôt au Temple de la Magie Inverse.
Cette jeune et belle magicienne aux cheveux noirs attachés en queue de cheval et aux yeux légèrement bridés, Mage des Cieux de l'Ordre de Sarkange, était probablement aussi banale qu'un nain végétarien, ou la vision d'un groupe de vacanciers, bronzant en maillot de bain sur la banquise, allongés sur leurs serviettes. En effet, la magicienne cumulait bon nombre de caractéristiques étonnantes, parmi lesquelles, ses deux enfances séparées jusqu'à l'âge de dix ans où ses deux moitiés avaient fusionné figurait en bonne place. Cependant le fait que l'une de ses deux moitiés soit la fille d'une démone ou encore le fait qu'elle abrite dans les replis de son esprit l'essence du puissant et chaotique Bugderam – la plus grande menace que le monde ait connu – n'étaient pas non plus négligeables.
Elle portait sur son épaule droite un petit ouistiti qui peu de temps plus tôt faisait encore partie d'elle-même, faisant d'elle un ouistiti-garou. Depuis leur défusionnage, le singe n'avait pas quitté les épaules de Sariane. Il semblait être tombé littéralement amoureux de ses cheveux avec lesquels il ne cessait de jouer joyeusement, s'attirant force jurons de la part de leur propriétaire.
Enfin, à droite du groupe, venait Arkania, une jeune femme blonde, sœur du seigneur de Nivu, exerçant la respectable profession de voleuse masquée. Elle et Sariane étaient sensiblement de la même taille, bien que chacune d'elles soutienne avec force que l'autre était bien plus petite...
Le récit de la magicienne touchait à sa fin quand les compagnons atteignirent enfin les gigantesques portes de Necromancil, qu'ils contournèrent obligeamment pour retrouver Alt', le guichetier, toujours assis à son bureau d'accueil.
- Bien le bonjour ! S'exclama-t-il en les voyant arriver. Je vois que votre quête a été couronnée de succès, ajouta-t-il en apercevant le singe sur l'épaule de la magicienne.
- Mouais, plus ou moins, soupira celle-ci. Enfin, pas aussi bien que je l'espérais...
- Vous m'en voyez navré... Je vous souhaite un bon retour chez vous, conclut Alt avec un petit signe de la main. Passez me voir quand vous aurez emménagé ici.
- Au revoir, répondirent les compagnons tandis que Splach fouillait dans son sac.
- Arallu aimerait bien savoir ce que tu fais, lui dit l'ex-démon.
- Je ne voudrais pas partir sans un souvenir de ces superbes portes expliqua le nain en sortant un petit objet de son sac.
- Un apa'reyfotau ! S'exclama Alt' depuis son bureau de pierre grise. J'en avais un de mon vivant, soupira-t-il tristement tandis qu'un flash fusait en direction des portes avant que l'objet ne recrache une petite image les représentant.
- On pourrait faire une photo souvenir, suggéra la voleuse.
- Et ce serait moi qui la prendrait, renchérit Sariane.
- Quelle idée ? Tu ne serais même pas dessus, rétorqua le nain.
- C'est l'idée justement, précisa la magicienne.
- Mais non, on va demander à Alt', s'exclama Arkania.
- Ce serait avec plaisir, s'enthousiasma le guichetier.
- Maieuh, gémit Sariane.
Une dizaine de photos plus tard – où la magicienne étonna tout le monde par ses capacités de camouflage –, les compagnons quittaient la Cité des Morts en direction du portail qui les mènerait en Enfer, prochaine étape de leur voyage de retour...

¹ Cette dernière métaphore n'est pas des plus fidèles dans la mesure où le seigneur de Nivu était connu pour manger fort salement. Mais il était également le seul monarque de son époque à être assez idiot pour s'habiller d'une couleur aussi salissante, ainsi pour les besoins de notre explication, nous supposerons qu'une tache de sauce sur son vêtement puisse être inattendue. D'ailleurs, en poussant la réflexion un peu plus loin, on constatera que l'idée même de ne voir qu'une seule tache de sauce est en elle-même suffisamment exceptionnelle pour que cette métaphore soit en réalité tout à fait valable. Nous prierons donc notre cher lecteur de nous pardonner cette note parfaitement inutile.

Chapitre 2 : Au refuge des dieux.

D'un geste dédaigneux de la main, le mage désintégra le dernier des six sorciers en robe noire qui quelques minutes plus tôt entendaient encore le capturer.
- Pfff... Soupira-t-il en secouant sa robe de voyage couverte de runes magiques pour en déloger la poussière, dernier vestige de son adversaire. Ces sorciers sont toujours aussi stupides... Ajouta-t-il, la mine sombre avant de reprendre sa route à travers les forêts touffues du royaume sylvestre de Gemlézarbres.
Avant d'entreprendre cette entreprise suicidaire que constituait la capture du mage, les six sorciers avaient appartenu à la puissante confrérie du Mok. Ce groupe de sorciers, fondé des siècles auparavant pas un archimage maléfique du nom de Mokuji, se caractérisait par le goût prononcé de ses membres pour le pouvoir, la destruction, la torture, la cruauté, la magie noire et le coulis de chocolat.
Ces derniers temps, ils étaient devenus de plus en plus puissants et avaient pris le contrôle de nombreux royaumes qu'ils gouvernaient d'une main de fer. La fâcheuse tendance qu'avaient leurs opposants à mourir dans d'atroces souffrances avait rapidement douché les aspirations révolutionnaires de la majorité des habitants qui se résignaient donc à obéir à leurs nouveaux maîtres...
Quelques heures plus tard, tandis que le soleil rougissait à l'horizon comme un gamin pris en faute et se glissait furtivement derrière la montagne la plus proche, le mage atteignit une petite auberge.
- « Le refuge des dieux », lut-il sur une enseigne défraîchie à la peinture écaillé. Amusant...
Passant la porte branlante de l'auberge, il pénétra dans la salle commune. Le peu de lumière filtrant à travers la crasse qui maculait les vitres – qui n'avaient jamais dû connaître l'honneur ne serait-ce que d'un coup de chiffon dans leur longue existence – lui permit de distinguer quelques buveurs discutant autour de vieilles tables qui avaient connu de meilleurs jours... Du moins on l'espérait pour elles...
Il s'asseyait calmement dans un coin à l'écart quand l'aubergiste se dirigea vers lui.
- Qu'est-ce que j'vous sers ?
Le mage leva sur lui un regard las.
- Une pinte de ce que vous voudrez...
- Vous avez de quoi payer ? Demanda l'aubergiste soupçonneux.
D'un mouvement fatigué, le mage lui lança une grosse pièce d'or. L'aubergiste sentit son coeur s'emballer en la saisissant d'une main tremblante – une pièce d'or représentait ce qu'il encaissait généralement durant une semaine d'affluence.
- Et une chambre aussi, ajouta le mage en lui lançant trois pièces supplémentaires.
- Tout de suite monsieur, s'empressa d'acquiescer l'aubergiste, frisant l'attaque cardiaque, en se précipitant vers le comptoir.
Ses yeux s'habituant à l'obscurité, le mage put observer plus en détails les buveurs attablés. La clientèle de l'auberge comptait principalement, des chasseurs et autres bûcherons, mais il apercevait également quelques marchands itinérants. Tous semblaient plutôt inquiets comme si un désastre se profilait à l'horizon.
- Voilà pour vous monsieur, déclara une voix féminine tandis que la jeune fille à qui elle appartenait – probablement la fille de l'aubergiste dont elle avait le regard calculateur – posait délicatement une chope sur la table. C'est notre meilleur vin, ajouta-t-elle avec le sourire chaleureux d'un banquier sur le point de vous proposer une nouvelle formule dont le manque d'utilité n'aurait d'égal que la marge astronomique qu'il empocherait au passage. Importé directement des vignobles du royaume elfique de Boirouconduire, château Ilfauchoisir. Très bonne année, précisa-t-elle.
- Hum, répondit le mage en avalant une petite gorgée. Mouais, j'aime toujours pas l'alcool, soupira-t-il avant de changer le contenu de la choppe en un jus d'orange fraîchement pressé qu'il but avidement. Ah, c'est mieux !
- Monsieur désire-t-il autre chose ? Demanda la jeune fille, tentant tant bien que mal de garder un ton naturel.
- Non merci, ça ira, répondit le mage avant d'entreprendre de siroter le reste de son jus d'orange tout en écoutant discrètement les conversations des autres buveurs.
- Les sorciers de Mok sont à la frontière et rassemblent leurs troupes, disait un marchand.
- L'armée du roi saura les repousser ! S'exclama un bûcheron dont les bras musclés auraient pu se confondre avec les rondins qu'il débitait chaque jour si ces derniers avaient été poilus.
- Aucun ennemi n'a jamais vaincu notre armée, renchérit un chasseur aux tempes grisonnantes.
- Aucun ennemi n'a jamais été soutenu ouvertement par un dieu que je sache, rétorqua un autre marchand. Un homme avisé fuirait au plus vite, c'est moi qui vous le dit.
- Les dieux n'interviennent pas directement dans les affaires des mortels, contra le bûcheron.
- Les anciens dieux, non, mais le nouveau ne s'en prive pas, lui ! Insista le second marchand.
- En quelques mois, ils ont déjà conquis des dizaines de royaumes de par le monde, ajouta son confrère.
Soupirant profondément, le mage reposa sa chope vide et se dirigea vers sa chambre...

Chapitre 3 : Nouvelle alliée.

La nuit enveloppait la forêt de son manteau d'obscurité...
Au Refuge des Dieux, les derniers buveurs rentraient chez eux ou montaient se coucher dans leur chambre lorsqu'un cercle de lumière scintillante apparut sur le sol de terre battue qui faisait face à l'entrée. D'abord ténue, la lueur s'intensifia progressivement...
- Qu'est-ce que c'est que ça ? Marmonna un bûcheron d'une voix pâteuse.
- Chais pas, grogna un autre à côté de lui. On a dû boire un verre de trop...
- Ou deux, renchérit le premier en voyant se dessiner une silhouette humaine dans le cercle.
- P't'êt' même 3... Ajouta le second tandis que la silhouette gagnait en netteté et en substance.
- Il a dû mettre des trucs louches dans la bière, j'crois... Suggéra le premier alors que la silhouette, maintenant clairement féminine, perdait sa transparence.
- C'probable, acquiesça son compagnon.
La silhouette acheva sa matérialisation et le cercle disparut avec un bruit étrange à mi-chemin entre le claquement de porte et le bruit de chasse d'eau. C'était une jeune femme aux longs cheveux noirs et à la peau bronzée... Ses yeux démentaient clairement l'apparente jeunesse de son corps... Elle était vêtue d'une tunique de voyage et dégageait une sorte d'aura de puissance et de sagesse...
- Oh, une auberge... Ça tombe bien, s'exclama-t-elle. « Le Refuge des Dieux »... Amusant, conclut-elle en souriant avant de se diriger vers la porte.
Les deux bûcherons la regardèrent entrer, incrédules, puis se jetèrent mutuellement un regard perplexe. Quand il devint manifeste qu'aucun des deux n'avait d'explication rationnelle à proposer, ils haussèrent les épaules avant de s'éloigner pour rentrer chez eux.

***
Au petit matin, quand le mage descendit dans la salle commune, son regard s'arrêta sur une jeune femme assise à une table. Elle avait quelque chose d'étrange, mais il ne parvenait pas à déterminer précisément quoi... Une sorte d'aura...
Quand leurs regards se croisèrent, il comprit qu'elle était bien plus ancienne qu'elle ne le paraissait au premier abord. Dans ses yeux, on voyait le reflet de siècles d'expérience...
- Vous êtes un dieu déchu, constata-t-elle sur un ton qui ne laissait aucune place à la contestation.
- Certes, concéda le mage dans un haussement de sourcil stupéfait. Et vous ? Qui êtes-vous ?
- Venez vous asseoir, suggéra-t-elle en souriant. Nous avons sûrement plein de choses à nous dire...
Le mage s'assit face à elle.
- Qui êtes-vous ? Répéta-t-il.
- Une déesse... Déchue, tout comme vous... Mais je ne viens pas de ce monde... Vous devriez goûter leur salade verte, elle est excellente, ajouta-t-elle avalant une grande feuille pleine de sauce.
- Et que venez-vous donc faire dans ce monde ? Demanda le mage d'un air soupçonneux, ignorant la dernière remarque.
- Rien de particulier... Je voyage... Du tourisme en gros... Vous devriez goûter, elle est vraiment très bonne cette salade !
- Ce n'est pas le moment idéal pour venir faire du tourisme par ici, déclara le mage. La guerre ravage ce monde depuis que nous avons été renversés... Ce sale petit sorcier ! Grogna le mage. Dire qu'il a failli être détruit peu avant de parvenir à ses fins. Mais il a seulement été retardé.
- Je connais ça, fit l'ex-déesse en soupirant. Tout se passe bien des millénaires durant, jusqu'au jour où un vulgaire fils de charpentier rapplique avec des pouvoirs rigolos – transformation d'eau en vin, multiplication de pains et autres tours – et pouf, des panthéons entiers qui se retrouvent au chômage... Pourtant on avait envoyé quantité de prophéties pour qu'il se fasse tuer, mais pas moyen... Et le jour où il a enfin daigné mourir, il avait prévu le coup et sa mort lui a ouvert l'accès à la divinité ! Ceux qui ont tenté de lui résister se sont pour la plupart fait tuer... Pour ma part, j'ai préféré la fuite. Bah, le tourisme c'est bien aussi... Quoiqu'au bout de deux mille ans, ça devient lassant...
- J'imagine... C'est épuisant de voyager... Y a rien de mieux qu'une tour tranquille, avec un bon fauteuil, une boisson fraîche... Comme ça on peut observer le monde à loisir... C'est très reposant.
- Ça doit être ennuyeux à force non ? L'interrogea l'ex-déesse.
- Bof, ça va, il y a toujours des aventuriers pour entreprendre des quêtes amusantes, précisa le mage en souriant.
- Et vous comptez faire quoi maintenant ?
- Renverser cet imposteur ! Je compte bien récupérer ma place.
- Ce ne sera pas facile... Quand on a essayé dans mon monde, c'était peine perdue, il nous a balayés...
- Bah, on avait un peu anticipé... Puis on a un atout de choix qui doit bientôt rentrer de l'enfer aussi.
- Ah ? Qui donc ?
- Une ravissante magicienne aux pouvoirs considérables, répondit le mage. Vous avez déjà entendu parler de Bugderam ?
- L'Esprit du Chaos ? S'exclama l'ex-déesse abasourdie. Quel rapport avec cette magicienne ?
- Il y a dix-neuf ans il s'est incarné dans une petite fille métis d'humain et de démon... Mais on a réussi à la faire fusionner avec une apprentie-magicienne qu'elle a connu à l'école de magie avant que Bugderam n'ait retrouvé ses pouvoirs... On l'a bien eu celui là ! S'exclama le mage d'un air satisfait.
- Et elle peut contrôler sa puissance ?
- Oui... Enfin plus ou moins... Répondit le mage d'un ton hésitant.
- « Plus ou moins » ? Répéta l'ex-déesse.
- Plutôt moins que plus pour l'instant, mais ça viendra... Elle est très douée !
- C'est jouer avec le feu non ?
- Un peu, mais il faut bien qu'on se débarrasse de ce foutu sorcier... Aux grands maux les grands remèdes...
- Eh bien je te souhaite bon courage pour la suite, déclara l'ex-déesse en se levant.
- Tu ne voudrais pas te joindre à nous par hasard ?
- Pourquoi je ferais une chose pareille ?
- Ben quand on aura gagné, tu pourrais redevenir déesse, suggéra le mage.
- Vous m'accepteriez parmi vous ?
- Pourquoi pas ?
- Ben heu... en général les dieux ne tiennent pas vraiment à partager leurs pouvoirs... Nous on passait notre temps à essayer de se débarasser de nos rivaux pour augmenter nos pouvoirs...
- Bah, chez nous c'est plus calme... Comme dit, un bon fauteuil tranquille ça m'va... Rappela le mage.
- Pas besoin de redevenir un dieu pour ça... Remarqua son interlocutrice en fronçant les sourcils.
- On observe mieux quand on est un dieu... L'omniscience, tout ça... J'aime bien moi... Puis il fait n'importe quoi ce sorcier depuis qu'il est dieu...
Elle sembla hésiter quelques instants, détaillant le mage pour déceler une éventuelle marque indiquant qu'il tentait de la tromper. Mais il semblait honnête.
- C'est d'accord, dit-elle enfin. Moi, c'est Isis, et toi ?
- Je suis le Grand Mage Administrateur, le Dieu des dieux, déclara-t-il fièrement.
- T'as pas plus court ? Grommela Isis en levant les yeux au ciel.
- Tu peux m'appeler Dara si tu veux... Mais c'est moins drôle...
- C'est mieux déjà ! Sinon, t'as un plan ?
- Oui et il est déjà en marche... D'ailleurs, on ferait bien d'y aller, on a du pain sur la planche...

Chapitre 4 : En route pour Tobalville.

Les compagnons achevaient leur traversée de l'Enfer, épuisés par les embuscades auxquelles ils avaient dû faire face et les cauchemars qui hantaient leur sommeil. Il arrivèrent enfin en vue du portail que Sariane activa sans attendre et atteignirent Trouperdu où Luny les accueillit chaleureusement.
- Je vois que votre problème simiesque est réglé, constata-t-elle en souriant.
La gardienne avait l'air fatiguée. Elle s'était considérablement amaigrie et ses cheveux argentés avaient beaucoup perdu de leur éclat...
- Oui acquiesça Sariane. Ce problème là est réglé... Mais d'autres se posent suite à ce que j'ai appris au Temple... Et à la réflexion, celui-ci n'était rien comparé à ceux qui arrivent...
- Et encore, vous ne savez pas tout... Vous constaterez que les choses ont beaucoup changé en votre absence... Et pas vraiment pour le mieux...
- Je me disais bien qu'il allait nous tomber encore quelques petites tuiles sur le crâne, ironisa Splach.
- Laisse-la finir, le coupa la magicienne.
- Les sorciers de Mok ont gagné en puissance, poursuivit la gardienne, ignorant l'interruption. Ils prennent le pouvoir un peu partout dans le monde, depuis que leur chef a renversé les dieux il y a six mois de cela...
- Les dieux ont été renversés ? S'exclama le nain, abasourdi.
- Par un sorcier de Mok ? Renchérit Sariane.
- Oui, l'un des leurs a permis à l'esprit de Mokuji, le fondateur de leur ordre, de s'incarner en lui.
- Mais je l'ai tué ! S'écria la magicienne. En reprenant la pierre, j'ai vaincu ce sorcier !
- Tu ne l'as pas tué, non, la contredit Luny. Juste expédié dans une autre dimension. Un sorcier normal y aurait péri, mais lui non. Il en est revenu près d'un an plus tard... Puis il a achevé la mise en place de son plan et pris la place des dieux...
- Je n'arrive pas à le croire, murmura Splach atterré.
- Un an vous dites ? S'étonna Arkania.
- C'est vrai, renchérit Sariane. Comment est-ce possible alors que nous ne sommes partis que quelques jours ?
- Le temps n'est pas le même partout, expliqua la gardienne. Trois jours en Enfer représentent près d'un an ici... Du moins actuellement, car l'échelle est elle aussi variable et dépend de la position relative des dimensions l'une par rapport à l'autre...
- J'y comprends rien, grogna le nain.
- Ce n'est pas très important, tout ce qu'il faut retenir c'est que deux ans se sont écoulés depuis notre départ d'ici, résuma la magicienne.
- Je crois que je vais m'asseoir, soupira Arkania à qui tous ces événements donnaient mal à la tête.
- Il va y avoir d'autres ennemis à affronter, constata l'ex-démon. Arallu vous aidera de son mieux.
- Tu as bien changé, toi ! S'étonna la gardienne en reconnaissant enfin le petit démon qu'elle avait épargné pour leur servir de guide.
- Quelle est la situation exacte ? Combien de royaumes les sorciers ont-ils conquis ? Et qu'est-il advenu des dieux ? Questionna Sariane.
- Ils ont déjà conquis près du tiers du monde... Avec le soutien actif d'un dieu – du seul dieu actuel qui plus est – nul doute que la conquête sera achevée dans un an ou deux tout au plus... Quant aux dieux, ils tentent de reprendre leur place. Ils ont un plan qui pourrait bien marcher mais les sorciers font tout pour leur mettre des bâtons dans les roues...
- Je vois, soupira la magicienne. Si seulement j'avais tué ce maudit sorcier on n'en serait pas là...
- Tout n'est pas perdu, la rassura Luny. Les dieux, même destitués et amoindris dans leurs pouvoirs, restent puissants. D'autant plus puissants qu'ils n'hésitent plus à faire usage de leurs pouvoirs. Mais ils auront besoin de toi, jeune magicienne. Tu seras même essentielle...
- Vous êtes sûre ? En l'état, je suis plus un danger potentiel qu'autre chose avec l'esprit chaotique que je renferme.... Déclara Sariane la mine sombre.
- Ne vous sous-estimez pas, jeune magicienne. Vous êtes un être unique par bien des aspects vous avez en vous la capacité de maîtriser la puissance de Bugderam. C'est du moins ce que croit le Grand Mage-Administrateur.
- Il est vrai qu'il avait l'air de me faire confiance quand je l'ai rencontré au Temple de la Magie Inverse...
- Et il y a de quoi, vous êtes réellement quelqu'un d'exceptionnel de par vos origines et votre parcours...
- Mais je suis totalement incapable de contrôler cette puissance sans me laisser submerger par les pulsions meurtrières et destructrices de Bugderam ! Comment pourrais-je combattre ce sorcier sans devenir une menace plus grande encore que lui ?
- Il y a une cité au nord d'ici à quelques jours de cheval. Elle se nomme Tobalville. Là bas vit une vieille magicienne qui vous enseignera ce que vous devez savoir...
- Bon, ça vaut le coup d'essayer... En route alors, conclut Sariane. J'imagine qu'on n'a pas trop de temps à perdre...
- Eh ben on a pas fini, grogna Splach. Et toujours aucun trésor à l'horizon !
- On va sauver le monde, avança Arkania. Les gens nous en seront sûrement reconnaissants.
- C'est ça ! Elle va sauver le monde, dit-il en désignant la magicienne. Tu crois que l'on se souviendra de nous ?
- Ben quand même, sans nous elle serait déjà morte probablement...
- Ouais, mais les gens s'en foutent de ça... C'est la jeune et jolie magicienne qu'ils acclameront, pas ses larbins... Enfin, il faut bien que quelqu'un le sauve ce monde, acheva-t-il en haussant les épaules avant de se diriger vers la sortie en compagnie d'Arkania.
- Tu viens ? Demanda Sariane à Arallu qui ne faisait pas mine de les suivre.
- Non. Ce monde n'est pas celui d'Arallu... Arallu restera ici pour garder l'accès, vous aurez déjà bien assez de problèmes sans une invasion démoniaque...
- Un peu d'aide ne serait pas de refus acquiesça Luny d'un ton las.
- Bien. Je vous souhaite bonne chance à tous les deux, conclut la magicienne en quittant la caverne à la suite de ses deux compagnons avant de prendre la route vers le nord...

Chapitre 5 : Le premier fragment.

D'un coup de patte, le gigantesque loup noir éventra l'un des soldats, puis d'un bond il en rejoignit un autre. Ses mâchoires claquèrent d'un coup sec et l'homme s'écroula, la gorge déchiquetée.
Le loup regarda ses autres adversaires en souriant, dévoilant ses crocs dégoulinant de sang. Les soldats hésitèrent. Ce loup les terrifiait... Mais pas autant que les sorciers qui les dirigeaient et leur dieu maléfique... Ils chargèrent en hurlant des cris de guerre qui ne parvenaient pas entièrement à leur faire oublier leur peur.
Le loup massacra consciencieusement les quinze soldats dont le sang imbiba le sol caillouteux du chemin avant de poser un regard affamé sur les deux sorciers qui dirigeaient la patrouille. Les deux hommes se regardèrent un instant avant de prendre la fuite. Le loup s'apprêtait à bondir à leur suite quand une voix féminine le retint.
- Laisse-les Fen'. Nous avons plus urgent à faire que tuer deux misérables sorciers...
Avec un dernier regard haineux pour les deux fuyards, il suivit sa maîtresse qui avait déjà repris son ascension du versant nord du Mont Feuoku.
Moins d'une heure plus tard, ils parcouraient le cratère du volcan pour atteindre une petite caverne qui s'enfonçait dans les profondeurs basaltiques. La température augmenta rapidement à mesure qu'ils avançaient dans l'étroit passage.
Bientôt, le boyau déboucha sur une vaste salle. Elle était entièrement inondée d'une lave bouillonnante à l'exception d'une petite plateforme rocheuse qui émergeait en son centre. Sur cette plateforme trônait une sorte de pierre émettant une faible lueur blanche à peine visible.
- Qui vient déranger le sommeil du grand, du sublime, de l'invincible, du titanesque, du tout puissant Feudboa Denlashminez, Seigneur du Mont Feuoku, Maître du feu...
- Tu vas continuer encore longtemps demanda Nine en réprimant un bâillement.
- Oui, bon, ça va hein... C'est pas souvent que je peux me la jouer comme ça... Y a jamais personne qui vient me voir, bougonna son interlocuteur en jaillissant du lac de lave.
Feudboa était un élémentaire de feu. Son corps, haut de plus de dix mètres, était constitué de lave incandescente et il était entouré de flammes.
- Le jour où la modestie sera liquide, fais gaffe à pas te noyer... Ironisa l'ex-déesse.
- Pfff... Rétorqua Feudboa.
- Bon, comme tu t'en doutes, je viens récupérer le fragment, déclara Nine en redevenant sérieuse.
- Moi qui croyais que tu venais juste admirer ma splendeur incomparable, soupira l'élémentaire.
- Heu... oui, mais non... Répondit Nine. Bon, tu me l'apportes ce fragment ? J'ai pas toute la journée, s'impatienta-t-elle après quelques secondes passées à le regarder bouder.
- Ouais, ça va, j'te l'cherche ton fragment... Grogna Feudboa en se dirigeant vers le centre du lac où il ramassa la pierre scintillante. Mais si j'te l'donne, tu vas repartir et je vais m'ennuyer à nouveau... Y a pas grand chose à faire ici...
- Donne moi le fragment.
- Non, Répondit l'élémentaire.
- Tu oses défier une déesse ?
- T'es plus une déesse que j'sache.
- ... Ajouta paresseusement Fenrir en baillant à s'en décrocher la mâchoire avant de s'allonger confortablement pour se curer les crocs avec ses griffes.
- Bon, donne-le moi et quand je serais redevenue une déesse, je ferai venir ici une jeune et jolie élémentaire, rien que pour toi... Ça te va ?
- C'est vrai ? S'exclama joyeusement Feudboa.
- Puisque je te le dis...
- Promis ? Demanda-t-il, soupçonneux.
- Promis, répondit Nine.
- Et qu'est-ce qui me prouve que tu tiendras parole ?
- La parole d'une déesse n'est-elle pas la plus fiable qui soit ?
- T'as la mémoire courte toi... T'es plus une déesse !
- Au moment de tenir ma promesse, j'en serai une, fit-elle remarquer.
- Mais c'est maintenant que tu la fais ta promesse, rétorqua l'élémentaire.
- C'est vrai, concéda l'ex-déesse. Si je te fais un papier signé en trois exemplaires, ça te va ?
- Heu... Ignifugé le papier ? Demanda l'élémentaire.
- C'est pas facile de te rouler, toi... Soupira Nine.
- Je suis quand même le grand, le sublime le merveilleux...
- Oui, je sais, tu l'as déjà dit, l'interrompit l'ex-déesse.
- Enfin, j'suis pas le premier venu, quoi... J'ai une réputation à tenir, précisa l'élémentaire.
- Bon, voilà ton papier, dit-elle après une brève incantation en lui tendant trois rouleaux de parchemin.
Feudboa en prit un et l'examina attentivement.
- Ça m'a l'air en ordre... Tiens, voilà ton fragment, dit-il en lui tendant la pierre.
- À la prochaine, dit l'ex-déesse en s'éloignant, son loup sur les talons.
- Reviens quand tu veux, répondit Feudboa.
- Bien, plus que quatre fragments à récupérer, soupira Nine...

Chapitre 6 : Au Quarante-Septième Tonneau...

Les trois compagnons, après six jours de chevauchée sans incident, arrivaient en vue de Tobalville. Cette cité, âgée de plusieurs siècles était toujours dirigée par son fondateur, le seigneur Tobaldi qui passait pour l'un des plus grands spécialistes de la magie régénératrice qui permettait de contrer les effets de la vieillesse.
La cité était entourée d'une muraille haute de quarante-sept pieds et découpée en quarante-sept portions par autant de tours de garde. Pour entrer dans le palais dont la construction avait nécessité quarante-sept décennies de travaux acharnés, il fallait gravir un escalier de quarante-sept marches de marbre. On racontait que le seigneur Tobaldi avait quarante-sept femmes – même s'il n'en connaissais pas plus de la moitié. Sa magie aurait pu lui rendre la jeunesse, mais c'est au dessus d'un visage de quarante-sept ans que scintillaient les quarante-sept diamants de sa couronne.
C'est dans cette étrange cité que les compagnons arrivèrent peu avant la tombée de la nuit. Ils trouvèrent refuge au Quarante-Septième Tonneau, l'une des quarante-sept auberges de la ville.
- Ils sont bizarres les gens ici, fit remarquer Arkania. Chaque maison porte le numéro quarante-sept...
- Ils servent quarante-sept bières différentes ! S'exclama Splach, enthousiaste.
- Et une chambre coûte quarante-sept pièces de cuivre par nuit, annonça Sariane.
- Les patrouilles comptent toutes quarante-sept gardes, renchérit la voleuse.
- Ils ont aussi quarante-sept vins ! Poursuivit joyeusement le nain.
- Et il y a quarante-sept tables dans cette salle, soupira la magicienne.
- Et je parie que tous les coffres forts comptent un quarante-sept dans leur combinaison...
- Si on arrive à boire quarante-sept verres sans s'écrouler, les suivants sont gratuits !
- Et regardez les serveuses ! Elles ont toutes quarante-sept tresses dans les cheveux !
- Et la peine de prison pour vol est de quarante-sept mois et pour le meurtre, c'est quarante-sept ans...
- Vous croyez que je tiendrais quarante-sept verres ?
- Tous ces quarante-sept me donnent le tournis, grogna Sariane.
- Évidemment... quarante-sept petits pois, soupira Arkania alors qu'une serveuse lui apportait son assiette.

***
Derrière la quarante-septième porte du quarante-septième couloir du quarante-septième sous-sol du palais du seigneur Tobaldi, se trouvait le bureau du directeur de son service d'espionnage, un agent connu sous le nom d'Alias.
- Les sorciers de Mok avancent, monsieur. Ils viennent d'envahir le royaume de Couponluilatête, dont le malheureux souverain vient d'être...
- Décapité ? Suggéra Alias dont la voix laissait transparaître un ennui profond.
- Précisément, monsieur.
- Il ne reste donc que Tuontoulmonde entre eux et nous de ce côté... Et je doute que ces barbares tiennent plus de quelques semaines...
- Il y a autre chose, monsieur.
- Continuez, agent Syd.
- Eh bien, monsieur, une jeune femme correspondant en tous points au signalement de la magicienne que vous recherchez a été aperçue près de la porte sud, monsieur.
- Intéressant, déclara Alias, dont l'ennui semblait avoir fondu, comme neige en Enfer.
- Les agents qui l'ont suivie disent qu'elle se fait bien appeler Sariane... Elle porte un petit singe sur l'épaule et est accompagnée d'un nain et d'une humaine...
- Et où se trouve-t-elle en ce moment ?
- Au Quarante-Septième Tonneau, monsieur.
- Bien, vous pouvez disposer, agent Syd, conclut Alias.
Après que l'agent Syd eut quitté la pièce, Alias se leva et se dirigea vers le fond de son bureau. Actionnant un mécanisme dissimulé dans les murs, il ouvrit une porte dérobée donnant sur un couloir sombre et poussiéreux. Il descendit rapidement les quarante-sept marches menant à son sous-sol secret, impatient de révéler à son invitée la nouvelle qu'il venait d'apprendre.
- Ava chérie, devine ce que j'ai appris à l'instant, déclara-t-il d'un ton joyeux.
- Les sorciers de Mok seront bientôt ici et nous allons enfin quitter cette ville de fous ? Suggéra Avalon en sortant de l'ombre.
- Non... Enfin si, aussi, mais j'ai une bien meilleure nouvelle ! Précisa Alias.
- Je t'écoute mon Alias-love, répondit Avalon, impatiente.
- L'agent Syd vient de m'annoncer que Sariane est en ville !
- Elle est ici ? S'exclama Avalon.
- Sans aucun doute possible. Mais elle a manifestement renoncé à dé-fusionner, ne se séparant que du singe qu'elle porte sur l'épaule...
- Nous saurons bien l'y pousser, sourit Avalon. Ma fifille, je vais enfin te récupérer !

***
- Je n'ai jamais vu ça, murmura une serveuse alors que le nain engloutissait une nouvelle chope de bière.
- C'est son soixante-quatorzième verre ! Renchérit une autre.
- Et il en demande encore, soupira une troisième en déposant un nouveau verre sur la table.
- On devrait peut-être l'arrêter, non ? Suggéra Arkania.
- Heu, si tu y tiens, vas-y, je t'en prie, répondit Sariane qui massait toujours sa joue endolorie par une infructueuse tentative une quinzaine de verres plus tôt.
- Oui, bon... Enfin, ça le regarde après tout, remarqua prudemment la voleuse blonde... Sinon, tu as une idée de comment on va trouver cette fameuse magicienne dont on ne sait même pas le nom ?
- Pas vraiment... Quoique, je pourrais tenter un sort de détection, déclara la magicienne, pensive.
- Tu as un sort qui permettrait de faire ça ?
- J'en connais un qui permet de localiser les individus ayant une grande force magique... S'il n'y en a pas trop dans le coin, on devrait pouvoir trouver notre magicienne...
- Je sens qu'il y a un « mais »...
- Eh bien, c'est pas évident comme sort... À vrai dire, je ne l'ai jamais réussi... Mais je me suis beaucoup améliorée ces derniers temps, je devrai y arriver.
- Hum... Espérons...
- J'veux une autre bière ! Brailla Splach.
- T'es sûr que c'est une bonne idée, lui demanda Arkania en s'éloignant prudemment du nain.
- Mais oui, répondit l'intéressé d'une voix pâteuse.
- Je monte dans ma chambre, annonça Sariane. Il me faut du calme pour lancer mon sort... Tu me diras combien de verres il aura tenu !
- Hmm... Grogna la voleuse qui serait bien allée se coucher...

Chapitre 7 : Du sable, du sable et encore du sable !

Les deux dieux déchus parcouraient le désert de Greautadçable, atteignant le sommet d'une nouvelle dune.
- Quelle idée de cacher ce fragment dans un endroit aussi chaud... Se plaignait le grand mage qui transpirait abondamment. J'lui avais dit à Nine que c'était une mauvaise idée, mais rien à faire !
- Oh, arrête, il ne fait pas si chaud, contra Isis que le soleil et la chaleur n'incommodaient pas outre mesure. Et regarde ce magnifique paysage !
- Mouais, grommela le mage. Du sable, du sable et encore du sable ! Rien que du sable à perte de vue ! Et au dessus du sable, un soleil de plomb... J'ai vu mieux...
- T'es jamais content toi, soupira Isis.
- Quand il fait aussi chaud, non...
- Maintenant arrête de te plaindre et avance !
- Hmm...
Les deux dieux reprirent leur route, Isis marchant d'un pas joyeux sur le sable fin, suivie du mage qui soufflait, grognait et pestait tout en se liquéfiant littéralement.
- Regarde ! S'exclama soudain l'ex-déesse en indiquant du doigt un point au loin.
- Et ? Demanda le mage en observant les dunes d'un regard morne.
- Tu ne vois pas l'entrée du tombeau ?
- Heu... Non je vois du sable surtout... Rendu flou par la chaleur... À part ça...
- T'es vraiment pas doué toi, soupira Isis en levant les yeux au ciel.

***
- Il en vient de partout ! Hurlait l'ex-déesse alors qu'une horde de momies et autres squelettes animés envahissait la pièce.
- C'est bon, tempéra le mage dont les doigts traçaient à toute vitesse une série de symboles magiques. Tu vas pas t'affoler pour si peu...
Des dizaines de missiles d'énergie crépitèrent un instant autour du mage avant de fondre sur les morts-vivants.
- J'suis pas une guerrière, moi, juste un guérisseu... lâche-moi, toi ! S'exclama Isis en arrachant son bras droit des mains d'une momie qui agita ses bandelettes pour signifier sa désapprobation.
- Je maîtrise la situation, t'inquiète pas, précisa le mage d'un ton rassurant.
Une série d'oiseaux de feu naquirent dans ses mains, déployèrent leurs ailes et s'élancèrent sur un groupe de squelettes qu'ils réduisirent en cendres fumantes.
- J'adore ce sort ! S'exclama le dieu déchu en se tournant vers Isis. Il est génial non ?
- Tu pourrais pas te concentrer sur la bataille plutôt ?
- Bon, t'aimes peut-être pas les oiseaux de feu... Et ça ?
Des nuées de fourmis jaillirent des manches du mage et rongèrent avidement un groupe d'assaillants.
- Tu veux pas arrêter de jouer ? On va se faire tuer si tu continues !
- Pff... T'es pas drôle...
D'un mouvement de la main, il libéra une vague d'énergie qui anéantit tous les morts-vivants restants.
- Ça veut dire que tu aurais pu tous les détruire comme ça d'un coup dès le début ? S'exclama Isis.
- Ben oui... Mais ça aurait été beaucoup moins marrant non ? Répondit le mage en haussant les épaules avant de s'engager dans un couloir obscur s'enfonçant dans les entrailles du tombeau.
- Moins marrant, moins marrant... J'ai manqué me faire tuer et il trouve ça marrant ! Grommela l'ex-déesse.
- Bon, tu viens ? Appela la voix du mage qui s'éloignait.

***
- Ça c'est censé être moi, disait le mage en désignant une stature d'une dizaine de mètres de haut.
- Pas très ressemblant, commenta Isis.
- Ouais, je sais... D'un autre côté, ils ne m'avaient jamais vu, les sculpteurs qui ont fait ça... Idem pour les architectes pour qui ils travaillaient, alors ça aurait pu être pire...
- Hum... Et ça ? Demanda l'ex-déesse en désignant une statue féminine accompagnée d'un grand loup.
- Elle c'est Nine... Et le loup, c'est Fenrir... Elle, ils l'avaient vue, donc elle est assez ressemblante...
- Ah... Et lui ?
Le mage contempla la statue représentant un humanoïde à deux têtes cyclopéennes. Il avait deux bras terminés par des serpents et son corps était couvert d'écailles.
- Heu, il a jamais existé celui là, c'est juste qu'avec Queen là-bas, ça faisait que trois dieux et que les Vieudlaviey – qui ont construit ce tombeau pour leur roi il y a environ six mille ans –, ils aimaient le chiffre quatre... Alors ils en ont inventé un quatrième, expliqua le mage.
- Ils étaient bizarres ces gens... Mais qui c'est Queen ? Tu m'en as jamais parlé... Je croyais que vous n'étiez que deux...
- Elle a pris sa retraite il y a deux millénaires environ... Trop de responsabilités qu'elle disait...
- Vous êtes vraiment étranges par ici ! J'ai visité des centaines de mondes et pas une seule fois je n'ai entendu parler d'un dieu qui aurait pris sa retraite... Un dieu assassiné, oui. Détrôné, aussi, pas de problème. Abdiquant sous la menace, j'ai vu aussi... Mais prenant sa retraite... Ça j'ai jamais vu...
- Oh, elle est pas à plaindre... En tant qu'ex-déesse, elle touche cent pièces d'or par mois pour service rendu et elle dispose d'une maison avec trois domestiques et une voiture avec chauffeur...
- Aïeuh ! Grogna Isis qui venait de se pincer pour être bien sûre qu'elle ne rêvait pas.

***
- C'est encore loin ? Demanda l'ex-déesse une heure et des kilomètres de couloirs plus tard.
- Nan, on y est presque... Si mes souvenirs sont bons, c'est juste après cette intersection...
- Quoi ? On marche depuis des heures dans ces couloirs sombres et poussiéreux ! Ne me dis pas que tu n'es même pas sûr du chemin !
- Heu si si, c'est là ! S'empressa d'affirmer le mage.
- J'aime mieux ça...
- Enfin, a priori, c'est là... Ouais, c'est là ! Annonça-t-il en pénétrant dans une grande salle aux murs couverts de peintures, de poussières et de toiles d'araignées. Dans ce sarcophage, reposent les restes du pharaon Ramousès Fécomtuveu... Et la pierre dorée à côté, c'est le fragment qu'on est venu chercher.
- Bien, alors on n'a plus qu'à aller le prendre, déclara Isis.
- Attends, tu t'imagines bien qu'il y a un gardien...
- Heu... Pour arriver ici il faut trouver le tombeau au beau milieu de cet immense désert, ensuite il faut survivre aux centaines de morts-vivants qui errent dans le coin et ne pas se perdre dans le dédale des couloirs... Sans oublier les pièges... Et tu me dis qu'il y a encore un gardien ?
- Ils faisaient pas les choses à moitié à l'époque... On va attendre qu'il se montre, c'est mieux... Si on le met en colère, on y aura rien gagné...

***
- T'es vraiment sûr qu'il y a un gardien ? Demanda Isis pour la cinquantième fois en deux heures d'attente.
- Mais oui, j'te dis qu'il y a un gardien... J'ai assisté à son invocation depuis ma tour, c'était marrant. Y avait une belle cérémonie avec des danseuses, des sacrifices, de la musique, des incanta...
- Et il est où ton gardien ? J'vois rien moi...
Le mage sursauta alors, se frappant le front du plat de la main, comme si une information capitale lui revenait à l'esprit.
- Quoi encore ? Grogna Isis.
- Y a plus de gardien !
- Qu'est-ce que tu dis ? Hurla l'ex-déesse au bord de la crise de nerfs.
- Ils avaient plus assez d'esclaves à sacrifier pour l'invoquer alors il a été engagé pour six mille ans seulement... Son contrat à dû s'achever y a pas longtemps...
- Tu te fous de ma gueule là ! On vient d'attendre deux heures qu'il se pointe et maintenant tu me dis qu'il est plus là ?
- Tout le monde peut se tromper, se défendit le mage en allant ramasser le fragment. Ça remonte à loin cette histoire...
- Tais-toi ! Je ne veux plus rien entendre !
- Comme tu veux... Conclut le mage en reprenant en silence le chemin de la surface...

Chapitre 8 : Nous les nains, on est au dessus de ça...

Sariane était seule dans sa chambre. Assise sur son lit elle se concentrait sur le sortilège qu'elle s'apprêtait à lancer. C'était un sortilège difficile qui demandait une très grande précision.
- À la moindre erreur, ce sont les cafards ou les rats que vous risquez de détecter, jeunes filles, récita Sariane en singeant le vieux professeur Alan Rogus. Et une telle erreur pourrait s'avérer plus dangereuse que drôle, alors cessez de pouffer stupidement et suivez le cours ! Nombre de mages des plus expérimentés sont devenus fous après avoir sentit grouiller des millions de cafards...
La magicienne afficha une moue dégoûtée.
- Quand je pense que Sarah avait un faible pour ce vieux croûton... Heureusement que c'est Lauriane qui a pris le dessus sur ce point, soupira Sariane, soulagée rien que d'y penser.
Chassant le vieux magicien de ses pensées, elle se concentra à nouveau sur le sort qu'elle s'apprêtait à lancer, se remémorant les gestes compliqués à effectuer et les incantations à réciter.
- Qui ne tente rien n'a rien... Grommela-t-elle avant de commencer.
Faisant le vide dans son esprit, la jeune magicienne commença à incanter. Au fur et à mesure que le sortilège avançait, elle sentait ses perceptions s'étendre. Elle eut bientôt une conscience floue de la ville entière. Elle la sentait tout autour d'elle, telle une présence indistincte, une sorte de brouillard où tout se fondait... Puis différents personnages se détachèrent progressivement de l'ensemble, comme autant de phares dont la lumière percerait le brouillard ambiant. Elle sentait précisément leur présence, disséminés dans la ville... Il y avait une centaine d'adeptes de la magie dans la ville. La plupart n'était que faiblement visible ce qui indiquait un pouvoir réduit, mais deux magiciennes situées dans la même maison sortaient du lot, loin devant le puissant seigneur Tobaldi.
- Hum... C'est sûrement l'une d'elles... Souffla la magicienne.
Par précaution, elle mémorisa les emplacements de quatorze autres magiciennes présentes avant de mettre fin au sortilège.
- Bon, ben je m'en suis bien sortie finalement... Mais il est vraiment épuisant ce sort, soupira-t-elle avant de s'allonger sur son lit et de s'endormir aussitôt.

***
Le lendemain, Sariane retrouva Arkania vers midi dans la grande salle de l'auberge.
- Cent trois verres avant qu'il daigne s'écrouler, grogna la voleuse en avalant une bouchée de carottes râpées. Et après il a encore fallu le traîner dans sa chambre... Heureusement que l'aubergiste m'a aidée !
- Ce nain est vraiment incroyable, soupira Sariane en secouant la tête.
- Et ton sort, ça a marché ?
- J'ai trouvé seize magiciennes... Deux sont nettement plus puissantes que les autres adeptes de cette ville... Elles semblent vivre au même endroit alors on va commencer par là, répondit la magicienne tandis qu'une serveuse déposait devant elle une grande assiette d'un plat local composé d'un grand nombre d'aliments difficiles à identifier.
- Bien, on pourra y aller tout de suite après le repas... Avec un peu de chance Splach ne sera pas encore debout... Je ne tiens pas à l'entendre se plaindre de son mal de crâne après ce qu'il a bu...
- Qui a bu ? Demanda le nain en s'asseyant joyeusement à leur table.
- Tu vas bien ? S'étonna la voleuse.
- Pourquoi ça irait pas ?
- T'as descendu cent trois verres hier soir, ne me dis pas que tu n'as pas au moins un peu mal au crâne...
- La gueule de bois, c'est bon pour les humains ! Nous les nains on est au dessus de ça, précisa modestement Splach.
- C'est bon ce truc fit remarquer Sariane après deux bouchées. Mais je préfère ne pas savoir ce qu'il y a dedans...

***
Les trois amis étaient arrivés à destination. Les deux magiciennes habitaient une maison de taille moyenne au jardin bien entretenu. Alignés devant le portail de la propriété, ils s'interrogeaient sur la marche à suivre.
- Vous croyez qu'on peut aller jusqu'à la porte et frapper ? Demanda Sariane.
- Je sais pas... Elles ont peut-être un système anti-intrusion dans leur jardin, fit remarquer Arkania. À Nivu, un de mes collègues a fini transformé en souris en tentant de cambrioler la demeure d'un mage... Il a été condamné par le magistrat à finir sa vie sous cette forme...
- On pourrait appeler, suggéra la magicienne.
- Ou bien partir et oublier toute cette histoire, contra Splach que la perspective d'expérimenter la vie trépidante d'un petit rongeur n'enthousiasmait que modérément. De toutes façons, ça ne va encore pas nous rapporter la moindre pièce d'or je parie !
- Personne ne te force à nous accompagner, riposta Sariane.
- Je ne peux pas vous laisser seules par les temps qui courent, soupira le nain... Imagine que tu pètes les plombs et te mettes à tuer tout le monde... Faudra quelqu'un pour t'achever.
- Trop aimable, grogna la magicienne. Ta sollicitude me touche énormément, mais on s'en sortirait très bien toutes seules...
- Oui, bon, si on en revenait au sujet qui nous préoccupe ? Proposa la voleuse blonde.
C'est alors que la porte s'ouvrit et qu'une jeune femme d'environ vingt-cinq ans apparut sur le seuil.
- Vous venez ou vous compter rester là à camper devant la grille ?
- Heu, on comptait venir vous voir... Commença Sariane.
- Ouais, je sais, j'ai reçu une lettre de mon père expliquant les raison de votre visite, annonça la jeune femme en montrant un bout de parchemin à Sariane qui lut rapidement.

Ma très chère fille, salut.

J'espère que tout va bien pour toi et que tante Queen t'apprend plein de sorts amusants. Comme tu le sais sûrement, on a quelques problèmes en ce moment avec un certain sorcier, qui m'empêchent de venir vous rendre visite pour le moment... Mais tout devrait finir par rentrer dans l'ordre, on a un plan.
C'est d'ailleurs un peu pour ça que je t'écris... J'ai demandé à Luny de vous envoyer une jeune magicienne dès qu'elle rentrera de l'Enfer. Elle devrait donc arriver d'un jour à l'autre. Elle a besoin de l'enseignement de tante Queen pour maîtriser la puissance de Bugderam qui est prisonnier de son esprit – quand j'y repense, on l'a vraiment bien eu cet idiot ! – parce qu'en l'état, elle risque de devenir un véritable danger publique si elle l'utilise... Or on aurait besoin de cette puissance contre le sorcier...
Tu devrais la reconnaître facilement, elle a dans les vingt ans, des cheveux noirs, de jolis yeux bridés et un petit singe sur l'épaule... Bref, pas le genre qui coure les rues de Tobalville... Tu la trouveras sûrement devant la grille à se chamailler avec un nain et une voleuse, mais pas d'inquiétude, ils font ça souvent.
Voilà, c'est à peu près tout... Alors à la prochaine.

Papa Dara.

Post-scriptum : Ci-joint le dernier tome des aventures de ce petit sorcier que tu aimes tant... Je viens de l'avoir par un ami qui fait dans l'import-export inter-dimensionnel... Il est hors de prix, mais très fiable.
Post-post-scriptum : Demande à tante Queen de t'apprendre le sort avec les oiseaux de feu, il est marrant !

- Alors vous êtes sa fille ? Demanda Sariane, étonnée. Je ne savais pas qu'il avait des enfants...
- Ouais, je suis sa fille. Mais je vois pas pourquoi il te trouve aussi jolie, rétorqua la jeune femme, un soupçon de jalousie dans la voix.
- Vous lui ressemblez pas trop, constata Sariane en ignorant la remarque, tandis que le singe se désintéressant de la conversation, entreprenait manifestement de compter les cheveux de sa maîtresse.
- Ouais, je sais... Il me dit que je suis sa fille, mais j'ai des doutes parfois... D'autant que j'ai jamais entendu parler de ma mère...
- Moi, il m'a appris que ma mère – enfin ma demie-mère, si l'on peut dire – est une démone... Alors bon, des fois on se dit que c'est pas plus mal de pas savoir...
- Mouais... Bon, entrez, tante Queen vous attend.
- Dis, t'as compris quelque chose ? C'est qui son père ? Souffla discrètement Splach à Arkania.
- Aucune idée, j'ai jamais entendu parler de ce Dara, répondit la voleuse. Mais ça doit être quelqu'un d'important je pense...
- C'est l'un des noms du Grand Mage Administrateur, expliqua la jeune femme, d'un ton qui laissait entendre qu'être la fille du Dieu des Dieux était la chose la plus normale qui soit. Moi, c'est Wi'tch et vous ?

Chapitre 9 : Ça faisait longtemps qu'on ne s'était pas vues !

Le gros arbre noueux et difforme recula prudemment sous le regard menaçant de Fenrir. Le loup ne put résister au plaisir de le faire sursauter d'un brusque claquement de mâchoires. C'en était trop pour l'arbre qui s'enfuit en hurlant de terreur. Sur un grand sourire dévoilant ses crocs affûtés, le grand loup noir emboîta le pas de sa maîtresse, s'enfonçant plus avant dans le marécage.
Le marécage de Nonjépapeur tenait son nom de l'habitude qu'avaient les aventuriers de préciser systématiquement qu'y entrer ne les terrifiait en rien... Ils le répétaient avec tant d'insistance qu'on sentait bien que la première personne qu'ils tentaient vainement de convaincre, c'était eux-mêmes. Certains finissaient d'ailleurs par y arriver, suite à de longues soirées passées à le répéter en boucle, mais on les voyait rarement en ressortir... Ou alors traumatisés à vie...
- Ça pue ici, grogna Nine en tentant de se souvenir du chemin à prendre pour parvenir à destination en évitant les flaques de vase, sables mouvants et autres pièges du marais.
Tout autour d'elle, les arbres habituellement menaçants se faisaient les plus petits possibles et jetaient des regards craintifs en direction de Fenrir, qui savourait la situation en prenant son air le plus dangereux... L'ex-déesse et son loup atteignaient un embranchement quand des cris retentirent sur leur gauche.
- Non mais tu va me lâcher, oui ? Hurlait une voix féminine. Enlève tes sales branches de là, espèce de vicieux !
Il y eut un craquement de bois suivit d'un grognement sourd que seule une gorge de bois à moitié pourri pouvait produire.
- Ça t'apprendra à vouloir me peloter, non mais ! Et maintenant, tu vas me lâch... Aïeuh ! S'exclama la jeune fille dont l'arbre venait de saisir les poignets avant de les immobiliser dans son dos, affichant un sourire mauvais.. Lâche-moi tout de suite ou je te réduis en bois de chauffage ! Non, pas là, sale pervers ! Attends que je me libère et tu vas voir ! Vise les yeux Akki, les yeux !
S'ensuivit un « shlac » retentissant quand la webcam fouetta l'arbre en plein visage, d'un coup de câble bien senti. Poussant un terrible grognement de douleur, l'arbre relâcha son attention, desserrant légèrement sa prise sur la jeune fille qui parvint à se libérer.
- Non mais c'est quoi ces arbres ? Jura-t-elle en remettant de l'ordre dans ses cheveux blonds.
- Lornette ! Ça faisait longtemps qu'on ne s'était pas vues ! S'exclama Nine qui arrivait sur les lieux de l'affrontement. Qu'est-ce que tu fais ici ?
- Je manque de me faire violer par un vieil arbre dégoûtant, ça se voit non ? Grogna la jeune fille en jetant un regard meurtrier à son agresseur.
- C'est un samaelier... Ils font ça tout le temps... Y en a plein par ici, c'est pas vraiment l'endroit idéal pour une jeune fille ce marais, expliqua Nine. Pour un jeune homme non plus, à la réflexion, parce qu'il y a aussi des loïcens...
- Ouais ben j'ai pas le choix moi... Un monstre a enlevé mon p'tit copain et l'a emmené dans ce marais de fous...
- Tu sais, il est probablement mort à l'heure qu'il est, soupira Nine.
- Je te remercie pour cette grande bouffée d'optimisme, je me sens mieux maintenant, maugréa la jeune fille.
- Enfin, à moins qu'il ne sache chanter et que son kidnappeur soit Vazmouçue, le maître de ce marais... Dans ce cas il vivra jusqu'à ce que Vazmouçue se lasse de l'entendre...
- Quand il a été enlevé il était en train de me chanter une de ses nouvelles chansons... On était assis au clair de lune, près d'un lac au nord... Et ses adorables petites cornes rouges reflétaient la lumière des étoiles... Tu vas m'aider à le délivrer, dis ? Supplia Lornette.
- Je vais justement voir Vazmouçue, répondit Nine. Il détient quelque chose dont j'ai besoin... On en profitera pour libérer ton copain, conclut-elle avant de reprendre son chemin, Fenrir et Lornette sur les talons.

***
Après quelques heures de marche dans le dédale du marécage, ils arrivèrent dans un lieu manifestement habité. Sur un gros rocher trônait une cage contenant un démon vert humanoïde qui sourit jusqu'aux oreilles – littéralement – en apercevant Lornette.
- Oh ! Tu es venue ma Lornette adorée ! S'exclama-t-il.
- Évidemment ! J'allais pas te laisser moisir dans ce marais puant, voyons ! J'te présente Nine, dit-elle en désignant l'ex-déesse.
- Nine ? La déesse ? S'écria le démon, abasourdi.
- Déchue, précisa Nine. Enfin pour l'instant... D'ailleurs c'est pour ça que je suis là. Hé, Vazmouçue ! Ramène-toi !
- T'es folle ou quoi ? S'exclama Lornette. Tu veux tous nous faire tuer ?
- Il a un truc dont j'ai besoin, répliqua calmement Nine.
- Qui a osé ? Rugit une voix grondante alors qu'une immense silhouette dégoulinant de vase émergeait d'un bassin d'eau boueuse.
- T'es toujours aussi moche toi, remarqua Nine. Bon, je suis là pour le fragment.
- Hum, répondit Vazmouçue. Et j'aurai quoi en échange ?
- Ah et tu vas libérer celui là aussi, ajouta-Nine en désignant le démon vert dans sa cage.
- Et puis quoi encore ? Gronda le monstre des marais.
- Ce sera tout, merci, répondit Nine.
- Tu t'fous de ma gueule ou quoi ?
- Un peu, en effet, reconnut Nine en souriant. Bon, ça vient ?
- T'auras rien du tout ! T'est plus une déesse alors tu peux toujours rêver ! J'te dois rien ! Enfin... à moins que tu payes en nature, évidemment... Ajouta-t-il d'une voix si lourde de sous-entendu que si sa parole avait été d'or, elle aurait valu une fortune...
- Comme tu peux le constater, le roi et ses sujets sont faits pour s'entendre, souffla Nine en direction de Lornette sur le visage de laquelle s'afficha une moue dégoûtée. Fen' ! Appela Nine.
Le loup bondit d'un mouvement gracieux et atterrit sur le dos du monstre qu'il lacéra joyeusement à coups de griffes.
- Sale clébard ! Tu vas voir si je t'attrape ! Hurla le monstre en tentant de saisir son agresseur dans ses mains difformes.
- Donne-moi le fragment, ordonna Nine.
- Jamais !
- Donne le fragment, répéta Nine tandis que Fenrir continuait à déchiqueter frénétiquement son adversaire.
- Non ! Grogna le monstre. T'auras rien du tout !
- Fen', je crois que notre ami a un truc en trop entre les jambes... Remarqua négligemment la déesse déchue.
- C'est bon, le voilà ton fragment ! S'empressa de capituler Vazmouçue.
- Bien. Ouvre la cage maintenant, poursuivit Nine en saisissant le fragment que le monstre lui tendait.
- Voilà, voilà...
- C'est toujours un plaisir de traiter avec toi, conclut Nine avec un sourire ironique.
- C'est ça, ouais, grogna le monstre.

***
Quelques heures plus tard, c'est avec un grand soulagement qu'ils quittèrent Nonjépapeur.
- Merci pour tout, déclara Lornette.
- De rien, c'était un plaisir de te revoir, répondit Nine.
- Au fait, est-ce que par hasard, tu saurais ce qu'est devenue Sariane, demanda la jeune fille blonde.
- Elle s'est séparée du singe et elle va bien.
- C'est super ça ! S'exclama Lornette.
- Bon ben à la prochaine. J'ai un sorcier qui se prend pour un dieu à renverser, moi, salua Nine.
- Au revoir ! Et bonne chance ! Répondit Lornette en regardant Nine et Fenrir s'éloigner...

Chapitre 10 : La chance du débutant.

- « Appât du gain » ! Jubila Wi'tch en posant sa carte. Pas de chance Arkania.
- Pareil, sourit la voleuse en posant un second « appât du gain » sur la pile.
Splach piocha huit nouvelles cartes en bougonnant.
- Vous croyez qu'elle va y arriver ? Demanda Arkania en faisant un signe de la tête en direction de la porte derrière laquelle s'étaient enfermées Queen et Sariane.
- Y a intérêt, parce que si elle pète un câble, on sera les premiers à y passer, grogna le nain.
- Je croyais que tu restais justement avec nous au cas où cela se produirait, ironisa la voleuse.
- Tante Queen arrivera à la former, pas d'inquiétude, assura Wi'tch. C'est une ancienne déesse et la meilleure magicienne qui soit. Et au cas où ça tournerait mal, à nous deux on devrait pouvoir l'empêcher d'aller trop loin.
- Mouais, concéda le nain, guère convaincu. La magie, c'est jamais très fiable, on a toujours des surprises...
- Uno ! S'exclama Arkania en posant son avant-dernière carte.
- Et tu en sais plus sur le prétendu plan de ton père ? Demanda Splach en jouant à son tour. En quoi a-t-il besoin de Sariane ?
- Pour l'instant, ils doivent récupérer les « fragments »... Cinq morceaux d'un artefact magique qu'ils ont caché de par le monde au cas où arriverait ce qui justement est arrivé... Avec ça ils pourront annihiler le sorcier qui les a renversés. Expliqua Wi'tch en jouant une « tournée générale » qui fit passer son tour à la voleuse. Ils auront ensuite besoin de Sariane pour reformer l'artefact...
- Ils ne peuvent pas le faire eux-mêmes et la laisser en dehors de ça ? S'étonna le nain en jouant un « Appât du gain ».
- Non, malheureusement il faut la puissance d'un dieu pour y parvenir, soupira Wi'tch en piochant ses quatre cartes. Et ça, à part l'usurpateur qui les a renversés – et qui ne va certes pas les aider –, seule Sariane la détient...
- Gagné ! S'exclama joyeusement Arkania en jouant sa dernière carte.
- Encore ? S'indigna Splach. Ça fait trois parties de suite !
- J'aime ce jeu, sourit la voleuse.
- La chance du débutant, voilà tout, tempéra Wi'tch.

***
- Tu dois maintenir le chaos à distance tout en exploitant sa puissance...
Depuis des heures, Sariane s'entraînait à barricader son esprit contre l'influence de Bugderam, sous les conseils avisés de Queen. La déesse retraitée semblait avoir une patience infinie et parlait d'un ton calme et amical. Elle avait de longs cheveux blancs qui cascadaient dans son dos et ses yeux gris reflétaient une sagesse issue de millénaires d'existence...
- Reste concentrée. Si tu relâches ton attention, il en profitera pour attaquer, pour s'insinuer dans ton esprit et te manipuler.
- Mais comment rester concentrée sur mes défenses et en même temps sur mes sorts ? C'est impossible ! La magie demande une concentration totale...
- Cela viendra avec le temps, jeune fille. Il faut que le tenir à distance devienne un réflexe, au même titre que respirer...
- Eh ben c'est pas gagné... Grogna Sariane.
La jeune magicienne ferma les yeux et se concentra à nouveau, puisant une infime quantité d'énergie chaotique. Immédiatement, elle sentit Bugderam s'insinuer dans la brèche, mais elle le repoussa et la colmata au plus vite.
- Tu dois laisser passer l'énergie sans que lui puisse passer. Tes défenses doivent agir comme un filtre, expliqua la vieille magicienne alors que son élève répétait le processus encore et encore...

***
- Elle est chez les deux magiciennes, déclara Alias en débouchant dans le sous-sol secret où l'attendait Avalon.
- Par l'enfer ! Qu'est-ce qu'elle fout là bas ? Hurla la démone en lacérant une tapisserie d'un coup de fouet rageur.
- Il semblerait qu'elle suive l'enseignement de la vieille... D'après mon informateur, elles passeraient toutes deux leurs journées enfermées dans son bureau... Elles n'en sortent que le soir pour dormir... Pendant ce temps le nain, la voleuse et l'apprentie jouent aux cartes...
- Malédiction ! Avec ces deux sorcières je ne pourrai jamais l'approcher assez pour l'inciter à défusionner ! Pourquoi a-t-il fallu qu'elle aille s'entraîner chez cette vieille sorcière ? Elle n'aurait pas pu aller ailleurs ?
- Il semblerait qu'elle soit l'une des pièces maîtresses du plan des anciens dieux pour reprendre le pouvoir... Mon informateur a surpris leur conversation quand elle est arrivée là bas... D'après ce qu'il a entendu, la plus jeune des deux serait la fille du Grand Mage Administrateur !
- Rien que ça ? Et moi je suis reine des Enfers tant qu'on y est... la fille du Dieu des dieux ? Et puis quoi encore ?
- Depuis des mois mes agents soupçonnent la plus vieille d'être une ex-déesse – c'est d'ailleurs pour cela que j'ai un agent là bas... Dans ces conditions rien n'est impossible... Mais tôt ou tard Sariane finira bien par les quitter... Nous pourrons l'approcher à ce moment là mon Ava chérie. Mes agents ne la perdront pas de vue d'ici là.
- Je l'espère mon Alias-love, je l'espère... Sinon, je les exécuterai personnellement un par un, susurra Avalon les yeux dans le vague. Je les ferai hurler jusqu'à ce qu'ils me supplient de les achever... Et alors je les ferai hurler encore... Ah, les doux hurlements d'un humain torturé, soupira-t-elle.

Chapitre 11 : Duan Talath.

Les deux dieux déchus cheminaient dans la neige, leurs pieds s'enfonçant profondément à chaque pas.
- Fait froid ici, grogna Isis en se frottant les bras à travers ses vêtements de fourrure pour se réchauffer.
- Oh arrête, il ne fait pas si froid, répliqua le mage en singeant la voix de l'ex-déesse. Et regarde ce magnifique paysage !
- Ça va hein, grogna-t-elle en retour.
La déesse déchue accéléra l'allure en bougonnant, suivie par un mage au grand sourire satisfait.
- On approche de Yétympie, déclara le mage quelques minutes de marche silencieuse plus tard en désignant la ville qui se dessinait maintenant clairement à l'horizon.
- Hum, ses habitants n'ont pas l'air des plus civilisés, constata Isis en observant les grandes huttes en peaux de bêtes qui constituaient la majeure partie de ses bâtiments.
- Les Yétis le sont rarement... En plus ceux là ne pensent qu'à jouer...
- Ah ?
- Ouais, tous les quatre mois, ils organisent leurs « Jeux Yétympiques » où les plus grands champions s'affrontent dans une série d'épreuves dont la plupart consiste à lancer des pingouins...
- Ça explique les pingouins qu'on voit régulièrement voler d'un bout à l'autre de la ville alors... J'avais pensé à une variante tordue des pigeons voyageurs, mais ton explication me semble plus crédible...
- On va contourner la ville. De toutes façons, il nous faut obliquer à l'ouest pour atteindre la passe permettant de traverser les Monts Gelés.
- Ils avaient de l'imagination à revendre les explorateurs qui ont nommé les régions de ce monde, ironisa Isis.

***
Le lendemain, ils traversèrent la Passe du Jour Perdu.
- C'est quoi encore ce nom bizarre ? Demanda Isis.
- Les Monts Gelés forment un gigantesque anneau naturel autour du pôle, ainsi toute la région intérieure est entièrement plongée dans l'obscurité à toute heure de la journée. On nomme cette région la Plaine de la Longue Nuit et les elfes l'appelle Duan Talath.
- Et ça veut dire quoi ?
- Ben « la plaine de la longue nuit », répondit le mage en haussant les épaules.
- J'aurais dû m'en douter...
- Depuis des millénaires, cette terre est contrôlée par des vampires... Le dirigeant actuel est le Comte Spike Bloody. Un vampire blond âgé de quelques siècles. Il est puissant, cruel, sans pitié, sadique et avide de pouvoir... Son plus grand atout, c'est sa fille, Julie Bloody qu'il garde enfermée dans la plus haute tour de son château, de peur que ses ennemis s'en prennent à elle... C'est aussi là que se trouve le fragment que nous cherchons.
- Elle doit avoir une vie passionnante, enfermée dans sa tour...
- Oh, ça pourrait être pire... Sa mère était une magicienne et une voyante... Une humaine enlevée par le Comte lors de l'attaque d'une mission d'exploration. Elle lui a légué toutes sortes d'objets... distrayants... boules de cristal, miroirs magiques et autres babioles de voyants. C'est comme ça qu'elle assure le pouvoir de son père en déjouant les différents complots contre lui...
- Elle le soutient ? Elle aurait plutôt des raisons de le haïr pour la séquestrer comme ça !
- Oh elle le hait au plus haut point, concéda le mage, comme si c'était proprement hors sujet. Mais s'il était tué, nul doute que son successeur la ferait exécuter... Elle est l'héritière du royaume puisqu'elle est sa fille. Mais comme elle est en partie humaine, aucun vampire ne l'épouserait pour légitimer sa prise de pouvoir... Il l'éliminerait simplement pour libérer la place...
- Ils m'ont l'air d'avoir des coutumes charmantes par ici... Remarque dans mon monde, ils faisaient pareil... Mais ce Spike, il va nous donner le fragment comme ça sans broncher ?
- Ça m'étonnerait franchement...
- Je m'en doutais, grommela Isis. On va donc devoir fuir en vitesse quand on l'aura...
- Ouais, c'est probable... Bon, en route, conclut le mage en reprenant la marche.

***
- Qui va là ? Cria une voix alors qu'un vampire se dessinait dans l'obscurité engloutissant le chemin.
- Nous venons voir le Comte Spike Bloody.
- Il ne reçoit pas les humains... sauf à dîner, bien entendu, précisa le vampire en éclatant d'un rire gras, manifestement satisfait de sa plaisanterie.
- Désopilant... Bon, soit tu nous laisses passer, soit je te tue et on passe quand même. Je n'ai rien contre l'idée de te tuer, mais ce ne serait pas très poli envers notre hôte que de tuer ses sujets... Tu choisis quoi ?
- Je crois plutôt que je vais boire ton sang et garder la fille pour... un autre usage, contra le vampire en riant à nouveau.
Le mage haussa les épaules et, d'un mouvement négligeant de la main, désintégra l'importun trop sûr de lui.
- T'es sûr que le Comte appréciera qu'on tue ses sujets ? Demanda Isis.
- Je doute qu'un tel abruti le préoccupe beaucoup... D'un certain côté, je lui ai même rendu service en l'en débarrassant...
- C'était quand même assez inconsidéré de le désintégrer comme ça...
- Ben tu te chargeras du prochain alors, conclut le mage en reprenant sa route.

***
Pendant ce temps dans la plus haute tour du château du Comte, Julie Bloody observait la scène dans sa boule de cristal favorite.
- Hum... Il a l'air puissant celui là... Peut-être vais-je enfin pourvoir quitter ce stupide pays gelé... Voyons de quelle manière le convaincre de m'aider...
Elle se dirigea vers la grande armoire de bois, sculptée de motifs démoniaques, où elle rangeait ses objets magiques. Ouvrant les portes, elle contempla sa collection.
- Par quoi commencer ? Réfléchit-elle à voix haute. Voyons déjà comment il s'appelle, décida-t-elle en saisissant son anneau d'identité.
Cet objet rare et précieux permettait de dévoiler les noms de la personne sur laquelle on se concentrait. Cette information était particulièrement utile au mages, car nombre de sorts nécessitait le véritable nom de la cible, nom que les plus puissants gardaient généralement pour eux. Passant l'anneau au doigt, elle retourna à sa boule de cristal. Elle se concentra et une multitude de noms jaillirent dans son esprit.
- Comment on peut avoir autant de noms ? Grommela-t-elle.
Affinant ses recherches, elle put dégager de la masse les noms les plus importants.
- Son véritable nom – celui que lui ont donné ses parents à sa naissance – est Gaël, découvrit-elle. Mais il ne s'en sert plus depuis bien longtemps... Je me demande même s'il s'en souvient encore... Son nom de mage était « Darathor », dont il utilise encore le diminutif... Les autres gens le connaissent majoritairement sous le titre de... Quoi ? S'exclama la jeune femme en sursautant violemment. Le Grand Mage Administrateur ? Le Dieux des Dieux ? Eh ben... Rien que ça... Je crois que c'est mon jour de chance !
Retirant l'anneau, elle le replaça dans l'armoire et pris une sorte de petit miroir. Sur son cadre, on pouvait lire « Calculette d'amour Yahoo ! ». Quand elle effleura sa surface du bout des doigts, un visage apparut.
- Bien le bonjour, maîtresse, s'exclama-t-il joyeusement. Indiquez-moi le nom de deux personnes et je vous dirai si elles sont faites l'une pour l'autre.
- « Gaël » et « Julie », répondit la fille du compte.
Le miroir afficha une intense concentration, puis répondit :
- Compatibles à quatre-vingt-seize pour cent, maîtresse. C'est encourageant !
Les lèvres de la jeune femme s'étirèrent en un sourire satisfait, puis, se souvenant que le miroir était loin d'être infaillible, elle l'interrogea à nouveau en donnant leurs noms de mages.
- « Darathor » et « Bloody Girl ».
- Compatibles à quatre-vingt-dix-huit pour cent, répondit le miroir après un bref instant de réflexion. Vous avez toutes vos chances, à n'en pas douter !
Mais la voyante ne l'écoutait déjà plus, trop absorbée qu'elle était par ses rêves de grandeur. Elle allait séduire le Dieu des Dieux ! La perspective ne manquait pas d'attrait : non seulement elle quitterait enfin ce pays froid et insupportable, mais si elle le manipulait bien, une fois qu'il aurait retrouvé son rang, nul doute qu'il ferait d'elle son égale. Elle allait devenir une déesse ! Puis elle s'arrangerait pour se débarasser des autres dieux et elle pourrait alors régner en maître sur le monde ! Même dans ses rêves les plus fous, elle n'en espérait pas tant !
Emportée par l'excitation, elle éclata d'un long rire diabolique.

Chapitre 12 : La magicienne bleue.

Les montagnes entouraient la vallée, hautes et imposantes. Leurs sommets étaient blanchis par la neige. Dans la vallée, un petit ruisseau coulait en zigzag parmi les brins d'herbe verte et les rochers couverts de lichens. La vallée était calme...
Sariane était allongée dans l'herbe, les yeux dans le vague, fixant distraitement un ciel sans nuage. Elle était vêtue d'une fine robe de tissu blanc et ses cheveux noirs, habituellement noués en queue de cheval s'étalaient librement autour de sa tête.
Elle ne savait ni où elle était, ni depuis combien de temps, ni même comment elle y était arrivée... Et à vrai dire, elle ne s'en préoccupait pas le moins du monde. Elle était là – où que cela puisse être –, en paix et en sécurité.
Le temps passa lentement, quelques nuages traversant paresseusement le ciel bleu azur...
Des aboiements retentirent alors dans le lointain. Des aboiements joyeux en rien menaçants ou agressifs. La magicienne sut alors qu'Elle arrivait, bien qu'elle ne puisse lui associer ni nom ni visage...
Se redressant, elle s'assit et observa les montagnes dans la direction d'où venaient les aboiements. Un jeune chien au poil beige clair sautillait à la poursuite d'un papillon aux ailes rouge vif. Derrière lui, suivait une femme à l'âge indéfinissable, semblant à la fois jeune et vieille... Elle avait de longs cheveux bruns lui descendant jusqu'à la taille et portait une robe bleutée tirant sur le blanc. Elle marchait d'un pas léger en direction de Sariane.
Les deux magiciennes – Sariane sentait que cette femme en était une elle aussi – se saluèrent d'une hochement de tête amical et silencieux. Puis la nouvelle venue s'assit sur un rocher. Le chien, se désintéressant du papillon qu'il poursuivait, vint s'allonger à ses pieds.
- C'est une belle journée, constata la magicienne bleue en contemplant le ciel.
- Très agréable, convint Sariane.
Les deux femmes se regardèrent sans rien dire. Ce silence n'avait rien de pesant, chacune était consciente qu'il n'y avait rien à dire... Ou plutôt trop pour qu'elles en aient le temps...
Au bout de quelques minutes – ou peut-être des siècles, Sariane n'aurait pu le dire, quand bien même elle se serait posé la question –, elles perçurent un changement... une menace croissante qui venait troubler le calme enchanteur de la vallée.
- Il arrive, énonça simplement la magicienne en robe bleue.
Sariane hocha la tête et regarda en direction du nord. Rien n'était encore visible, mais elle savait confusément ce qui allait suivre... Regardant à nouveau l'autre magicienne, elle vit que celle-ci s'était levée, imitée par son chien. Après un bref salut de la tête, la magicienne bleue repartit, laissant Sariane seule dans la vallée verdoyante.
Au nord, le ciel prit lentement une teinte violette, puis rouge sang. La petite brise qui jusque là agitait paresseusement les brins d'herbe devint de plus en plus violente.
Sariane regarda tristement l'herbe se racornir et tomber en poussière... Le ruisseau avait depuis longtemps cessé de couler et les dernières flaques d'eau s'évaporaient en grésillant.
Le ciel était rouge sombre à présent et le vent si puissant qu'il délogeait des cailloux gros comme le poing.
- Ce n'est qu'une question de temps ! Ricana une voix grondante qu'aucune gorge humaine n'aurait jamais pu produire.
Sariane sentit la peur lui glacer le coeur.
- Vous ne pouvez rien contre moi ici, répondit-elle d'une voix mal assurée.
Elle sentit cependant qu'elle disait vrai. Il ne pouvait rien contre elle pour l'instant. Sa peur s'allégea mais ne disparut pas pour autant : elle savait qu'un jour ou l'autre, elle devrait l'affronter. Et ce jour là, elle aurait peu de chances de l'emporter...
- Profite bien du temps qu'il te reste car lorsque l'heure sera venue je te balayerai.
La magicienne ferma les yeux avec force et le grondement du vent reflua. La chaleur agressive se mua en une douce chaleur réconfortante...
Quand elle rouvrit les yeux, elle était dans son lit, dans la chambre d'amis de la maison de Queen à Tobalville. Dans le lit de gauche, Splach ronflait bruyamment, tandis qu'Arkania sommeillait silencieusement dans celui de droite...
Ce qu'elle venait de vivre n'était qu'un rêve de plus inspiré par Bugderam... Les détails s'estompaient déjà dans sa mémoire...
Non, c'était plus que ça, elle le sentait. Elle tenta de se concentrer, se souvenant confusément qu'il y avait eu quelqu'un d'autre avant l'arrivée du Chaos, quelqu'un d'amical... Mais les souvenirs la fuyaient et elle sombra, emportée par un sommeil sans rêve...

Chapitre 13 : Et on en fait quoi de la p'tite ?

- Je comprends assez bien votre point de vue, concédait Isis devant la mine affamée du second vampire qu'ils croisèrent. Mais comprenez qu'il serait plus dans votre intérêt de nous laisser passer sans faire d'histoires...
- Je vais vous vider tous les deux, ricana son interlocuteur en passant sa langue sur ses crocs.
- Nous pourrions discuter, on doit pouvoir trouver un terrain d'entente, poursuivit l'ex-déesse d'une voix encourageante.
- Y a rien à discuter, j'te bois, puis j'le bois lui...
- On peut négocier non ?
- J'te laisse choisir qui je bouffe en premier, d'accord ? Proposa le vampire, dans un brusque élan de galanterie.
- Il a pas l'air très coopératif, constata le mage, qui observait la scène d'un regard amusé, assis sur une grosse pierre, un jus de fruit à la main.
- Écoutez, je n'ai rien contre vous personnellement mais mon ami ici présent est d'avis de vous tuer d'abord et de discuter ensuite... Tenta encore Isis.
- Si tu veux pas choisir, c'est ton problème... Mais moi j'ai faim, alors à table ! Conclut le vampire en saisissant violemment le bras de celle qu'il considérait comme un repas facile.
- Aïeuh ! Non mais ça va pas ? Pour qui tu t'prends espèce de rustre malpoli ? Hurla l'ex-déesse.
La gifle monumentale qui s'ensuivit laissa le vampire inconscient sur les pavés inégaux de la route quelques mètres plus loin.
- Ne... jamais... lui saisir... violemment... le... bras, marmonna le mage en griffonnant sur un petit calepin.
- Qu'est-ce que tu fous ? Tu viens oui ? S'impatienta Isis.
- Oui, oui, j'arrive, s'exclama-t-il en rangeant précipitamment son calepin et en lui emboîtant le pas.

***
Les deux dieux déchus atteignirent le château du comte à l'heure du déjeuner. Enfonçant les portes à coup de sortilèges, ils atteignirent la salle à manger personnelle du maître des lieux, tandis que celui-ci buvait paresseusement au cou d'une jeune servante.
- C'est très impoli d'enfoncer les portes des gens comme ça, s'indigna-t-il en congédiant la servante d'un geste.
- Salut Spike. On est là pour le fragment, énonça le mage, ignorant la remarque.
- Il paraît que boire le sang d'un dieu décuple les forces... Remarqua le comte sur le ton de la conversation.
- J'ai entendu dire que s'attaquer à un dieu était très mauvais pour la santé, rétorqua le mage.
- Je ne suis pas comme ces minables que vous avez croisés sur votre route en venant ici...
- Certes... Mais assez discuté, donne-moi le fragment ou meurs...
- Je ne crois pas que vous ayez bien saisi la situation, remarqua le vampire blond.
Le mage récita une incantation... qui n'eut aucun effet. Il jeta à ses mains un regard perplexe avant de les secouer légèrement, mais rien n'y fit.
- Heu... Une sorte de phénix incandescent aurait dû apparaître normalement, grommela-t-il, plus pour lui-même que pour le comte qui éclatait déjà d'un rire diabolique.
- Vous voyez cet artefact ? Demanda le vampire en désignant un cristal scintillant sur une tablette au fond de la salle. Il annule toute magie dans cette pièce.
- Intéressant, concéda le mage. Je me demandais ce qu'il était devenu celui là...
- On fait quoi maintenant ? Demanda Isis qui commençait à s'inquiéter.
- Hum... Répondit le mage.
- Je vais boire ton sang ! Aspirer tes pouvoirs ! Je serai le vampire le plus puissant que le monde ait jamais connu ! S'exclama le comte, emporté par ses rêves de puissance, en se dirigeant vers sa proie, une lueur de prédateur dans les yeux.
- Ou pas, rétorqua simplement Julie – que personne n'avait remarquée jusqu'ici –, avant de fracasser le cristal magique sur le sol.
- Trahison ! Hurla Spike.
- Il semblerait bien, acquiesça le mage avec un grand sourire.
- Fille indigne ! Tu vas payer !
- Ou pas, conclut le mage en désintégrant le vampire d'un sortilège avant qu'il n'ait pu atteindre sa fille.
- Tiens, il l'avait sur lui, constata Isis en ramassant le fragment parmi les cendres du vampire. Tant mieux, ça nous évitera d'avoir à le chercher !
- Parfait. Allons-y alors, déclara le mage en se dirigeant vers la sortie.
- Et on en fait quoi de la p'tite ? Demanda l'ex-déesse.
- Quoi la p'tite ? En quoi ça nous regarde ? Elle n'a qu'à se débrouiller, répondit-il en haussant les épaules, comme si sa compagne de route avait perdu l'esprit.
- J'ai presque deux cent ans ! S'indigna Julie.
- Et moi plus de dix mille. Maintenant tais-toi.
La fille du comte écarquilla les yeux et voulut répliquer mais un regard du mage la réduisit au silence.
- Elle nous a tout de même sauvé la vie contre son père, remarqua Isis.
- Comme j'ai sauvé la sienne en l'empêchant de se venger...
- Elle n'aurait pas eu besoin de ton aide si elle ne l'avait pas trahi pour nous aider.
- Tout comme nous n'aurions pas eu besoin de la sienne si elle ne l'avait pas prévenu de notre arrivée. J'ai moi-même enchanté ce cristal, expliqua le mage devant le haussement de sourcil interrogateur de son interlocutrice. Je suis bien placé pour savoir que son effet ne dure que peu de temps et qu'il faut le laisser se recharger longtemps après utilisation. De plus son activation demande également du temps. Donc s'il n'avait pas su que nous arrivions, il n'aurait pas pu l'utiliser.
- Soit, mais tu l'as toi-même dit : son père mort, elle ne survivra pas longtemps ici.
- C'est son problème, pas le mien, répondit-il en haussant à nouveau les épaules.
- Tu laisserais cette pauvre enfant mourir ici sans lever le petit doigt ? Demanda Isis.
- « Pauvre enfant » ? Et puis quoi encore ? Pourquoi pas un ange tant que t'y es ?
- Elle a passé sa vie enfermée !
- Certes... Demande-lui tout de même comment elle lisait l'avenir dans les entrailles de jeunes humaines capturées par son père...
Julie sursauta.
- Je n'avais pas le choix ! Je devais lui obéir...
- En effet... Mais ses ordres se limitaient à lire l'avenir en elles... Pas à les torturer pour le plaisir.
La voyante pâlit. Elle ouvrit la bouche mais aucun son n'en sortit. Rien ne se déroulait comme prévu... Jamais elle ne parviendrait à ses fins, il en savait bien trop long sur elle...
- Tout le monde peut changer, rétorqua Isis. Et une voyante, ça peut servir...
- Si tu l'emmènes, c'est à toi de la surveiller, ne compte pas sur moi. Et au moindre signe de trahison, elle est morte, conclut-il en jetant un regard à l'intéressée, lui signifiant que pas une seconde il n'hésiterait à mettre cette menace à exécution.
- Je... je jure de ne ne jamais rien faire contre vous, promit-elle d'une voix tremblante.
Mais le mage avait déjà quitté la pièce.
- Viens, lui dit Isis.
La fille du comte prit rapidement le sac de voyage qu'elle avait préparé et caché derrière une tenture et quitta, sans un regard en arrière, le château où elle avait toujours vécu...

Chapitre 14 : Sommeil agité.

Dans le lit du milieu, Sariane dormait d'un sommeil agité. Elle ne cessait de changer de position, s'emmêlant dans ses draps, laissant apparaître ses pieds, l'un nu, l'autre vêtu d'une chaussette – son esprit multiple ne parvenant pas à trancher entre les habitudes nocturnes de ses deux moitiés, il se contentait souvent d'une moyenne.
- Elle semble faire de mauvais rêves, remarqua Arkania avec un signe de tête en direction de la magicienne endormie.
- Quand on dort avec une chaussette à un pied et l'autre pied nu, on ne peut pas dormir normalement, c'est bien connu, répliqua doctement Splach.
- Depuis quand tu es spécialiste des chaussettes, toi ?
- Pas besoin d'être spécialiste pour le savoir... D'ailleurs comme le dit le célèbre dicton nain : "si tu dors avec une seule chaussette, les démons des profondeurs viendront te faire la causette".
- C'est un dicton nain ça ? S'étonna la voleuse.
- Non, je viens de l'inventer mais ça sonne bien, grommela le nain.
- À mon avis, c'est plutôt Bugderam qui est derrière tout ça... Il sape ses forces pour faire échouer son entraînement.
- Mais non, c'est un problème de chaussette j'te dis...

- Elles n'ont aucun problème ces chaussettes, protesta le marchand.
- Bien sûr que si, regardez ça ! Elles sont beaucoup trop larges au bout, comment je pourrais mettre ça ? Protesta la magicienne.
- Je vous assure que ce n'est pas trop large...
- Et là, regardez cette couture, impossible que je dorme avec ça !
- Vous dormez avec vos chaussettes ?
- Une seulement, mais celles là sont inutilisables...
- Comment vous pouvez dormir avec une chaussette au pied ? S'étonna le marchand.
- J'ai le pied droit frileux, qu'est-ce que j'y peux, grogna Sariane.
- C'est normal de dormir avec ses chaussettes, déclara Luny.
- Ah, vous voyez ? Même la noble Gardienne de Trouperdu le dit !
Sariane sentit alors qu'on lui tapait sur l'épaule. Elle se retourna brusquement vers l'importun.
- Vous voyez pas que je suis occupée là ? Hurla-t-elle avant de se retourner vers le marchand en agitant la chaussette qu'elle tenait toujours à la main. Vous allez me trouver une vraie chaussette et plus vite que ça.
Mais il n'y avait plus de marchand... La bruyante place du marché avait laissé place à une grande bibliothèque aux rayonnages interminables...
- T'y comprends quelque chose Luny ? Demanda-t-elle incrédule.
Mais la Gardienne avait elle aussi disparu. Une nouvelle tape sur l'épaule et elle fit volte-face.
- Qu'est-ce qui se passe à la fin ?
- Le temps presse, Sariane, déclara une jeune femme aux cheveux rouges.
- Peut-être mais moi je ne peux pas dormir sans une vraie chaussette, protesta Sariane en lui montrant celle qu'elle avait en main comme pour appuyer son affirmation.
- Il y a plus important que des chaussettes. La fin approche, le chaos et la destruction...
- Il me faut une chaussette pour dormir, tenta encore Sariane d'une petite voix hésitante...
- Plus tard, rétorqua la femme d'un ton péremptoire.
Penaude, Sariane baissa les yeux et remarqua que sa main ne tenait plus une chaussette, mais un rouleau de parchemin. Le déroulant, elle découvrit un dessin aux traits rouge-sang... Des millions de corps s'entassaient, certains brûlaient, d'autres se desséchaient et tombaient en poussière, d'autres encore grouillaient de vermine...
- Je ne veux pas que ça finisse comme ça, gémit Sariane, les yeux brillants de larmes contenues.
- Alors tu dois m'écouter, déclara la femme.
- Votre robe bleue ne cadre pas avec vos cheveux...
- C'est joli les cheveux rouges pourtant.
- On s'est déjà vues quelque part non ?
- Oui, mais Il a pris soin de te faire oublier notre rencontre...
- Tu avais les cheveux bruns l'autre fois non ? Et un chien... Que lui est-il arrivé ?
- Il est mort, répondit tristement la magicienne bleue.
- Le pauvre ! S'exclama Sariane.
- Et bien d'autres vont mourir si on ne L'arrête pas.
- Mais comment L'arrêter ? Il est si fort et je ne suis qu'une petite magicienne...
- Tu es bien plus que ça.
- C'est ce que tout le monde me dit, mais...
- Il n'y a pas de mais, si tu abandonnes maintenant, tout le monde mourra...
- Qu'est-ce que vous en savez d'abord ?
- Je l'ai vu de mes yeux... Enfin, une partie du moins... À ma naissance, beaucoup étaient déjà morts, soupira la magicienne bleue.
- Qu'est-ce que tu racontes ? Et d'abord qui es-tu ?
- Mon nom est Morgana, mais tu peux m'appeler Morgy si tu veux... Et je peux t'assurer que le monde court un grave danger...
- Mais je peux pas faire grand chose, je dois déjà permettre aux dieux de reprendre leur place... Et pour ça il me faut Sa puissance...
- En utilisant toute Sa puissance, tu succomberas... Ma mère m'a tout raconté... Les dieux se sont fait balayer les uns après les autres et seule ma mère a pu en réchapper... Puis Il a mis le monde entier à feu et à sang... Durant toute ma jeunesse, je n'ai connu que la fuite... Tu dois changer ça !
- Tu viens du futur alors ?
- Oui, j'ai trouvé le moyen de te parler à travers tes rêves... Mais je ne peux pas rester plus longtemps, sinon, je ne pourrai plus Lui échapper...
- Je vais de nouveau tout oublier alors, soupira Sariane.
- Tu dois te souvenir... Moi je ne peux pas faire plus...
Et la magicienne bleue se volatilisa.
Restée seule, Sariane tenta de graver ces événements dans sa mémoire... Puis elle ferma les yeux.
Quand elle les rouvrit, elle se trouvait dans son lit, saisissant un parchemin sur sa table de nuit, elle nota précipitamment quelques mots avant qu'ils ne se dissipent à leur tour... Puis pendant le reste de la nuit, elle contempla le parchemin, tentant de se souvenir... Elle savait qu'elle venait de vivre quelque chose d'important, mais impossible de se rappeler quoi... Et les mots inscrits sur le parchemin n'avaient rien de rassurant...
Chaos, Sang, Mort...

Chapitre 15 : Un boulot tranquille et sans risques...

Nine et Fenrir avançaient péniblement dans la jungle. La végétation dense et l'air humide et chaud donnaient une désagréable sensation d'enfermement.
- Où est-ce qu'il se cache ce satané Roi des Tigres ? Pesta l'ex-déesse.
Fenrir tourna sa grosse tête dans sa direction, posant sur elle un regard interrogateur.
- Rien, continue d'avancer, plus vite on l'aura trouvé, plus vite on pourra repartir !
Le grand loup repris sa route, se frayant un chemin dans la masse végétale qui les entourait. Le suivant toujours, Nine se perdit dans ses souvenirs espérant oublier son exaspération...

***
C'était une belle journée d'été et la jeune femme venait d'obtenir son diplôme de diplomatie avancée et de psychologie, spécialisée dans les cultures non-humaines. Elle avait étudié dans la plus grande université – à vrai dire la seule – du plus grand empire de l'époque... Elle rentrait chez elle, dans la maison que lui avaient laissée ses parents à la périphérie de la ville. Elle n'avait plus de famille mais un brillant avenir se profilait à l'horizon grâce à sa réussite à l'examen. Elle marchait d'un pas rapide et joyeux quand elle aperçut un homme vêtu comme un mage, assis au bord du chemin, un verre à la main.
- Bien le bonjour, jeune fille, la salua-t-il. Et toutes mes félicitations pour votre diplôme.
- Heu, merci... Mais on se connaît ?
- Vous ne m'avez encore jamais vu mais moi je vous connais.
- Et vous êtes ?
- Venu vous offrir un emploi, expliqua-t-il avec un grand sourire avant d'avaler une gorgée de ce que Nine pensais être du jus de fruit. Vous voulez boire quelque chose ?
- Non merci, je n'ai pas soif... Mais quel genre d'emploi avez-vous à me proposer ? J'ai déjà reçu plusieurs propositions, dont un poste d'adjointe au ministère des affaires étrangères, je doute que vous puissiez proposer mieux...
- Détrompez-vous, jeune fille, j'ai justement bien mieux, répondit l'homme en souriant.
- Mieux qu'adjointe du ministre des affaires étrangères du plus grand empire du monde ? Vous m'en voyez surprise. De quoi s'agit-il donc ?
- Eh bien, voyez-vous, j'ai un poste de déesse à pourvoir... Un poste de stagiaire à mi-temps pour l'instant, mais avec possibilité d'évoluer vers...
- Un poste de déesse ? L'interrompit Nine, les yeux exorbités.
- Précisément, ma collaboratrice souhaite réduire son service et partir en retraite dans quelques siècles... Il y a donc une place vacante...
- Vous vous moquez de moi ! S'énerva la jeune femme.
- Pas du tout, je suis on ne peut plus sérieux.
- Si je comprends bien, vous essayez de me faire croire que vous êtes le Grand Mage Administrateur ? Vous n'imaginez quand même pas que je vais vous croire ?
- Lui-même, sourit l'homme. Et je peux vous le prouver si vous y tenez...
- J'aimerais bien voir çà ! Le défia-t-elle.
- Donnez-moi votre main, déclara-t-il en se levant.
À peine eut-elle obéi qu'elle sentit le monde tourbillonner autour d'elle. Quelques secondes plus tard, elle se trouvait dans une vaste salle. Dans un coin, une grande cheminée dégageait une douce chaleur. Plusieurs tables couvertes de parchemins divers s'alignaient contre les murs, sous la lumière d'une multitude de bougies accrochées aux murs ou suspendues au plafond, voire pour certaines, flottant simplement dans les airs... Au centre de la pièce, une sorte de grosse boule flottait, tournant lentement sur elle-même. Regardant de plus près, Nine distingua des nuages et en-dessous d'eux, des forêts, des mers, des plaines immenses, des marais et des déserts de sable...
- C'est...
- Le Monde, acquiesça le mage. Ou plutôt sa représentation... En réalité, nous nous trouvons à quelques dizaines de kilomètres au-dessus, précisa-t-il en indiquant un petit objet en forme de tour parmi les nuages.
- Alors vous êtes vraiment le Mage Administrateur ?
- Tout à fait, sourit le mage.
- Pourquoi moi ? Demanda Nine d'une voix timide.
- Vous semblez la plus qualifiée pour ce rôle. Votre sens de la diplomatie, votre absence d'ambition dominatrice, votre intelligence, tout ce qu'il nous faut...
- Et pourquoi voudrais-je devenir déesse ?
- Oh, le statut divin donne pas mal d'avantages : immortalité, omniscience relative, sécurité de l'emploi, congés payés, retraite confortable... Un boulot tranquille et sans risque !

***
- « Tranquille et sans risque », grommela l'ex-déesse en jetant un regard venimeux à un gros serpent qui s'enfuit en ondulant entre les branches sans demander son reste.
Elle ruminait toujours quand ils débouchèrent dans une large clairière. Trônant sur une grande souche, le Roi des Tigres les observait d'un oeil calculateur.
- Bonjour sire, le salua Nine. Je viens pour le fragment.
- Bonjour déesse. Cela faisait bien longtemps...
C'est alors qu'un jeune tigre blanc déboula dans la clairière en gambadant sous l'oeil intéressé de Fenrir.
- Alexou, tiens-toi tranquille, grogna le roi.
- C'est votre fils ? Demanda Nine.
- En effet... Vous êtes là pour le fragment dites-vous... Mais que vais-je gagner à vous le donner ?
- Heu... Réfléchit l'ex-déesse.
Soudain, un « CROUNTCH » tonitruant retentit derrière elle.
- FEN' ! Hurla-elle en faisant volte-face, découvrant un Fenrir au regard innocent, une patte d'Alexou dépassant encore de sa gueule sous un angle bizarre.
- Votre loup vient de manger mon fils, remarqua le roi alors que Fenrir mâchonnait distraitement le prince d'un regard absent, produisant craquements d'os et bruits mouillés de mastication.
Rouge de colère, Nine songea qu'il allait lui falloir des trésors d'ingéniosité pour arracher le fragment au roi après cela.
- Cela vaut bien un fragment, sourit le Roi des Tigres en lançant la pierre à Nine d'un coup de patte. Il me coûtait une fortune en profs d'orthographe, expliqua le roi en réponse au regard atterré de l'ex-déesse. Mais ma femme m'en aurait voulu si je m'en étais débarrassé moi-même... Alors que là je suis blanc comme neige, se réjouit-il en souriant jusqu'aux oreilles. Bon, pour la forme, je dois quand même appeler la garde... Je vous laisse quelques minutes d'avance, ça devrait suffire... Et encore merci !
- Heu... Ce fut un plaisir de vous aider, répondit Nine, toujours abasourdie avant de quitter la clairière sur les talons d'un Fenrir très satisfait de lui-même...

Chapitre 16 : Soupe aux légumes...

Assise dans le bureau de Queen, Sariane incantait, puisant l'énergie dans la puissance chaotique qui l'habitait. Elle modelait cette énergie de ses mains, la faisant cristalliser. Quand elle sentit que Bugderam gagnait du terrain, elle mit fin au sortilège. Quand elle ouvrit les yeux, elle découvrit un petit dragon d'émeraude, brillant d'une faible lueur. Durant quelques secondes, elle admira la précision de son oeuvre. Enfin elle se leva et alla le poser avec les autres sur une étagère.
- Il est bien plus gros que les précédents, se réjouit-elle.
- Tu progresses vite, confirma Queen. Mais nous sommes encore assez loin du but.
- Cela fait déjà deux mois que je m'entraîne, soupira la jeune magicienne.
- La magie prend du temps... Mais assez travaillé pour aujourd'hui, tu es épuisée, allons manger.
- Avec plaisir, sourit Sariane, réalisant soudain à quel point elle était affamée.
Quittant le bureau, les deux magiciennes rejoignirent la salle à manger où les attendaient Wi'tch, Arkania et Splach.
- Ah ! Vous voilà enfin ! S'exclama ce dernier en s'empressant de saisir le plat le plus proche et de se servir copieusement.
- Tu pourrais attendre qu'elles soient assises, fit remarquer Arkania avec une moue désapprobatrice.
- Ça fait une heure qu'on attend, grogna le nain entre deux bouchées.
- Aucune éducation ces nains, soupira la voleuse. Puis, reportant son attention sur Sariane, elle ajouta : L'entraînement avance ?
- Elle progresse bien, à ce rythme-là elle devrait être prête dans un mois environ, répondit Queen.
- En'or un mois à pa'ienter i'i ? Grogna Splach, la bouche pleine de rôtis de veau aux herbes.
- Personne ne te retient si tu n'aimes pas notre compagnie, répondit sèchement Wi'tch.
C'est alors qu'un petit cri aigu retentit. Il fut rapidement suivi d'une gerbe de soupe jaillissant de la soupière posée au centre de la table et aspergeant tous les mangeurs attablés.
- Hama ! S'énerva une Sariane dégoulinante de soupe aux légumes. Combien de fois faudra-t-il te répéter de ne pas grimper n'importe où ? Et regarde-moi quand je te parle !
Lentement, une petite tête simiesque couverte de morceaux de carottes et de choux émergea timidement de la soupière.
- Recommence encore une fois et je te transforme en poisson rouge ! Menaça la magicienne.
À ces mots le petit singe terrorisé disparut à nouveau dans la soupière.
- Et sors de là maintenant ! Hurla Sariane.
- Ce n'est pas si grave que ça, tempéra Arkania qui avait été moins touchée par le raz de marée.
- On voit que ce n'est pas toi qui a cuisiné tout ça, grogna Wi'tch.
- Je pourrais avoir de la bière ? Demanda Splach qui, tout à son repas ne semblait même pas avoir noté l'incident.

***
Tout n'était que ruine. Autour d'elle s'alignaient des bâtiments effondrés ou calcinés. Certains avaient explosé, dispersant leurs débris à des dizaines de mètres à la ronde. D'autres semblaient miraculeusement intacts mais quand elle les contournait, elle pouvait constater que seule une façade avait résisté. C'était un spectacle de désolation et de mort, sous le ciel rouge sang qui avait remplacé l'azur d'autrefois. Mais le pire, c'était les corps... Elle ne les avaient d'abord pas remarqués dans ce paysage ravagé mais depuis qu'elle avait aperçu le premier – celui d'une petite fille d'à peine cinq ans tenant encore une peluche déchirée serrée dans ses petits bras – elle ne voyait plus que cela... Ils étaient partout. À demi-ensevelis sous les gravas, carbonisés en plein milieu de la rue, réduits en miettes par une violente explosion ou simplement adossés à un mur, immobiles, le regard vide...
Sariane sentait les larmes d'impuissance couler sur ses joues alors qu'elle avançait lentement dans la cité dévastée. Elle déambulait au hasard dans les roues, anéantie par l'horreur de ce spectacle macabre... C'est alors qu'elle entendit des voix provenant d'une maison dont la moitié du toit tenait encore.
- J'ai faim maman, gémissait une petite fille.
- Je sais ma chérie... Mais si j'utilise la magie, Il risque de nous retrouver...
Sariane s'approcha tandis que la petite fille sanglotait tristement.
- Bon, je vais nous préparer quelque chose à manger, soupira sa mère. Si on meurt de faim, ça n'aura pas d'importance qu'il nous retrouve...
Elle incanta lentement, chuchotant comme si le moindre bruit pouvait attirer le monstre qui avait détruit la ville.
Quand elle atteignit la petite maison, Sariane aperçut d'abord une petite fille d'une dizaine d'années engloutir avidement une bouchée de pain frais. Ses vêtements sales et déchirés ne parvenait pas à dissimuler sa maigreur... Tournant la tête, la magicienne s'intéressa à sa mère et sursauta brusquement. Elle connaissait la femme qui se tenait devant elle. Elle était plus âgée que dans sa mémoire, sans doute vieillie par les épreuves qu'elle avait traversé, mais c'était bien Wi'tch, aucun doute possible.
- Oui, c'est bien ma mère, souffla une voix où perçait la tristesse. Peu avant que... mais les mots restèrent coincés dans sa gorge.
- Morgana ? Murmura Sariane en reconnaissant la Magicienne Bleue qui se tenait à côté d'elle.
Celle-ci hocha la tête en guise de salut.
- Alors cette petite fille, c'est toi... Réalisa Sariane en regardant la fillette avaler quelques gorgées d'eau, soupirant d'aise, comme si cela avait été la meilleure boisson qu'elle ait jamais bu.
- Nous sommes dans mes souvenirs, confirma Morgana.
- Que s'est-il passé ? Pourquoi me montrer cela ?
- Tu verras... Tu comprendras bientôt...
Elle regardèrent en silence la mère et la fille terminer leur repas.
Soudain, Wi'tch s'immobilisa. Dans ses yeux, Sariane vit défiler d'abord la terreur, puis la colère et enfin la tristesse et la résignation. Elle prit sa petite fille dans ses bras et murmura une nouvelle incantation tout en la berçant tendrement.
- Le Bouclier de Meleithel, reconnut Sariane. C'est la première fois que je vois quelqu'un l'utiliser...
- Un sort très puissant mais qui coûte beaucoup, confirma Morgana, d'une voix étranglée. Il consume les forces vitales pour protéger l'être aimé.
L'incantation achevée, un halo de lumière brillante entourait la fillette. Puis le halo disparut tandis qu'elle l'absorbait progressivement.
- Il faut que tu te caches, ma chérie. Surtout ne te montre pas.
Sa voix était devenue rauque. Regardant plus attentivement, Sariane constata qu'elle était devenue une très vieille femme. Sa peau était pâle et ridée et ses cheveux gris. Ses muscles avaient en grande partie disparu et ses yeux avaient perdu de leur éclat. Lâchant sa fille, elle se leva difficilement.
- Où tu vas maman ? Demanda la fillette, inquiète.
- Il ne te trouvera pas ma chérie, répondit sa mère, éludant la question. Tu devrais essayer de dormir.
La petite fille obéit, s'enroulant dans sa couverture. Mais quand Sariane croisa son regard, elle réalisa qu'elle avait compris ce que sa mère allait faire et qu'elle ne la reverrait plus. Wi'tch lança un sort de sommeil et la fillette s'endormit.
- Elle s'est sacrifiée pour toi...
La Magicienne Bleue acquiesça, suivant sa mère du regard. Celle-ci quitta péniblement la petite maison et s'éloigna. Soudain, l'air s'épaissit. L'atmosphère se fit plus lourde, la chaleur plus forte et le vent se leva. Wi'tch continua de s'éloigner pour mettre autant de distance que possible entre elle et sa fille. Les rafales s'intensifièrent et elle dut s'appuyer aux restes d'une bâtisse délabrée pour ne pas tomber.
- Je t'ai enfin trouvée, déclara une voix chargée d'une joie sadique.
Sariane s'immobilisa, une sueur glacée perlant sur tout son corps. Ce n'était pas la voix grondante et inhumaine de Bugderam qu'elle s'attendait à entendre. Pourtant elle connaissait cette voix. C'était une voix qu'elle connaissait intimement. La sienne. Tremblante, elle vit les ailes écarlates, crépitant d'énergie apparaître au coin des ruines d'un grand immeuble. Puis elle se vit, elle, avançant lentement vers Wi'tch, d'une démarche de prédateur. Dans son regard brillait la haine, la soif de destruction et la joie malsaine du chasseur devant sa proie prise au piège.
- Depuis plus de dix ans tu me files entre les doigts... Mais cette fois tu ne peux plus fuir...
- Je ne me rendrai pas sans combattre, le défia Wi'tch.
- Je l'espère, ce serait une fin indigne de la fille d'un dieu.
La vieille magicienne incanta alors, déversant un déluge de flammes sur l'Ange du Chaos. Ce monstre qui avait tué son père, Queen – qui avait été son professeur durant tant d'années –, ses amis et d'innombrables autres personnes. Durant plusieurs secondes elle déchaîna sa magie, exprimant sa rage et sa frustration. Les ruines fondirent autour d'eux sous l'effet de la chaleur infernale, tandis qu'elle lançait ses dernières forces dans la bataille. Puis le brasier s'éteignit progressivement, ne laissant que de la roche en fusion et quelques flammes éparses. Ses jambes la trahirent et la vieille magicienne tomba à genoux.
- C'est tout ce dont tu es capable ? Demanda Bugderam d'un ton sarcastique tout en marchant dans les torrents de lave comme s'il ne s'agissait que des vagues sur une plage d'été. Tu me déçois, je m'attendais à mieux de la part de la fille du Grand Mage Administrateur... Je suis sûr qu'il doit se retourner dans sa tombe à te voir aussi pitoyablement faible.
- Achève-moi, qu'on en finisse, souffla Wi'tch d'une voix éteinte.
- Oh non, pas si vite voyons. On vient juste de se retrouver, on ne va pas déjà se quitter...
- Que pourrais-tu espérer obtenir de moi ? Grogna la vieille magicienne.
- Tu vas hurler pour moi, sourit Bugderam. Hurler encore et encore pour le seul plaisir de mes oreilles délicates.
Alors que retentissaient les premiers hurlements de douleur, Sariane se retourna lentement.
- J'en ai assez vu... Laisse-moi me réveiller.
- Tu dois comprendre que c'est ce qui arrivera si tu utilises la puissance de Bugderam, insista Morgana, les joues baignées de larmes. Si tu t'entêtes dans cette direction, c'est ce futur qui nous attend...
- Mais que puis-je faire ? À mon réveil, je ne me souviendrai de rien...
- Tu dois trouver la force de te souvenir... Je ne peux t'aider plus, soupira Morgana, un terrible sentiment d'impuissance transparaissant dans sa voix.
Sariane s'éveilla alors dans son lit. Ses draps étaient trempés de sueur et des larmes inondaient ses joues...
« On a voulut me mettre en garde », se souvint-elle. « Mais qui ? Et contre quoi ? ». Elle sentait qu'elle aurait dû se souvenir, qu'un désastre était sur le point de se produire, mais n'arrivait pas à savoir quoi...
Levant les yeux vers la fenêtre, elle vit que le soleil était sur le point de se lever. Une nouvelle journée d'entraînement commençait... Dans quelques semaines elle serait prête, ils pourraient alors se débarasser de Mokuji et tout rentrerait enfin dans l'ordre...

Chapitre 17 : Le plan.

Dans le jardin de la maison de Queen, tout semblait calme sous le soleil rougeoyant de cette fin d'après-midi. Quelques animaux exotiques – rapportés par Queen de ses nombreux voyages – achevaient de se dorer paresseusement au soleil. Encore somnolents ils attendaient la nuit pour se mettre en quête de nourriture. Sur la gauche, coulait un petit ruisseau artificiel, clapotant doucement entre les galets... Tout le jardin laissait transparaître une telle impression de sérénité rassurante que l'espion caché sur une haute branche d'un énorme greenicus – un grand arbre dont les feuilles et les fruits arboraient la forme inhabituelle de structures moléculaires plus ou moins complexes, ce qui lui valait son nom savant de chimicus-fructimoleculus connu des seuls spécialistes en flore rare, les gens du commun préférant quand à eux un nom plus simple, voire carrément en ignorer l'existence – après des heures de lutte acharnée avait fini par succomber sous les assauts méthodiques d'un sommeil peuplé de rêves étranges.
Profondément endormi, il ne remarqua pas le petit ouistiti qui gambadait gaiement quelques branches plus bas. Quand elle le repéra assoupi sur sa branche, Hama sauta de joie. Escaladant l'arbre à la vitesse de l'éclair, elle se percha cinq mètres au-dessus de l'espion, cueillit un petit dimétyl-propane encore bien mûr et entreprit de bombarder sa cible d'atomes d'hydrogène bien juteux.
Réveillé en sursaut, le malheureux espion dégringola de son perchoir jusqu'à se retrouver assis sur le sol, un peu sonné et couvert de contusions. Du haut de l'arbre, Hama saisit un cyclo-hexane encore vert et le lança adroitement de ses mains expertes. Quand le projectile atteignit sa cible, passant autour de sa tête tel un collier, elle sautilla sur place, très fière d'elle, en poussant des petits cris joyeux. Descendant prestement de l'arbre, elle allait entreprendre de poursuivre l'espion qui s'enfuyait déjà lorsqu'elle entendit un grondement sourd derrière elle. Intriguée, elle se retourna pour voir ce qui pouvait bien gronder de la sorte et se retrouva face à deux énormes rangées de dents blanches surmontées d'une truffe noire.
- Fen' ! Cria une voix alors que le grand loup s'apprêtait à ne faire qu'une bouchée de l'insouciante Hama qui, pas terrifiée pour un sous, jetait un coup d'oeil admiratif aux mâchoires musclées du loup.
Ce dernier poussa un soupir résigné et jeta un regard affamé à son ex-futur-repas avant de suivre sa maîtresse en direction de la maison...

***
- Bien, puisque tout le monde est là, passons aux présentation, annonça Queen une heure plus tard alors qu'ils étaient tous attablés.
- On pourrait pas faire ça après une bonne pinte de bière ? Suggéra Splach.
- Tais-toi ou il y aura une personne de moins à présenter, grogna Wi'tch en lui jetant un regard meurtrier.
- Si tu veux bien commencer, poursuivit Queen avec un petit signe en direction du Grand Mage.
- Darathor, Grand Mage Administrateur, Dieu des dieux...
- Appelez-le Dara, ça suffira, le coupa Isis. Tout le monde sait qui tu es ici, pas besoin de détailler.
- Tu pourrais éviter de me casser mes effets...
- À moi, maintenant ! Mon nom est Isis. J'étais déesse dans un autre monde il y a de cela deux-mille ans. Depuis, je voyage... Dara m'a proposé un poste ici si je vous aidais à renverser l'usurpateur.
- Tu lui as proposé un poste de déesse ? Rien que ça ? S'exclama Nine.
- Elle a un CV intéressant : une expérience professionnelle et l'exploration de nombreux mondes, expliqua le mage. On ne croise pas ça tous les jours, autant en profiter.
- Ouais, mais quand même... Inutile d'être trop nombreux, ça ne peut qu'engendrer des problèmes, contra Nine.
- Ce n'est pas soumis à discussion, rétorqua le mage. Suivante !
- Heu... Julie Bloody, fille de feu le comte Spike Bloody...
- Elle aussi tu vas en faire une déesse ? Railla Nine.
- Non, elle est là juste parce que la laisser là-bas la condamnait à mort. Puis un une voyante, ça peut éventuellement servir... Suivant.
- Splach, nain. Assoiffé...
- Arkania, soeur de Lord Dritharius, Seigneur de Nivu. Et voleuse masquée de temps à autres...
- Sariane, Magicienne... Et accessoirement hôtel quatre étoiles pour Bugderam égarés. Quant à elle, c'est Hama, ajouta-t-elle en désignant le singe qui, juché sur son épaule, jouait joyeusement avec ses cheveux.
- Wi'tch, fille du Grand Mage et apprentie déesse.
- Queen, déesse retraitée.
- Nine, déesse déchue, qui compte bien retrouver son poste... s'il n'a pas déjà été bradé au premier venu...
- Grrr...
- Ah et lui, c'est Fen', ajouta-t-elle en désignant le grand loup derrière elle.
- Bien, on va enfin pouvoir boire ! Jubila Splach. À moi la bière !
- C'est quoi exactement le plan pour la suite ? Demanda timidement Arkania.
- Tais-toi donc ! Siffla le nain en lui broyant les côtes d'un coup de coude bien senti. On parlait de bière il me semble, reprit-il.
- Oui, c'est vrai ça, il serait peut-être temps de nous détailler ton plan, renchérit Isis en se tournant vers le mage, ignorant totalement le nain.
- Ben en fait, le plan est simple : on se rend à Aman Delguma, le Dôme des dieux. Là, Queen, Nine, Isis, Wi'tch et moi on distrait Mokuji pendant que Sariane accomplit le rituel de fusion des fragments et nous rend nos pouvoirs. Ensuite, on se défoule un peu sur l'usurpateur et tout est bien qui finit bien, ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfant et bla bla bla... Enfin vous voyez l'idée...
- Et si le rituel échoue ? Demanda Isis.
- On est tous morts, répondit le mage en haussant les épaules.
- Et si vous n'arrivez pas à contenir Mokuji ? Suggéra Arkania.
- On est tous morts, répéta le mage.
- Et si Bugderam franchit mes défenses pendant le rituel ? Interrogea Sariane.
- Ben on est tous morts, répondit à nouveau le mage en souriant.
- Ça n'a pas l'air d'un bon plan, grogna Isis.
- C'est vrai ça, même Sainte Linou, la patronne des bons plans n'en voudrait pas, renchérit Arkania.
- Il faut savoir prendre des risques...
- J'aime pas ce plan non plus, grogna Splach, y a trop de scénarios finissant par « on est tous morts »...
- J'imagine que tu as mieux à proposer, bien entendu, comme se noyer dans la bière par exemple, rétorqua Wi'tch.
- J'ai tous les chevaux qu'il faut dans mes écuries, on part demain à l'aube, conclut Queen.
Et Splach put enfin boire sa... heu ses nombreuses bières...

Chapitre 18 : Émouvantes retrouvailles.

Au petit matin, Sariane, Arkania et Splach sortirent de la maison en direction des écuries.
- Quelle idée de se lever aussi tôt ! Bougonnait Splach, avec sa bonne humeur habituelle.
- Arrête de râler de si bon matin, soupira Arkania. On a une longue route à faire et pas de temps à perdre.
Arrivés devant les écuries, ils purent constater qu'ils étaient les derniers arrivés.
- Ah, vous voilà enfin, s'exclama Wi'tch. Vos montures sont...
- Doly ! S'exclama Sariane, abasourdie en apercevant la brebis géante, entre les montures du nain et de la voleuse, broutant paresseusement comme à son habitude. C'est bien toi ?
La brebis cessa un instant ses mastications pour fixer la magicienne de son regard vide.
- On a pu la racheter au propriétaire de l'auberge où tu l'avais laissée lors de votre voyage vers Trouperdu, expliqua Wi'tch.
- Elle n'a pas l'air particulièrement contente de te revoir, constata Splach.
- Mais si, regarde, ça se voit nettement dans ses yeux ! S'exclama Sariane, réjouie.
- Heu, moi je vois deux puits sans fond en gros, tempéra Arkania, sceptique. T'es vraiment sûr qu'elle est capable d'éprouver une émotion quelconque ?
- C'est parce que vous ne la connaissez pas ! Contra Sariane en s'approchant de la brebis. Tu m'as manqué ma Doly, ajouta-t-elle en lui caressant la tête.
Doly lui adressa un bref clignement de paupières et se remit à brouter.
- Bien, puisque tout le monde est là, on va pouvoir y aller, annonça le Grand Mage.
Les compagnons enfourchèrent alors leurs montures et quittèrent la propriété de Queen, en direction de l'est.

***
Derrière la quarante-septième porte du quarante-septième couloir du quarante-septième sous-sol du palais du seigneur Tobaldi, Alias annonça la nouvelle à sa compagne.
- Hier les autres dieux ont rejoint le groupe... Ils viennent de quitter la ville ce matin-même.
- Nous allons les suivre et guetter la moindre occasion de récupérer ma fifille ! S'exclama Avalon.
- Est-ce bien raisonnable ? Ils sont neuf maintenant, plus un loup. Et ils ne sont pas n'importe qui...
- Pas question de les attaquer, bien sûr... Mais ils ont certainement en tête un plan pour renverser le nouveau dieu.... qui j'en suis sûre ne se laissera pas faire ! Ce sera pour nous le moment d'agir mon Alias-love...
- Mais ne serait-il pas un peu risqué de se mettre comme cela les dieux à dos, Ava-chérie ?
- Là où nous irons ce ne sera pas un problème, ne t'inquiètes pas...

***
- Rappelez-moi pourquoi, alors qu'on est en compagnie des mages les plus puissants au monde, on est forcé de faire tout ce trajet à cheval au lieu d'être téléportés directement sur place, demanda Splach en fin d'après-midi, alors qu'ils chevauchaient toujours.
- Un sort aussi puissant attirerait forcément l'attention de l'usurpateur, sans compter que nous aurons besoin de toute notre magie pour le retenir lorsque Sariane pratiquera le rituel, expliqua patiemment Queen.
- Mais si vous parlez de le retenir, cela ne veut-il pas dire qu'il s'en rendra compte de toutes façons ? Interrogea Arkania.
- Lorsque Sariane entamera le rituel il le remarquera, évidemment, répondit la vieille magicienne. Et nous avons tout intérêt à ce qu'il ne s'en rende pas compte avant. Chaque seconde gagnée augmentera nos chances de réussite.
- Cette caverne me semble un bon endroit pour passer la nuit, annonça le Grand Mage en désignant l'entrée d'une grotte sur la gauche.
Les compagnons se dirigèrent alors vers l'entrée obscure et descendirent de leurs montures. Il y avait une clairière non loin, traversée par un petit ruisseau. Il y attachèrent leurs chevaux pour la nuit et gagnèrent la grotte. Là, Sariane ouvrit son sac pour en sortir sa couverture. Tandis qu'elle la saisissait, celle-ce se mit à gesticuler comme si elle avait soudainement pris vie, jusqu'à ce qu'une petite tête simiesque en émerge lentement.
- Hama ! Je t'avais pourtant dit de rester à la maison !
Le petit ouistiti la contempla d'un regard faussement désolé, puis sauta sur l'épaule de sa maîtresse, dont elle entreprit de démêler les cheveux en poussant de petits cris, ravie de se retrouver à l'air libre.
- T'es vraiment incorrigible toi, soupira la magicienne en défroissant rapidement sa couverture avant de l'étendre sur le sol.
- Nous avons bien avancé aujourd'hui et sans incident. À ce rythme, nous devrions atteindre Aman Delguma vers midi. Alors reposez-vous, vous aurez besoin de toutes vos forces pour rester en vie demain, déclara le Grand Mage avant de quitter la grotte.
- Et lui alors ? Il ne se repose pas ? Grogna Splach.
- En devenant des dieux, nous avons perdu une part des faiblesses de l'humain, expliqua Isis. Notre corps n'a plus besoin d'autant de sommeil que le votre. Essayez de dormir maintenant, c'est ce que vous pouvez faire de mieux...
- Ouais, c'est ça... Grommela le nain en se roulant dans sa couverture.

***
C'est assis dans l'herbe, à quelques centaines de mètres de la grotte, les yeux levés vers le ciel, que Wi'tch retrouva son père. Sans bruits elle s'assit à ses côtés.
- Quand on contemple les étoiles, on les croit immuables, indestructibles, éternelles... Murmura le mage, le regard fixé sur les petits points brillants qui piquetaient la voûte céleste. En réalité elles pourraient bien être détruites comme le reste si les choses tournaient mal...
- Ce n'est pas l'usurpateur le problème, n'est-ce pas ?
Le mage laissa échapper un ricanement fatigué.
- Cet arriviste n'est qu'un problème mineur... S'il n'y avait que lui, jamais il ne nous aurait renversés...
- Bugderam...
- Entre autres, acquiesça son père. Entre autres...
- Nos ennemis sont-ils donc si nombreux ?
Sans répondre, le mage passa un bras autour des épaules de sa fille, la serrant contre lui.
- Ce n'est pas de tout repos d'être un dieu, soupira-t-il après un long silence. Je fais toujours comme si tout allait bien, mais la survie du monde ne tient qu'à un fil... J'aurais voulu t'éviter tout cela... te donner une existence simple et normale... Que tu puisses vivre, te marier, avoir des enfants qui vivraient à leur tour loin des batailles, puis mourir en ayant pleinement profité de ta vie... Au lieu de cela, Queen te forme à me succéder tandis que moi j'essaie de garder entier le monde dont tu hériteras...
- Mon enseignement est presque achevé, je vais pouvoir t'aider maintenant, tu ne seras plus seul. Et puis il y a Nine aussi et cette Isis que tu as ramenée de tes voyages...
- Certes... Nine n'est pas sans qualités et Isis possède des ressources dont elle ne nous a pas encore fait part, mais aucune d'elles n'est de taille à affronter nos ennemis. Elles peuvent améliorer la vie des habitants mais pour ce qui est de défendre ce monde, ce n'est pas de leur compétence... Nine est là depuis des millénaires mais elle n'a eu qu'un léger aperçu des dangers qui nous entourent...
- Mais maintenant je serai là, moi !
Le mage sembla hésiter quelques instants et son regard devint triste et résigné.
- C'est moi qui ne serai peut-être plus là... Si je devais ne pas survivre à cette bataille, c'est sur toi que reposerait cette charge...
- Ne dis pas ça ! Aucun de nous ne mourra !
- Rien n'est moins sûr... Et si l'un de nous deux doit mourir, ce sera moi... Ce doit être moi...
- Le monde a bien plus besoin de toi que de moi !
Baissant les yeux sur sa fille, le mage sourit.
- Oh non, tu es bien plus essentielle. J'ai joué mon rôle le plus important en te permettant de vivre et d'apprendre... En contribuant à te permettre de devenir ce que tu es et de jouer ton propre rôle dans l'Histoire. Sous peu j'appartiendrai au passé... Même si je survis, je sens que mon rôle ne sera plus que secondaire... Alors que le tien ne fait que commencer...
- Tu ne me dis pas tout. Tu en sais plus, n'est-ce pas ?
Le mage sourit à nouveau, une étincelle d'amusement illuminant un instant son regard.
- C'est vrai, mais tu dois découvrir la suite par toi-même. Ton rôle sera aussi essentiel que l'a été le mien...
- En réalité ce n'est pas moi qui suis si importante, mais ma future descendance, comprit Wi'tch après un long silence.
Le mage sourit une fois de plus, ses yeux exprimant cette fois une certaine fierté.
- Chaque maillon de la chaîne est essentiel ma chérie, chaque maillon. C'est l'ancre qui empêche le bateau d'être emporté, mais on oublie trop souvent que si un seul des maillon de la chaîne venait à céder, elle ne pourrait plus jouer son rôle... Ta fille sera cette ancre, comme tu l'as compris, si tu es là pour la guider et lui permettre d'en arriver là...
- Pour cela il faudrait déjà que j'en ai une.
- Cela viendra en temps et en heure, ne t'inquiètes pas...
« ... et plus tôt que tu ne le penses », songea le mage.
- Je ne suis pas prête, soupira l'apprentie déesse. Je ne suis pas prête à jouer un rôle aussi important !
- Ceux qui se croiraient prêts pour de telles choses sont des inconscients. On ne peut y être prêt, juste faire de son mieux avec ce que l'on a...
- Mais toi tu as l'expérience, moi je n'ai pas ta force ni tes connaissances ! Toi tu maîtrises les événements, moi je ne pourrai pas y arriver, protesta Wi'tch.
- Je suis surtout un bon acteur apparemment, remarqua son père. J'arrive à donner l'impression que je domine la situation, mais la confiance en moi et en mes plans, la désinvolture que j'affiche ne sont là que pour vous donner confiance... Si votre guide partait vaincu, à quoi arriveriez-vous ? Quel espoir de réussir vous resterait-il ?
- Je ne pourrai pas y arriver... Murmura-t-elle.
- Tu y arriveras. Quand quelque chose est nécessaire on trouve la force de le faire. J'ai confiance en toi, ma fille.
- J'aimerais être aussi bonne actrice que toi...
- Tu te méprends, j'ai confiance en toi, au plus profond de moi je sais que tu y arriveras, comme j'y suis arrivé, comme... Le mage s'interrompit. Tu y arriveras, répéta-t-il après quelques instants.
L'apprentie-déesse posa sa tête sur l'épaule de son père et ils restèrent ainsi à fixer les étoiles, savourant cet instant de calme avant la tempête...

Chapitre 19 : Aman Delguma.

Il était près de deux heures après midi lorsqu'ils arrivèrent au col de Lan Ithir. Là ils purent contempler la vaste vallée d'Aman Delguma et le temple de pierres auquel elle devait son nom. La vallée était verdoyante, regorgeant d'arbres et de fleurs sauvages.
- C'est immense ! S'exclama Splach.
- Et il n'y a pas la moindre trace d'habitation humanoïde, remarqua Arkania.
- Seuls les dieux peuvent en trouver le chemin, expliqua Queen. Et encore, il leur faut savoir où chercher.
- C'est pour cela que Mokuji n'y a pas placé de comité d'accueil, comprit Sariane.
- Précisément. Il ne pouvait savoir où chercher ce lieu. Il ne devait même pas savoir à quoi il ressemble ! Il était impossible qu'il le trouve en si peu de temps. Mais dépêchons-nous, maintenant que nous sommes là, ses recherches seront facilitées. En particulier si, comme je l'imagine, ses espions nous suivent.
Ils descendirent alors vers le fond de la vallée en direction du temple. L'édifice de pierres grises ne pouvait avoir été façonné que par un dieu. Ses pierres étaient si finement sculptées qu'aucun homme n'aurait pu s'acquitter de cette tâche. De plus, elles semblaient pulser d'une sorte de force tranquille, apaisant l'esprit de ceux qui y posaient le regard. Le temple lui-même se constituait d'un sol dallé circulaire, surmonté de sept colonnes supportant un dôme de cristal, le Dôme des Dieux.
Au centre du temple, s'élevait une sorte d'autel, percé de cinq petites cavités. Nine et le Grand Mage y placèrent les cinq fragments qu'ils avaient récoltés de par le monde et une légère mélodie s'éleva, comme si le temple était à nouveau complet.
- Il est temps Sariane, déclara Queen. Nos espoirs reposent sur toi. Quoiqu'il puisse arriver, tu dois accomplir le rituel au plus vite.
Sariane acquiesça et alla se placer devant l'autel où elle débuta ses incantations. C'est alors que le ciel commença à s'assombrir, d'abord imperceptiblement, puis de plus en plus rapidement.
- Il arrive, constata le mage.
Un gigantesque éclair noir s'abattit à une centaine de mètres du temple. Il était là. Splach et Arkania eurent peine à reconnaître le sorcier qu'ils avaient déjà combattu, tant il avait changé. À l'époque de leur précédent affrontement, sa peau était parcourue de nervures noires, mais il restait néanmoins presque humain. Mais ses derniers vestiges d'humanité avaient désormais quitté son corps déformé par le pouvoir corrupteur qui l'habitait. Il transpirait d'une malveillance si intense qu'ils se mirent à trembler, leurs jambes ne les portant qu'avec difficulté.
- Restez en arrière, dit le Grand Mage. Queen, Wi'tch, avec moi !
Tous trois se déployèrent, avançant vers le sorcier tout en incantant. Queen fut la première à achever son sortilège. Levant les mains vers le ciel, elle appela la foudre. En un coup de tonnerre assourdissant, une énorme boule d'éclairs se concentra au dessus de la vieille magicienne qui la projeta de toutes ses forces sur le sorcier qui l'observait d'un air moqueur.
La boule de foudre atteignit sa cible dans une violente explosion, déchiquetant les fleurs et arbustes qui l'entouraient. Plus aucune trace de vie ne subsistait dans un rayon de vingt mètres autour du sorcier qui, indemne, éclata d'un rire cruel.
Sans attendre, Wi'tch et son père achevèrent à leur tour leurs incantations. La jeune apprentie déesse fut entourée d'un halo de lumière verte qui en quelques secondes s'intensifia jusqu'à en devenir aveuglant. Se condensant, il prit alors la forme d'un grand serpent d'énergie couleur d'émeraude. Celui-ci pointa sa tête reptilienne sur le sorcier, poussant un sifflement de défi.
De son côté, le Grand Mage était environné de flammes, desquelles émergea un titanesque Dragon incandescent. Les deux reptiles magiques fondirent sur l'usurpateur qui, toujours hilare, affronta le choc avec la même inquiétude qu'un soldat en armure face à un enfant désarmé. L'air explosa autour de lui, la roche fondit et bouillonna mais le sorcier resta impassible face à ce déchaînement de puissance.
- Il va falloir faire mieux que ça les enfants, déclara-t-il d'un ton mi-amusé, mi-condescendant.
Poussant un grognement de rage, Wi'tch fit s'élever une tornade chargée de grêlons tranchants comme des poignards qui assaillirent le sorcier.
- On est encore loin du compte, remarqua Mokuji, feignant l'ennui.
- Ce type est invincible... Souffla Splach.
- C'est un dieu, rappela Arkania, poussant un soupir où perçait le désespoir.
- Plus pour longtemps, espérons-le, ajouta Nine d'une voix tendue.
Les trois mages enchaînaient sortilèges sur sortilèges contre l'usurpateur sans plus d'effets que de déchirer sa robe noire brodée de runes.
- Vous êtes vraiment pathétiques, déclara-t-il d'un ton méprisant. Il est temps d'en finir.
Ses yeux brillèrent d'un éclat d'ébène et une vague d'énergie balaya ses adversaires.
- Vous ne valez pas mieux que des insectes, ajouta-t-il tandis qu'ils se relevaient péniblement.
Dans sa main gauche jaillirent des flammes noirâtres.
- Qui vais-je tuer en premier ? Hésita-t-il avec un sourire sadique.
Brusquement il tendit sa main en direction de Wi'tch, lui envoyant une boule de feu. L'apprentie déesse tressaillit puis hurla de douleur avant de s'effondrer, le corps à demi-carbonisé.
- Oh oui, ce fut un bon choix, jubila le sorcier en contemplant les visages défaits de ses deux adversaires restants.
Les yeux de Queen brillaient de larmes, tandis que ceux du Grand Mage étaient écarquillés d'horreur.
- Qui sera donc le second ?
C'est alors que Queen sursauta, tournant brusquement la tête en direction de son compagnon.
- Je sais, je vais... Le sorcier s'interrompit. Pour la première fois depuis le début de l'affrontement, il affichait une étincelle de doute et peut-être même de peur.
Dans le regard du Grand Mage, l'horreur avait laissé la place à une rage dévastatrice. L'air autour de lui crépitait d'énergie. Le vent se leva, tourbillonnant, emportant les débris laissés par la récente bataille.
- Je t'interdis de toucher à ma fille... Gronda-t-il tandis que le ciel s'emplissait de nuages et que la terre se mettait à trembler.
- Dara, ne fais pas ça, murmura Queen, dont les mots furent emporté par le rugissement du vent.
Au loin, un éclair fit exploser le sommet d'une montagne, déclenchant une avalanche. Partout le vent déracinait les arbres et soulevait des pierres de plus en plus grosses.
- Dara ! Arrête ! Cria Nine qui venait de comprendre ce qu'il s'apprêtait à faire.
Dans le temple, Sariane s'interrompit, l'attention attirée par le formidable déploiement d'énergie que réalisait le mage.
- Surtout ne t'arrête pas Sariane ! Tu dois nous rendre nos pouvoirs avant qu'il ait fini de lancer ce sort où aucun d'entre nous ne survivra !
- Qu'est-ce qu'il fait ? Demanda timidement Arkania.
- L'Ultime Cataclysme... répondit Isis les yeux écarquillés.
- Un sort dévastateur, renchérit Nine. Je ne sais pas s'il va détruire entièrement le monde, mais une chose est sûr, il n'y aura plus personne de vivant pour le constater...
Sariane se remit promptement au travail avec une ardeur renouvelée. Queen rejoignit alors le groupe tandis que, sur un signe de sa maîtresse, Fenrir allait chercher le corps de Wi'tch.
- Qu'est-ce qu'on fait ? Demanda Nine, tandis que le tremblement de terre se faisait de plus en plus violent.
- À nous trois on peut tenter de contenir l'explosion et tenter de limiter les dégâts, suggéra Queen à l'attention des deux déesses déchues. Avec un peu de chance peut-être pourrons-nous sauver les contrées les plus éloignées...
- On ne sera pas trop de quatre pour cela, ajouta Isis en se dirigeant vers le loup qui les avait rejoint avec son funeste fardeau.
- C'est fini pour elle, soupira tristement la vieille magicienne. Qu'espères-tu donc pouvoir faire ?
- J'ai moi aussi certains pouvoirs, rétorqua Isis en s'agenouillant près de la fille du Grand Mage.