Chapitre 6 : Conversation au coin du feu.
Le soleil brillait sur le MAR, faisant scintiller les gouttes de rosée qui restaient sur les arbres. À son réveil, Lornette fut étonnée de constater que Sariane n'avait toujours pas repris forme humaine. Elle n'avait jamais entendu parler de garou – quelle qu'en soit l'espèce – qui resterait sous sa forme animale durant la journée... D'un autre côté, elle n'avait pas non plus entendu parler de ouistiti-garou jusqu'à hier soir, alors elle n'en était plus à une bizarrerie près...
La journée s'écoula paisiblement au gré des chemins... Sauf pour Akki, dont les cheveux blonds passionnaient le ouistiti qui adorait manifestement tirer dessus.
Vers le milieu de l'après-midi, elles arrivèrent en vue d'une maison de pierres grises. Un petit bichon en sortit en trottinant, une laisse autour du cou. Une trentaine de mètres plus loin, il s'arrêta net, fronça les sourcils, tira un peu sur sa laisse d'un air dubitatif et se rendit finalement compte qu'il avait oublié son maître, qu'il rentra chercher au plus vite. Haussant les épaules – ou le câble dans le cas d'Akki –, elles continuèrent leur route sans autre événement majeur.
À la nuit tombée, alors qu'elles arrivaient dans une petite clairière où Lornette comptait passer la nuit, la brusque métamorphose de Sariane – jusque là perchée sur son épaule droite – les expédia au sol dans un entrelacs de bras, de jambes et de câble, sous le regard amusé de Mimine. Elles cherchèrent du bois et allumèrent un petit feu où elles firent griller un lapin, capturé par Lornette.
- Comment t'es devenue... Heu, tu sais... Un singe-garou ? Demanda Lornette quand elles eurent fini de manger.
- C'est une longue histoire... Répondit Sariane.
- Ça tombe bien, on a tout le temps, insista Lornette avec un grand sourire.
- Bon... Soupira la magicienne. Ça remonte à quand j'avais dix ans... J'étais à ma cinquième année d'études à l'école de l'Ordre de Sarkange. J'étais deux à l'époque en fait...
- Gné ? L'interrogea Lornette, exprimant l'incompréhension de l'auditoire.
- On était les meilleures amies du monde et on faisait à peu près toutes les bêtises possibles et imaginables... Un jour, suite à un pari idiot, on a tenté un sort d'invocation de ouistiti... Rien de bien méchant, sauf que ce n'était pas vraiment de notre niveau et qu'on n'a pas fait très attention... On a donc bien invoqué le singe, mais ensuite, le sort a déraillé et on s'est retrouvés tous les trois dans le même corps... Nos deux esprits – je veux dire ceux des deux apprenties – ont plus ou moins fusionné, mais le singe, lui, ressort un jour par mois, à la pleine lune...
- Triste histoire, commenta Lornette gravement.
- On a tout essayé pour au moins se débarrasser du singe, mais rien à faire... On a consulté des mages innombrables, des sorciers plus ou moins fous, des exorcistes de toutes confessions, des chamanes, des chirurgiens, des guérisseurs et même les moines aveugles de l'ordre sacré de Regarperdu... Toujours la même conclusion, associé à un haussement d'épaules compatissant : « Fallait faire attention... ».
- Tu sais, ma vie à moi n'a pas été géniale non plus... Ma mère a disparu quand j'avais dix ans, mon père a été tué il y a deux mois durant un raid d'esclavagistes sur notre village et mon petit frère doit être mort aussi, puisqu'il n'était pas avec les autres esclaves quand on a été conduits à Vacancenfête... J'ai réussi par chance à m'échapper mais je n'ai plus nulle part où aller...
- C'est vrai qu'on peut rêver mieux, convint Sariane. Et tu vas où en ce moment ?
- Par là, répondit Lornette, indiquant une direction au hasard.
- Et il y a quoi par là ?
- Aucune idée... On verra bien, répondit Lornette en haussant les épaules.
- Je viens aussi alors, enfin si ça ne te dérange pas...
- Pas de problèmes, acquiesça Lornette qui commençait à se lasser de la conversation plutôt limitée de Mimine et d'Akki et se disait qu'avec une magicienne à ses côtés, elle augmentait sûrement ses chances de survie. Mais il faudra te trouver une monture, ajouta-elle rapidement, en croisant le regard insistant de Mimine.
- Je vais invoquer un cheval alors.
- Heu... T'es sûre que c'est une bonne idée ?
- Ne t'inquiète pas, j'ai fait beaucoup de progrès en dix ans, la rassura Sariane.
Par précaution, Lornette, Mimine et Akki s'éloignèrent toutefois de quelques pas tandis que la magicienne commençait à psalmodier. Au bout de quelques secondes, il y eut une explosion de fumée blanche, qui en se dissipant, révéla une brebis de la taille d'un cheval, les regardant d'un air bête.
- Hum... Ça ne te dirait pas d'abandonner définitivement les invocations ? Demanda Lornette, doutant de plus en plus que la seconde raison de son acceptation de Sariane dans le groupe soit vraiment valide. Je crois que tu te débrouilles mieux avec les comètes et les éclairs... Sans vouloir t'offenser...
- C'est drôle, je me disais justement la même chose... Enfin, au moins, j'ai une monture maintenant... Tu t'appelleras Doly, conclut-elle en se tournant vers cette dernière.
- Pourquoi « Doly » ? Demanda Lornette.
- J'avais – enfin l'une de mes moitiés avait – une peluche qui s'appelait comme ça dans le temps... Elles ont le même regard...
- Ça devait pas être une lumière ta peluche, compatit Lornette.