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Chapitre 1 : Un professeur trop sévère.

Un soleil d'été illuminait la grande cité de Tobalville. Dans ses rues, les marchands s'affairaient à ouvrir leurs boutiques et les premiers passants sortaient de chez eux. La garde de jour prenait la relève de celle de nuit, entamant ses rondes d'un pas encore endormi et les mendiants s'installaient à leurs places habituelles, espérant plus de dons que la veille.
Dans le quartier nord les habitants s'éveillaient également... Là, la propriété de la vieille déesse Queen, que tout voyageur voyait comme de taille moyenne au petit jardin bien entretenu, était en réalité un vaste domaine. Dans le jardin, peuplé de plantes et animaux exotiques, deux petites filles jouaient joyeusement dans l'herbe avec leurs deux chiennes, en attendant le petit déjeuner.
La plus grande portait ses longs cheveux bruns tirant sur le rouge noués en queue de cheval. Ses yeux bleus brillaient d'une telle intelligence et d'un tel pouvoir qu'on peinait à croire qu'elle puisse n'avoir que neuf ans. Morgana était la fille de la déesse Wi'tch, ce qui faisait d'elle la petite-fille du Grand Mage Administrateur, qui dirigeait les dieux. Celui-là même qui les observait distraitement, elle et sa meilleure amie, depuis la terrasse, assis dans une chaise-longue et sirotant un jus d'orange.
La seconde petite fille avait des yeux violets encadrés de cheveux blonds mal coiffés. La demi-elfe tenait de son ascendance la particularité d'avoir à droite une oreille longue et pointue et à gauche une oreille ronde presque humaine. Cette dissymétrie marquait son métissage de façon si nette qu'aussi bien les elfes que les humains tendaient à l'éviter, la considérant comme une étrangère. Orpheline, elle avait rencontré Morgana des années plus tôt. La petite mendiante d'à peine quatre ans qu'elle était alors avait ému la fillette de deux ans son aînée qui, elle, ne manquait de rien. Elle lui avait alors offert sa bourse contenant tout son argent de poche, s'élevant à plus d'une dizaine de pièces d'or. Depuis ce jour, les deux enfants étaient devenues inséparables, si bien que la petite Slay avait été invitée à emménager dans la vaste propriété où elle vivait depuis. Maintenant âgée de sept ans, elle était presque devenue un membre de la famille à part entière.
- Slay ! Regarde ce que j'ai appris à faire à Angy ! S'écria joyeusement Morgana, tandis que ses deux mamans rejoignaient le Grand Mage sur la terrasse pour les observer.
Elle tapa dans ses mains et sa petite chienne au poil blond se mit à courir en cercles autour d'elle, achevant sa démonstration par une roulade maladroite qui la laissa la truffe dans l'herbe.
- Pfff ! Kyoto peut faire ça aussi ! S'exclama Slay. Allez Kyoto !
La demi-elfe frappa à son tour dans ses mains. La seconde chienne se contenta alors de la regarder d'un oeil dubitatif, inclinant la tête sur le côté en signe d'incompréhension.
- J'ai dit « Allez Kyoto » ! À ton tour !
La petite chienne se mit alors à battre énergiquement de la queue, guettant l'approbation de sa maîtresse.
- C'est pas vrai ! Trépigna Slay. Allez, montre à Angy que tu fais mieux qu'elle ! Et plus vite que ça !
Kyoto fit alors deux tours sur elle-même et s'allongea dans l'herbe. Fermant les yeux elle entreprit de se dorer au soleil.
- Mais qui m'a fichu une chienne pareille ? Gémit Slay, découragée, tandis que sa meilleure amie éclatait de rire.
- Les enfants, à table ! Cria Eilane, la seconde maman de Morgana, depuis la terrasse.
Oubliant instantanément leurs jeux, les deux fillettes se précipitèrent vers la maison pour le petit déjeuner. Arrivées à la grande table de la salle à manger, elles s'assirent et se jetèrent sur la nourriture.
- Ne mange pas trop, grogna Queen au bout de quelques minutes en voyant que Slay finissait sa neuvième clémentine. Tu ralentis déjà suffisamment mes cours sans te plaindre continuellement de maux de ventre.
Les deux fillettes lui jetèrent un regard furieux et Slay entama sa dixième clémentine d'un air de défi. Trois clémentines et plusieurs tartines plus tard, les deux amies quittèrent la salle à manger pour la salle de bain.
- Cette gamine est insupportable ! S'énervait Queen alors que le Grand Mage rentrait remplir son verre.
- Laisse-la donc un peu tranquille... Si tu la harcèles tout le temps, pourquoi t'écouterait-elle ? Remarqua le mage.
- Elle n'a pas de don pour la magie, je perds mon temps avec elle. Et surtout elle ralentit la formation de Morgana en la distrayant. Je me demande bien ce qui vous a pris à toi et à Wi'tch de la prendre ici. Si ça ne tenait qu'à moi...
- Si tu ne veux plus les former, on peut s'en charger, suggéra le mage en haussant les épaules.
- Paresseux comme tu es, tu ne serais pas assez exigeant et Wi'tch n'a pas encore le recul nécessaire. Par contre, tu peux te charger de la demi-elfe et moi de Morgana, si ça t'amuse.
- Elle a un nom la demi-elfe. Et elles doivent s'entraîner ensemble toutes les deux. Une ancre ne sert à rien sans rocher auquel s'accrocher...
- Oublie cette métaphore ridicule, veux-tu ? Quand comprendras-tu que Morgana sera seule au final pour accomplir son rôle. Mieux vaut lui apprendre à agir seule plutôt qu'avec un boulet dans les pattes !
- Slay a des qualités essentielles, même si elles ne se sont pas encore manifestées. Pour l'instant elle ralentit peut-être un peu la formation de Morgy mais elle finira par se montrer une partenaire utile, voire indispensable pour elle. Sans compter le soutien moral qu'elle constitue.
- Cette gamine sera toujours un poids et pour l'instant elle la déconcentre dans son apprentissage. Bon sang ! Morgana est essentielle pour l'avenir du monde, elle devrait travailler et apprendre à maîtriser sa force au lieu de gambader dans l'herbe !
- Elle a droit à une vie à elle, contra le mage. Et la vie d'une enfant de son âge ne peut se résumer à sa formation magique en compagnie d'une vieille déesse trop sérieuse...
- Vieillard toi-même ! Il faut bien que quelqu'un prenne la peine de penser à l'avenir du monde puisque le Dieu des dieux semble s'en désintéresser. Ce n'est pas en apprenant à un chien à faire des cabrioles qu'elle deviendra assez compétente pour ce qui l'attend.
- Tu persistes à ne la considérer que comme un outil... Cette discussion ne mène à rien, soupira le mage en ressortant avec son verre plein.

***
- Concentre-toi, tu vas encore perdre ton sort ! Dit Queen alors que Slay tentait tant bien que mal de maintenir sa minuscule flammèche tremblotante.
La fillette transpirait à grosses gouttes, le front plissé sous l'effort... Soudain, elle lâcha un soupir et la petite flamme s'éteignit, ne laissant qu'un mince filet de fumée.
- C'était pas mal ! La félicita Morgana. Tu arrives à maintenir ta flamme presque deux minutes maintenant !
- Je suis loin de t'égaler quand même... Rétorqua Slay en souriant.
- Sans aucun doute, tu en es bien loin, confirma sèchement Queen.
Le sourire de Slay disparut d'un coup.
- Tu as deux ans de moins que moi, c'est normal, insista Morgana, foudroyant la vieille déesse d'un regard noir.
- À son âge tu étais bien plus douée que ça. Je ne vois pas pourquoi elle s'obstine, elle ne sera jamais une bonne magicienne.
Les mains tremblantes de colère, Morgana se retenait de sauter à la gorge de leur professeur, tandis que Slay regardait le sol d'un air honteux.
- Bon, assez de pratique pour aujourd'hui, revenons à un peu de théorie, annonça Queen pour couper court à la discussion qui menaçait de mal tourner. Parlons du Bouclier de Meleithel... Que pouvez-vous me dire sur ce sort ?
- C'est le plus puissant sort de protection, l'un des Sortilèges Ultimes, récita Morgana d'un ton légèrement agressif.
- Tout à fait, le Bouclier de Meleithel est en effet l'un des Sortilèges Ultimes... Quelles particularités ont ces sortilèges ?
- Ce sont des sorts qui puisent non seulement dans les forces magiques mais également dans l'énergie vitale des mages qui les utilisent, répondit timidement Slay.
- Ils ont pour conséquence de voler plusieurs années de la vie de leurs lanceurs, vieillissant brusquement leur corps de plusieurs décennies, compléta Queen, omettant volontairement de féliciter la fillette. En temps normal, la magie conserve le corps du mage, ralentissant considérablement son vieillissement mais dans le cas des Sortilèges Ultimes, elle le ronge jusqu'à l'os. Un mage, ou même un dieu, ne se remet jamais vraiment du lancement d'un tel sort. Il est définitivement affaibli... Aucun mage, fut-il des plus puissants, ne peut lancer deux de ces sorts et y survivre. Bien peu parviennent ne serait-ce qu'à en lancer un seul et moins encore restent en vie pour s'en vanter. Ton grand-père, Morgana, a lancé l'Ultime Cataclysme il y a neuf ans. Avant cela il avait encore le corps d'un jeune homme... Voyez ce qu'il est devenu... Ces sorts ne doivent être utilisés qu'en dernier recours, quand toutes les autres possibilités ont été écartées. Néanmoins, s'ils coûtent beaucoup, leur puissance est phénoménale. Aucun sort classique ne pourrait en égaler la puissance, même lancé conjointement par plusieurs mages.
- Pourquoi grand-père a-t-il utilisé un tel sort s'il coûte si cher ? N'y avait-il pas d'autre moyen de vaincre l'Usurpateur ? Demanda Morgana.
- Il a perdu son sang froid quand ta mère a été tuée. Jamais il n'aurait dû lancer un tel sort ! Il a failli détruire le monde !
- Mais vous avez contenu l'explosion, remarqua Slay. Il devait savoir que vous alliez le faire, non ?
- Si nous n'avions pas retrouvé nos pouvoirs divins juste à temps, nos efforts auraient été balayés et jamais le monde n'aurait survécu. Même avec, il est étonnant que nous ayons pu y arriver aussi bien... Heureusement qu'il était concentré principalement sur l'Usurpateur... Si sa cible avait été plus large, nous n'aurions probablement pas tenu. Et surtout, si Sariane n'était pas parvenue à défusionner, il nous aurait laissés sans défenses face à Bugderam. Lancer un tel sortilège n'était que folie ! Mais revenons au Bouclier de Meleithel. Ce sort permet une protection quasiment inviolable de sa cible. C'est à lui que je dois ma vieillesse...
- C'est vrai ? S'étonnèrent ses deux élèves d'une seule voix.
- Évidemment, pensiez-vous que j'avais toujours été vieille et ridée ?
Les deux fillettes échangèrent un regard suivi d'un haussement d'épaule : elle ne l'avait effectivement jamais imaginée autrement.
- Et qui en a bénéficié. L'interrogea Morgana.
- Ton grand-père... C'était il y a des milliers d'années... À l'époque nous étions les deux seuls dieux, ce n'est qu'après cela qu'il a décidé de recruter Nine. Nous avons dû faire face à un immense péril et il n'aurait jamais pu l'emporter sans cela...
- Quel genre de péril ? Demanda Slay, impatiente de connaître les détails de cette histoire dont elle n'avait encore jamais entendu parler.
- Ce devait être un ennemi surpuissant, renchérit Morgana.
- Nous verrons cela une autre fois, coupa Queen. Il est temps d'aller manger.
Déçues, les deux petites filles réalisèrent néanmoins qu'elles étaient affamées et partirent en courant en direction de la salle à manger.

Chapitre 2 : Là, tout de suite ?

Le soir venu, les deux petites filles montèrent dans leur chambre, épuisées par cette nouvelle journée d'entraînement.
- Bonne nuit mes chéries, leur souhaita Eilane en leur déposant un baiser sur le front.
- Dormez bien, renchérit Wi'tch en éteignant la lampe magique d'un claquement de doigts.
Les deux femmes quittèrent alors la pièce en fermant doucement la porte. Leurs pas s'éloignèrent dans le couloir et Slay et Morgana se retrouvèrent seules.
- Queen a encore été odieuse avec toi, grogna Morgana.
- Elle a peut-être raison, suggéra tristement Slay. Je ne suis pas douée pour la magie...
- Tu n'es pas la fille d'une déesse, normal que tu aies plus de mal. Mais tu seras une grande magicienne plus tard, j'en suis sûre !
- Ça m'étonnerait... En deux ans et demi d'entraînement, t'as vu à quoi j'arrive ?
- Il doit y avoir quelque chose qui te bloque, parce que je sens un grand pouvoir en toi...
- Un grand pouvoir ? Arrête de te moquer de moi Morgy...
- Je suis très sérieuse, tu as une force en toi, je la sens. Mais peut-être est-ce autre chose que de la magie, ajouta-telle, pensive.
- Si c'est pas de la magie, c'est quoi ?
- Aucune idée... Il faudrait essayer d'en savoir plus...
Après un silence, Slay prit une grande inspiration et déclara :
- Je vais partir.
- Quoi ? S'exclama son amie.
- Je vais partir. Si j'avais dû trouver la réponse ici, ce serait déjà fait, tu ne crois pas ?
- Mais partir où ?
- J'sais pas moi, je verrai bien... Mais je prouverai à cette vieille sorcière que j'ai moi aussi des qualités !
- Ah, ça c'est le bon esprit, bien mieux que ton défaitisme de tout à l'heure ! On part quand ?
- « On » ? Demanda Slay.
- Ben tu crois quand même pas que je vais te laisser partir toute seule sur les routes et rester bien sagement avec cette vieille folle de Queen ? Je t'accompagne, c'est évident.
- Mais et ton entraînement ? Elle ne te laissera jamais partir !
- C'est l'occasion de le mettre en pratique mon entraînement justement... Et qui a dit qu'elle aurait le choix ?
- Et tes mamans ? Et ton grand-père ? Tu vas les abandonner comme ça ? Tu as une famille qui t'aime, toi...
- C'est ta famille à toi aussi ! Et on leur laissera une lettre. On part quand alors ?
- J'sais pas...
- Maintenant ?
- Là, tout de suite ?
- Pourquoi pas ?
- J'sais pas... D'accord, on part maintenant ! Prépare tes affaires !
Les deux fillettes sautèrent de leur lit et s'empressèrent de s'habiller et de rassembler ce dont elles auraient besoin durant leur voyage, l'euphorie du moment ayant complètement évaporé la fatigue de la journée.
Une demi-heure plus tard, elles étaient fin prêtes. Morgana déposa sa lettre sur son oreiller et prit son sac à dos qui faisait presque sa taille.
- On n'a rien oublié ? Demanda Slay.
- Je crois pas... Allons chercher Angy et Kyoto.
Elles descendirent ensuite prudemment l'escalier, maudissant chaque grincement, passèrent discrètement devant le bureau du Grand Mage et sortirent dans la nuit en direction des écuries où dormaient leurs deux chiennes.
Quelques minutes plus tard, elles marchaient toutes quatre vers l'inconnu à la lumière de la lune et des étoiles...

***
Quelques secondes plus tard, le Grand Mage était en train de dessiner, calmement assis dans son grand fauteuil lorsque le ouistiti déboula dans sa chambre en poussant des cris aigus. Hama, qui était restée avec eux à Tobalville suite à la disparition de Sarah Misso et au sommeil prolongé de Lauriane Little, avait vieilli durant ces neuf années. Son pelage était parsemé de fils argentés et elle passait de plus en plus de temps à dormir... Néanmoins, elle était toujours vive et observatrice et n'avait pas manqué le départ des deux fillettes.
- Que t'arrive-t-il donc ? Soupira le mage sans lever les yeux de son dessin.
Hama gesticula dans tous les sens sur le bureau, comme si sa vie en dépendait.
- Ah, elles sont enfin parties, sourit le mage. Je me fais vieux, je n'ai même pas senti leur départ...
Le ouistiti trébucha de saisissement et s'étala de tout son long avant de pousser un cri interrogatif.
- Bien sûr que je m'y attendais ! Tu as vu comment Queen traite Slay ? À vrai dire, je suis même étonné qu'elles aient mis si longtemps à se décider à partir...
Se remettant sur ses pattes, Hama poursuivit ses gesticulations frénétiques.
- Oh non, malheureuse ! Quelle idée ! Tu n'y penses pas voyons... Mettre Queen au courant ? Grands dieux non ! Et puis quoi encore ? Plus tard elle l'apprendra, plus longtemps tes oreilles comme les miennes auront la paix. Je le lui annoncerai demain matin, je tiens à dormir tranquille cette nuit !
Le ouistiti se rangea volontiers à de tels arguments mais fit tout de même savoir son inquiétude vis à vis de Morgy et Slay qui étaient tout de même bien jeunes pour voyager seules.
- Ne t'inquiète donc pas, la rassura le mage en lui tapotant la tête. Ma petite Morgy est plus douée en magie que bien des mages et Slay et elle sont très débrouillardes... Et puis, pourquoi crois-tu que je leur ai offert Angy et Kyoto ? Il ne leur arrivera rien, tu peux dormir sur tes deux oreilles. Au contraire, elles pourront acquérir l'expérience du terrain qu'aucun cours dans le bureau de Queen ne pourra leur apporter.
Hama tenta une dernière protestation.
- Elles s'en sortirons, j'te dis, répondit le mage en reprenant son dessin. Et Slay va peut-être enfin apprendre à maîtriser son pouvoir... J'ai d'abord pensé que c'était de la magie mais il semble évident que c'est autre chose... Je suis bien curieux de savoir ce que c'est... Va donc te recoucher maintenant.
Le ouistiti lui souhaita bonne nuit de quelques cris aigus et se dirigea vers la porte.
- Bonne nuit à toi aussi, lui souhaita le Grand Mage avant de concentrer à nouveau toute son attention sur son dessin représentant deux fillettes et deux chiennes marchant dans les rues endormies de Tobalville...

***
- Crois-tu vraiment qu'il soit bien sage de les laisser partir comme cela ? Demanda Eilane, inquiète, tandis qu'elle et Wi'tch se mettaient au lit. Elles sont encore bien jeunes...
- Avant que nous ne la recueillions, Slay était livrée à elle-même et elle était encore plus jeune... Et puis notre petite Morgy n'est pas sans ressources, répondit la déesse.
- Quand même... Sept et neuf ans, c'est jeune pour un tel voyage, insista Eilane en enfilant sa chemise de nuit.
- Papa est convaincu que c'est ce qu'il y a de mieux pour elles... Et je pense qu'il a raison, dit Wi'tch en se glissant sous les draps. Par contre, la réaction de Queen quand elle l'apprendra... Ça va pas être triste !
- Tu veux dire qu'elle est la seule à ne pas être au courant ? S'exclama sa compagne en la rejoignant sous les draps.
- On n'est pas fous non plus, tu t'imagines qu'elle aurait laissé faire ? À mon avis, ce sera nettement plus simple de la mettre devant le fait accompli... Même si mes pauvres oreilles préféreraient que cela n'arrive jamais...
- Tu m'étonnes ! Elle va hurler comme une folle en apprenant ça !
- C'est papa qui se charge de lui annoncer la nouvelle demain matin... Ça veut dire que si on devait se réveiller un peu plus tard que d'habitude, ce ne serait pas très grave, ajouta Wi'tch en souriant.
Sa compagne lui rendit son sourire et l'embrassa, faisant glisser lentement sa chemise de nuit.
- Et pourquoi pas même beaucoup plus tard...

***
Les deux filles et leurs compagnes canines approchaient de la sortie de la ville quand une silhouette sombre sortit d'une ruelle adjacente pour leur barrer la route.
- Que font donc deux jolies p'tites filles comme vous seules dans la rue à une heure pareille ? Demanda l'homme, son large sourire dévoilant des dents qui avaient vue de meilleurs jours.
- On part en voyage, répondit Morgy. Et on n'a pas le temps de discuter, au revoir.
- Vous n'allez pas déjà partir quand même, s'exclama l'homme, toujours souriant.
- Ben si, je viens d'vous l'dire...
- J'pensais qu'on aurait pu s'amuser un peu tous les trois, proposa l'homme avec un sourire malsain. J'aime bien les jolies petites filles...
- Qu'est-ce qu'il veut dire ? Chuchota Morgy à Slay.
- On voit que t'as jamais vécu dans la rue, toi, répondit-elle...
- Il veut nous faire... heu... des trucs ? Comprit enfin la jeune magicienne.
Son amie acquiesça.
- Beurk... Cracha Morgy, d'un air dégoutté. Non merci monsieur, amusez-vous donc tout seul, conclut-elle.
- J'crois qu't'as pas bien saisi la situation, contra l'homme en sortant un long couteau noir de crasse et à la lame émoussée. C'est pas vraiment comme si vous aviez le choix...
Morgana incanta rapidement et une aura d'énergie l'enveloppa.
- Qui c'est qu'a pas l'choix ? Demanda-t-elle, menaçante.
L'homme se mit à trembler.
- Heu... Je blaguais, c'est tout ! Ha ha, elle était bonne hein ?
Puis, lâchant son couteau, il tourna les talons et s'enfuit en courant.
- Mince alors, un simple petit sort de lumière et il est terrifié, s'esclafa Slay.
- Il lui faut pas grand chose, renchérit son amie, hilare elle aussi.
Quelques minutes plus tard, elles atteignirent la sortie de la ville.
- On va par où maintenant ? Demanda Morgy.
- J'sais pas moi... T'as une préférence ?
- Heu non...
- Hum, ça commence bien...
- On a qu'à lire les panneaux là-bas, suggéra Morgana.
- Bonne idée !
- Alors... On a Vertevallée à l'est, Carnageville à l'ouest... la Cité du Chien Bleu au nord-est...
- Woof, réagirent Angy et Kyoto en ballottant énergiquement de la queue.
- On a deux volontaires pour la Cité du Chien Bleu, je note. Ensuite, reste Magmaheim et Fournèzbourg à l'ouest...
- Vertevallée, ça avait l'air pas mal.
- Worf, déclarèrent les deux chiennes en signe de protestation.
- Au pire, on commence par le Chien Bleu, puis on enchaîne avec Vertevallée... Proposa Morgy, conciliante.
- Ça va pour moi, acquiesça Slay.
- Woof, confirmèrent Kyoto et Angy.
- Parfait ! En route pour la Cité du Chien Bleu ! Déclara Morgy en partant en direction du nord-est, suivie par ses compagnes de route.

Chapitre 3 : Cuisine improvisée.

Le soleil matinal entrait par la fenêtre ouverte, illuminant la pièce d'une grande flaque de lumière. Au pied du grand lit, gisaient deux chemises de nuit vertes. Les draps défaits attestaient d'une nuit mouvementée...
Wi'tch se retourna dans son sommeil. Recevant les rayons solaires en plein visage, la déesse s'éveilla. Quelques instants, elle observa sa compagne dormir à côté d'elle. En théorie, une déesse comme Wi'tch n'avait besoin que de très peu de sommeil, voire pas du tout, mais la jeune déesse avait pris à sa charge l'alimentation en énergie de tous les sortilèges maintenus auparavant par Queen et son père. Ceci ne lui demandait que de fournir l'énergie sans nécessiter d'autre travail de sa part. Ainsi, grâce à la fatigue engendrée par la dépense d'énergie, elle pouvait calquer son rythme de sommeil sur celui de sa compagne humaine, tout en gardant la majeure partie de son temps libre pour leur vie familiale.
Souriante, elle repensa à leur premier réveil côte à côte, peu après la victoire contre l'Usurpateur, neuf ans plus tôt. Elles s'étaient réveillées, enlacées dans une chambre de l'auberge où elles avait bu la veille plus que de raison, et avaient découvert entre elles, gazouillant joyeusement, le petit bébé qui était devenu aujourd'hui une jeune magicienne. Cette même magicienne qui venait de quitter la maison discrètement la veille au soir avec son amie Slay.
Revenant au présent, elle vit qu'Eilane s'éveillait. Gardant les yeux fermés, elle savourait la caresse du soleil sur sa peau nue. La jeune déesse déposa un baiser sur ses lèvres. Sa compagne eut un léger sourire mais continua de feindre le sommeil. Un second baiser et elle ouvrit finalement les yeux.
- La maison est bien calme sans les cris de ces deux petites démones, constata-t-elle.
- Oh, ça ne va pas durer, soupira Wi'tch. Queen va prendre la relève sous peu, question cris...
- À n'en pas douter...
Les deux femmes se levèrent et s'habillèrent, prenant leur temps pour savourer le calme éphémère du petit matin. Puis elles allèrent inspecter la chambre des deux jeunes fugueuses.
- Dis donc, tu crois qu'elles ont pris une charrette pour transporter tout ça ? S'esclaffa Wi'tch en constatant la quantité d'objets manquant dans la pièce.
- J'aurais bien aimé les voir avec leur sac sur le dos, ça valait sûrement le détour, renchérit Eilane en riant avant de remarquer la lettre sur l'oreiller de sa fille. « À mes deux mamans que j'aime beaucoup très fort », lut-elle à haute voix.
Tandis qu'elle ouvrait l'enveloppe, Wi'tch la rejoignit, passant ses bras autour de sa taille et posant le menton sur son épaule. Eilane déplia la lettre et elles purent lire l'écriture enfantine mais soignée de leur petite Morgy :

Chères mamans adorées.

Slay et moi avons décidé de partir en voyage pour ne plus subir la tyrannie de Queen. On pense que c'est la meilleure façon de s'améliorer. Surtout pour Slay. On est désolées de partir sans prévenir et on espère que vous ne nous en voudrez pas trop. Ne vous inquiétez pas trop pour nous, on a Angy, Kyoto et ma magie pour nous protéger. On pensera tous les jours à vous et à grand-pôpa.

À bientôt, votre petite Morgy qui vous fait plein de bisous.

- Brave petite, sourit Eilane quand elle eut fini sa lecture.
Wi'tch acquiesça, un sourire attendri étirant ses lèvres.
- Elles n'ont pas imaginé une seule seconde qu'on savait très bien qu'elles partiraient et que Papa a fait exprès de pousser Queen à bout pour qu'elle soit encore plus désagréable.
- Elles ne doivent pas vous imaginer aussi fourbes...
- Faut bien qu'on soit un peu fourbes pour être de bons dieux. Amener les gens à prendre tous seuls les décisions qui nous arrangent le plus... C'est notre boulot.
- De vrais manipulateurs, sourit Eilane.
- Tout à fait. Mais c'est pour leur bien et au final ils prennent eux-même les décisions. D'ailleurs notre première nuit il y a neuf ans... J'te parie ce que tu veux qu'il avait tout prévu pour que ça arrive...
- C'est fort possible... En tous cas, manipulée ou pas, une chose est sûre, c'est que je ne me plains pas de la tournure qu'ont pris les événements sur ce point.
- Moi non plus, renchérit la déesse en laissant glisser ses mains vers le bas, sa compagne se pressant contre elle...
C'est alors qu'elles entendirent des cris à l'étage en dessous.
- Comment ça « parties » ? Hurlait Queen.
- Hum... Elle a le don pour casser l'ambiance celle-là, grogna Eilane.
- Tu l'as dit... Et si on allait se promener un peu avant de manger ?
- Avec plaisir, laissons-les donc s'expliquer !
Et les deux femmes sortirent discrètement de la maison, laissant leurs aînés à leur discussion animée.

***
- Tu te fiches de moi, hein ? Tu n'as quand même pas sciemment laissé Morgana partir ? S'énervait Queen.
- Si, sourit le mage en avalant une gorgée de jus d'orange d'un air satisfait.
- Morgana doit s'entraîner ! Elle n'a pas le temps de voyager !
- Si, au contraire. Et c'est une décision mûrement réfléchie.
- Tu veux dire que tu savais qu'elles allaient partir ? Demanda la vieille déesse d'un air menaçant.
- Évidemment... Cela m'étonne d'ailleurs qu'elles aient mis si longtemps.
- Ça faisait partie de tes plans alors ? Mais tu as donc complètement perdu l'esprit ?
- C'est toi qui ne vois pas plus loin que le bout de ton nez, rétorqua le vieux mage. Tu pensais vraiment qu'elle allait laisser Slay partir toute seule le jour où celle-ci en aurait assez d'être traitée comme une moins que rien ?
- Je voulais que la demi-elfe abandonne mes cours qui ne menaient à rien dans son cas, pas forcément qu'elle parte...
- Bien entendu elle aurait arrêté la magie et regardé Morgana devenir une puissante magicienne tout en se tournant les pouces, ironisa le mage. C'est bien ce que je dis, tu es tellement obnubilée par l'entraînement de Morgy que tu en oublies de penser aux autres... Mais c'est très mauvais de n'avoir qu'une seule carte dans sa manche... Et Slay, que tu le veuilles ou non, deviendra une carte maîtresse. Peut-être pas aussi puissante que Morgy mais diablement efficace, je le sens. De plus, ce voyage sera l'occasion pour elles de mettre en pratique leur enseignement et de vivre un peu par elles-mêmes, cela ne peut que leur faire le plus grand bien.
- Tu veux dire que tu ne comptes pas les ramener ici ? Tu comptes réellement les laisser comme ça dans la nature ?
- Bien sûr, pourquoi crois-tu que ces derniers temps j'ai fait en sorte de te pousser à bout ? Pour que tu sois encore plus désagréable avec Slay et qu'elles prennent enfin la décision de partir. Et maintenant que c'est fait, je ne compte pas le moins du monde intervenir.
- Et Wi'tch et Eilane ? Ne vont-elles pas s'inquiéter en découvrant leur départ ?
- Wi'tch était de mon avis sur la nécessité de ce voyage...
- Tu veux dire que je suis la seule à ne pas avoir été mise au courant ? Hurla Queen, indignée.
- Si tu avais été au courant, tu aurais tout fait pour l'empêcher, précisa le mage en souriant.
- Évidemment ! Jamais je ne cautionnerai une telle folie ! Et si elles sont tuées ?
- Tu penses bien que j'ai pris des précautions. Voyons Queenie, me prendrais-tu pour un débutant ?
- Soit, capitula Queen. Elles pourront poursuivre leur voyage... Mais tu me le paieras un jour !
- Mais oui, mais oui, répondit le mage en avalant une nouvelle gorgée de jus d'orange, soulagé de la voir s'arrêter de crier.

***
Une heure après le levé du soleil, les deux fugueuses firent halte à l'abri d'un bosquet de frênes, au bord de la route menant à la Cité du Chien Bleu. Elles étaient toutes deux complètement épuisées d'avoir tant marché toute la nuit sans dormir et s'effondrèrent avant même d'avoir eu le temps de sortir leurs couvertures ou de manger quelque chose...
Quand elles se réveillèrent, il faisait déjà nuit noire.
- C'est malin, on va encore voyager de nuit, soupira Slay.
- Ouais... répondit Morgy en bâillant.
- Et j'ai mal aux jambes, aux pieds et au dos à force de porter tout ça...
- Moi aussi, on aurait dû prendre un peu moins de choses...
- Et j'ai faim !
- Ça on doit pouvoir y remédier je pense, sourit Morgy.
La fillette commença à fouiller dans son sac.
- Hum... J'me disais bien qu'on oubliait quelque chose, remarqua-t-elle en réalisant qu'elles n'avaient rien emporté à manger.
- Quoi ? Mais comment on va faire alors ? Désespéra Slay. On va mourir de faim sur la route et personne ne le saura... Jusqu'à ce qu'un voyageur de passage découvre nos petits cadavres rongés par les vers... Veux pas mourir déjà, geignit Slay.
- Allons, allons, on va trouver une solution, tenta de la rassurer son amie. Je sais pas encore comment mais on va trouver.
C'est alors qu'Angy apparut entre les arbres, tirant le cadavre d'une dinde sauvage fraîchement tuée.
- Angy apporte à manger ! S'écria la demi-elfe en sautant de joie. Aïeuh ! Grogna-t-elle en se rasseyant précautionneusement. Je pourrai jamais marcher dans cet état.
- Chaque chose en son temps, commençons par manger, on verra ensuite pour le reste.
- D'accord. Mais tu sais cuisiner une dinde toi ?
- Heu... On va bien trouver...
Une heure plus tard, les deux fillettes mangeaient leur dinde, mi-crue, mi-carbonisée, Slay s'étant d'autorité appropriée les ailes.
- On a encore des progrès à faire de ce côté-là, remarqua Morgy.
- Woof, acquiescèrent Angy et Kyoto.
- Y a quand même des parties bien cuites entre la viande crue et le cramé, positiva Slay.
Après ce bon repas... Après ce repas bien mérité, les deux amies tentèrent de se remettre en route... Au bout de trois pas, elles décidèrent de finir la nuit sur place... Sortant leur couvertures, elles s'allongèrent sous les arbres.
- Tu crois qu'on va y arriver ? Demanda Slay.
- Si on rentrait maintenant, Queen se moquerait de nous...
- Ouais, on peut pas rentrer...
- Donc on continue.
- Ben ouais, pas l'choix.
- J'ai mal aux jambes.
- Moi aussi. Et j'ai un goût de brûlé dans la bouche...
- J'aurais dû invoquer un feu plus doux pour cuire la dinde...
- Ouais... Suis fatiguée...
- Ben dors alors.
- C'est trop tôt, on vient de se lever y a à peine une heure...
- D'un autre côté, on n'a pas dormi du tout la nuit dernière, rétorqua Morgy.
- Ouais, mais quand même.
- Bah, tu fais comme tu veux mais moi je dors. On a une longue route demain.
- Dors bien.
- Toi aussi.
- J't'ai dit que c'était trop tôt alors je vais pas encore dormir.
- Pfff... T'es bête tu sais...
- Ouais.
- Bon, à demain.
- À demain.

Chapitre 4 : La cité du Chien Bleu.

Les deux aventurières s'éveillèrent au petit matin, bien reposées mais toujours endolories.
- J'ai encore mal, gémit Slay.
- Moi aussi, grogna Morgy. Mais je crois qu'on va devoir marcher comme ça, on peut pas rester là indéfiniment.
- Ouais, soupira la demi-elfe. Il reste de la dinde d'hier soir ?
- Un peu... Tu veux que je le réchauffe ?
- Tu y arriveras sans le carboniser davantage ?
- Sais pas...
- On peut aussi le manger froid...
- D'accord.
Elles finirent alors la dinde et se remirent en route.
- Aïe, aïe, ouille, aïe, répétait Slay à chaque pas, avec la régularité d'un métronome.
- T'en as pas marre de dire « aïe » ? Demanda Morgy, exaspérée, au bout de cinq minutes.
- J'ai mal, répliqua Slay.
- Moi aussi et je le répète pas à chaque pas...
- Je peux le chanter si tu préfères, proposa la demie-elfe.
Morgana leva les yeux au ciel, tandis que son amie entamait sa chanson.
- Aïe aïe aïe, aïe ouille ouille, aïïïeeeeuuuuhhhheeeeuuuuhhhh ! Ouille aïe aïe, aïe ouilleuh...

***
Le soir approchait quand elles arrivèrent en vue de la Cité du Chien Bleu.
- On devrait y être dans une demi-heure, estima Morgana en apercevant les bâtiments entassés derrière un mur d'enceinte.
- Tu sais pourquoi elle s'appelle comme ça cette ville ?
- Heu... non, aucune idée...
- Ce sera la surprise alors.
- Ouais.
- On va pouvoir dormir à l'auberge, jubila Slay.
- Et manger un vrai repas, renchérit son amie.
- T'as pas oublié d'emporter de l'argent au moins ?
- Non, t'inquiète, j'ai une bourse pleine d'or que j'avais économisé en cas de besoin.
- Te la fais pas voler, hein... Je veux dormir dans un lit moi.
- J'ai mis un sort de protection contre le vol dessus... J'ai hâte de le voir en action, sourit l'apprentie magicienne.
Peu après, elles atteignirent la grande porte d'entrée de la cité.
- C'est plus petit qu'à Tobalville, constata Slay, déçue.
- Qu'est-ce qui vous amène dans notre bonne Cité du Chien Bleu, jeunes filles ? Demanda l'un des deux gardes qui venaient à leur rencontre.
- Ben heu... du tourisme, éluda Morgana.
- Vous voyagez seules ? S'étonna le garde.
- Heu, oui...
- Et vous vous appelez comment ?
- Heu... moi c'est Avada, répondit Morgy, hésitante, tandis que Slay se faisait toute petite. Et elle... Josefa, ajouta-t-elle en désignant la demi-elfe qui sursauta et fronça les sourcils.
L'apprentie-magicienne lui enfonça son coude dans les côtes pour la réduire au silence.
- Elles m'ont l'air bizarre ces deux petites, déclara le second garde d'un ton soupçonneux.
- Je suis pas petite ! S'exclama Slay. Puis elle écarquilla les yeux en réalisant ce qu'elle venait de faire et, sa timidité reprenant le dessus, elle se cacha derrière son amie et observa ostensiblement ses chaussures.
- Elle ne semblent pas bien dangereuses... On devrait pouvoir les laisser passer. Vous avez de quoi payer l'auberge ? Demanda encore le premier garde.
- Oui oui, répondit Morgy en montrant sa bourse.
- J'te dis qu'elles sont bizarres, répéta le second garde.
- Bon, vous pouvez entrer, mais pas de vagues, hein ?
- Promis, acquiesça Morgana.
- Bon séjour à la Cité du Chien Bleu mesdemoiselles, leur souhaita le garde.
- Merci monsieur, répondit la fillette. Bonne fin de journée.
Les deux enfants passèrent alors la porte et pénétrèrent dans la cité.
- Qu'est-ce que c'est que ce nom ? S'offusqua Slay quand elles furent hors de vue. Où t'as été pêcher un truc aussi moche ?
- J'me suis dit qu'il vaudrait mieux ne pas donner nos vrais noms pour pouvoir passer incognito.
- Ça j'ai bien compris, mais pourquoi un nom pareil ?
- Ben j'ai improvisé...
- T'aurais pu improviser un peu mieux quand même, j'ai l'air de quoi moi maintenant ?
- C'est pas si abominable « Josefa »...
- Si, répondit Slay, péremptoire.
- Mais non, c'est joli.
- Non, c'est moche. La prochaine fois, c'est moi qui choisit les noms !
- Ça veut dire que c'est toi qui parleras aux gardes ? Demanda Morgana avec un petit sourire ironique.
- Heu... Je pourrais choisir les noms et ensuite, c'est toi qui parle... Proposa la demi-elfe.
- Ben voyons...
- Ouais, on va faire comme ça !
- Et quel nom porterons nous, chère Josefa ?
- Si tu m'appelles encore une fois comme ça, je lâche Kyoto sur toi, menaça Slay.
- Hou, j'ai peur... Josefa !
- Kyoto ! Attaque ! S'exclama la fillette en désignant Morgana.
La chienne regarda alternativement les deux amies.
- J'ai dit « attaque » ! S'impatienta Slay.
Kyoto, se décidant enfin, sauta sur sa maîtresse qui se retrouva allongée dans la poussière, sa chienne sur elle, lui léchant le visage.
- Traîtresse, gémit la demi-elfe, sous les rires de Morgana. Vous êtes toutes contre moi !
- Raf ! S'indigna Angy, soulignant qu'elle n'était pour rien dans cette histoire.

***
Le soleil rougissait déjà à l'horizon quand elles arrivèrent à la Place du Chien Bleu, la place centrale de la cité. En son centre, trônait une grande statue de pierre bleue, haute de plusieurs mètres, figurant un chien en train de se gratter l'oreille. Kyoto et Angy s'assirent devant la statue et l'observèrent religieusement en balayant les pavés de leur queue.
- Comment peut-on avoir envie de sculpter un truc pareil ? Demanda Slay, perplexe.
- D'après le panneau, la statue aurait été érigée par un très ancien seigneur du nom de Chassepartout, en hommage à son chien Bleupoil, mort pour le sauver... Tout ce qu'il reste du seigneur, de son royaume et de son château, c'est cette statue, qui n'a pas bougé d'ici depuis. Puis la ville s'est construite autour d'elle et c'est de là qu'elle tient son nom. On lui prête des pouvoirs magiques mais personne ne sait réellement lesquels...
- C'est pas tout ça, mais j'irais bien manger quelque chose, moi. On a qu'à aller à l'Auberge du Chien Bleu, proposa Slay en désignant un grand établissement face à la statue. Ils en ont de l'imagination pour les noms par ici...
Les deux fillettes prirent alors la direction de l'auberge.
- Vous venez vous deux ? Demanda Morgana au deux chiennes.
- Woof... Répondirent-elles distraitement en continuant à fixer la statue.
- Qu'est-ce qu'elle a cette statue ? S'étonna la demi-elfe.
- Aucune idée... Bon, vous venez ? On va manger !
- Woof... Acquiescèrent Angy et Kyoto, sans bouger d'une griffe.
- C'est pas normal... Tu viens de leur dire qu'on allait manger... Je savais pas qu'il existait des activités qui pour elles avaient la priorité sur un repas... Surtout pas regarder une statue qui se gratte l'oreille.
- Tu crois que la statue est ensorcelée ?
- Aucune idée...
- Ou maudite, peut-être, proposa Morgana, pensive.
- Comment tu veux qu'je l'sache moi ? Demanda Slay en s'approchant de la statue pour essayer de trouver quelque chose qui leur donnerait un début d'explication.
- À part sa couleur bleue, elle a l'air normale cette statue pourtant...
- Eh, regarde ce petit symbole, là, s'exclama la demie-elfe en désignant une sorte de rune complexe entourée d'un cercle, gravée sur la statue dans un recoin à l'abri des regards.
- Qu'est-ce que ça peut bien être ?
- Chais pas... Jamais vu un truc pareil...
- Peut-être la signature du sculpteur, suggéra Morgy.
- Non, c'est plus que ça... Je sens quelque chose... Mais je pourrais pas te dire quoi...
- Moi je ne sens rien... Rétorqua l'apprentie magicienne en fronçant les sourcils.
Slay approcha la main du petit cercle, se sentant mystérieusement attirée. Quand ses doigts le touchèrent, il s'illumina brièvement.
- Qu'est-ce que c'est que ça ? S'exclama la demi-elfe en retirant brusquement sa main.
- Vraiment étrange, souffla Morgana en touchant à son tour le symbole, sans résultat.
- Waf ? Demandèrent Angy et Kyoto qui s'étaient enfin relevées et les regardaient maintenant avec impatience.
- Oui, on arrive, répondit Morgana.

***
Après un bon repas dans la salle commune où Slay en profita pour faire provision de mandarines, elles montèrent toutes quatre à l'étage dans la petite chambre qu'elles avaient louée pour la nuit.
- On va devoir se partager le lit... Je prends le côté gauche ! Déclara Slay.
- Heureusement qu'on n'est pas trop grandes, on n'aurait pas tenu là dedans sinon... Franchement ils pourraient avoir plus de chambres à deux lits...
- Moi je suis très grande, rétorqua la demi-elfe.
- Mais oui, mais oui, soupira Morgana en levant les yeux au plafond.
- C'est quoi le programme de demain ?
- Je crois qu'avec la statue, on a à peu près vu tout ce qu'il y avait à voir ici...
- Ouais, pas passionnante cette ville, à part ce cercle bizarre... J'vous avais bien dit que Vertevallée c'était mieux !
- Raf ! Rétorquèrent les deux chiennes.
- On n'aura qu'à faire quelques provisions demain matin et puis on part pour Vertevallée juste après le repas de midi, proposa l'apprentie-magicienne.
- Moi j'ai déjà ce qu'il faut comme provisions.
- On va pas se nourrir exclusivement de mandarines, quand même...
- Pourquoi pas ? C'est bon les mandarines ! Sauf les pépins...
- Certes... Enfin quand même... Bon, donc départ demain après le repas, d'accord ?
- D'accord.
- Woof, acquiescèrent les deux chiennes.
- Parfait, bonne nuit tout le monde alors, dit Morgana en se mettant au lit.
- Bonne nuit, répondit Slay.
- Rwaf, renchérirent Angy et Kyoto.

Chapitre 5 : Le prisonnier.

Slay se retourna pour la centième fois, récupérant au passage un peu de la couverture que sa voisine endormie semblait bien décidée à s'approprier. Elle ne parvenait pas à trouver le sommeil, tant le symbole qu'elle avait vu gravé sur la statue l'obsédait. Elle avait senti son pouvoir alors que Morgy n'avait rien remarqué du tout... Cela voulait-il dire qu'il était lié à la force cachée qu'elle détenait prétendument en elle ? Quand elle l'avait touché, il s'était illuminé... Mais il ne s'était rien passé d'autre... Peut-être parce qu'elle n'avait pas su comment se servir de ce pouvoir. Il avait simplement dû réagir à sa présence, puisqu'elle détenait ce pouvoir, mais comme elle ne le maîtrisait pas, il ne s'était rien passé de plus... Et si en ré-essayant, elle arrivait à quelque chose ? Cela valait la peine d'essayer !
N'y tenant plus, la fillette se leva discrètement, passa sur la pointe des pieds devant les deux chiennes endormies et sortit dans le couloir. Précautionneusement, elle descendit l'escalier de bois menant à la salle commune où l'aubergiste et ses deux serveuses finissaient de ranger les chaises et de nettoyer les tables. Sans être vue, elle passa la porte et sortit dans la nuit.
À la lumière de la lune, elle atteignit la statue et rechercha l'étrange symbole. Il était toujours là, à l'abri des regards, dissimulé derrière une patte. Ses lignes finement gravées fascinaient la fillette qui les observa longuement, suivant du regard leur tracé délicat, leurs angles et leurs courbures, sentant sa force résonner en elle... Finalement, elle avança prudemment la main et l'effleura légèrement du bout des doigts. Immédiatement, il commença à scintiller d'une faible lueur bleutée. Prenant son courage à deux mains, elle posa sa paume à plat et le symbole se mit à briller intensément. Elle sentait que quelque chose était sur le point de se produire, qu'il lui fallait juste trouver le moyen de le déclencher... Son pouvoir bouillonnait en elle, cognant pour sortir, impatient de se manifester... Se concentrant, elle tenta de l'activer mais sans avoir la moindre idée de la marche à suivre...
Soudain, son environnement changea. La lumière de la lune et des étoiles s'éteignit brusquement, remplacée par une obscurité presque totale. Devant-elle, la statue disparut de son champ de vision, laissant place à des barreaux de métal rouillé. L'air était chargé d'humidité et sentait la mort et les ordures. Sentant un mouvement sur sa gauche, elle aperçut un rat qui s'enfuyait, se faufilant entre les barreaux.
Baissant les yeux, elle vit des mains sales, décharnées et pleines d'éraflures, serrant des genoux écorchés. Elle était assise sur une sorte de couchette en bois, attachée au mur par des chaînes. Son dos reposait contre un mur froid et irrégulier et sa bouche était sèche.
- Attendez que j'sorte d'ici ! J'vous tuerai tous ! S'entendit-elle crier.
Mais cette voix n'était pas la sienne... C'était plutôt celle d'un adolescent...
« Ce n'est pas moi qui suis là... Je suis dans le corps de quelqu'un d'autre ! », réalisa-t-elle. « Il est emprisonné... ».
- J'veux pas mourir ici, gémit l'adolescent.
Slay sentit à nouveau son environnement se modifier et se retrouva seule dans la nuit, la main posée sur la statue. Le symbole ne brillait plus. Elle ne sentait plus la moindre parcelle de pouvoir en lui, comme si elle venait de le décharger... Il avait perdu sa magie.
Se demandant si elle n'avait pas rêvé, la demi-elfe remonta se coucher et s'endormit rapidement, rêvant de sombres prisons, de lentes agonies, de chiens bleus et de symboles entourés de cercles...

***
Morgana s'éveilla à l'aube. À côté d'elle, Slay dormait encore profondément. Se levant discrètement, elle se dirigea sans bruit vers la porte.
- Reste là, je reviens, chuchota-t-elle à Angy qui venait de lever la tête.
Obéissante, la petite chienne se rendormit.
« Qu'est-ce que je vais bien pouvoir lui trouver ? », se demanda-t-elle en descendant l'escalier, avant de sortir sur la place.
Dehors, les magasins ouvraient à peine. Leurs propriétaires, encore à moitié endormis, ouvraient leurs volets et sortaient leurs présentoirs. Des enfants passaient en courant porteurs de messages urgents, tandis que les rues commençaient à s'animer.
« Qu'est-ce qui pourrait bien lui faire plaisir ? », réfléchissait l'apprentie-magicienne. « Quelque chose de pas trop banal de préférence... ».
La fillette déambula au hasard dans les rues à la recherche du cadeau idéal, jusqu'à ce que tout à coup, au détour d'une ruelle, elle tombe sur le magasin idéal.
- Voilà ce qu'il me faut, il est superbe ! S'exclama-t-elle en observant la vitrine.

***
Lorsque Slay s'éveilla à son tour, quelques heures après le départ de son amie, la place en face de l'auberge était déjà bruyante de monde.
- Ils pourraient faire moins de bruit, grogna la demi-elfe en s'étirant.
- Woof ! Acquiesça Kyoto en sautant sur le lit.
- Où est-ce qu'elle est partie ? Demanda Slay en constatant l'absence de Morgana.
- Worf... Répondit Angy, qui n'en avait aucune idée, en sautant à son tour sur le lit.
- Bah, elle reviendra, elle peut pas se passer de nous, sourit la fillette en caressant les deux chiennes. Vous avez bien dormi ?
- Woof ! Ronronnèrent les deux chiennes en se collant contre elle, quémandant d'autres caresses.
- Vous voudriez pas me laisser m'habiller ? Demanda Slay.
- Worf, refusèrent Angy et Kyoto, d'une seule voix en lui léchant la figure.
- C'est que je commence à avoir faim moi, remarqua la fillette.
- Worf, la contredirent-elles.
- Ben si, quand même...
- Worf.
- Si je meurs de faim, ce sera votre faute, déclara Slay
- Woof, acquiescèrent Angy et Kyoto, sans s'en émouvoir outre mesure.
C'est alors que la porte s'ouvrit sur une Morgy chargée de provisions.
- J'ai fait les courses, annonça-t-elle. T'es pas encore levée ?
- J'voudrais bien, mais mes deux geôlières m'en empêchent, fit remarquer la demi-elfe. Pourquoi y a un truc emballé dans le sac de droite ?
- Parce qu'aujourd'hui n'est pas un jour comme les autres, rétorqua Morgana.
- Ah ?
- Pff... T'as oublié ? Demanda l'apprentie-magicienne en sortant le petit paquet.
- Oublié quoi ? Rétorqua Slay en se creusant la cervelle.
- Joyeux anniversaire Angy ! S'écria Morgana en lui tendant le paquet.
- Wooooof ! S'exclama la petite chienne en sautant sur ses pattes.
- Oh, c'est aujourd'hui ? S'étonna Slay. Mince alors... J'avais complètement oublié !
Angy tenta d'ouvrir le paquet avec ses crocs, mais le noeud était trop serré.
- Attends, je te l'ouvre, s'empressa de proposer Morgy, impatiente de lui montrer ce qu'elle avait acheté.
La fillette ouvrit le paquet et toutes purent découvrir un somptueux collier pour chien en cuir cousu de fil d'or. Un médaillon d'argent y était attaché, figurant un grand « A ».
- Wouahou, il est trop beau, s'écria Slay.
- Woof ! Renchérit Kyoto, jalouse.
Angy s'approcha de sa maîtresse pour la laisser l'accrocher autour de son cou.
- Wrourf ! La remercia-t-elle avant de lui sauter dessus et de la lécher joyeusement.

***
Trois heures et un copieux repas plus tard, elles cheminaient toutes quatre vers l'ouest en direction des montagnes. Angy marchait en tête, arborant fièrement son nouveau collier, tandis que Slay fermait la marche en épluchant une mandarine.
- Si on ne traîne pas trop en route, on devrait arriver à Vertevallée dans 5 jours environ, déclara Morgana en consultant la carte qu'elle avait achetée.
- Cinq jours de marche ! C'est long ! Grogna Slay, la bouche pleine de clémentine. On aurait dû acheter des chevaux...
- Tu sais monter à cheval toi ?
- Heu... Non, mais ça doit pas être si compliqué...
- Si tu l'dis... On essaiera à la prochaine ville.
- Dis, y a des auberges sur la route ou bien on va devoir toujours dormir à la belle étoile ?
- Heu, la carte indique l'Auberge de Mi-chemin, à mi-chemin justement... Mais c'est tout... Donc, a priori, on devrait dormir au chaud après demain...
- Humpf... Enfin, tant qu'il ne pleut pas, on peut bien dormir dehors...

***
La nuit venue, les deux fillettes et leurs deux chiennes tentaient péniblement de dormir, pelotonnées dans leur abris improvisé.
- J'ai jamais vu une pluie pareille ! S'exclamait Slay pour la troisième fois.
- C'est ta faute aussi, t'as tout fait pour qu'il pleuve, grogna son amie.
- Woof, confirmèrent Angy et Kyoto.
- C'est pas vrai, j'ai rien fait moi, protesta la demi-elfe, tandis qu'un gigantesque éclair illuminait le ciel.
- T'as dit « tant qu'il ne pleut pas, on peut bien dormir dehors »... Forcément qu'il pleut maintenant !
- Même pas vrai, c'est pas ma faute !
- Si !
- Si c'est comme ça, je boude !
- C'est ça, ça nous f'ra des vacances comme ça...

***
Au matin, le vent avait chassé les nuages et le soleil montra son nez, les réveillant après seulement quelques courtes heures de sommeil.
- On, est toutes mouillées et pleines de boue maintenant, soupira Morgy.
- T'as qu'à lancer un sort de nettoyage, puisque t'es si douée, ronchonna Slay, encore mécontente d'avoir été accusée.
- D'accord, j'ai qu'à utiliser le sort Nètépropre que m'a appris maman Wi'tch, s'exclama l'apprentie-magicienne en levant les mains vers Slay avant de commencer à incanter.
- Eh là, attends un peu !
- Quoi ? C'est ton idée...
- Commence par toi, j'ai pas confiance, insista la demi-elfe en repensant à la cuisson désastreuse de la dinde deux jours plus tôt.
- Pfff, j'vais y arriver sans problème, tu vas voir ! Dit Morgana en reprenant son incantation en direction d'elle même cette fois-ci.
Quand l'incantation s'acheva, il y eut une explosion de fumée.
- C'est normal ça ? Demanda Slay entre deux quintes de toux.
- Heu... Répondit Morgy. Attends, je vais arranger ça...
Une brève incantation plus tard, une petite rafale de vent emporta la fumée.
- Hum, pas de doute, t'es propre, s'esclaffa la demi-elfe.
- J'ai dû me tromper quelque part...
- Pas de doute, confirma Slay, les larmes au yeux.
Sous les rires de son amies, l'apprentie-magicienne s'empressa de ramasser ses vêtements disséminés autour d'elle et se rhabilla en vitesse.
- En plus, c'est malin, ils sont de nouveau sales, vu qu'ils ont atterri dans la boue...
- Je réessaie, déclara Morgy, sans se démonter.
- C'est ça, réessaie...
Après une douzaine de tentatives, la fillette réussit enfin à maîtriser son incantation et, toutes propres, elles reprirent la route de Vertevallée.

Chapitre 6 : Les bandits.

Cela faisait trois jours et demi qu'elles avaient quitté la Cité du Chien Bleu quand elles atteignirent les montagnes. La veille, elles avaient passé une nuit sans histoire dans une chambre de l'Auberge du Mi-chemin où on les avait mises en garde contre les attaques de bandits qui devenaient de plus en plus fréquentes dans la région.
- J'ai pas vu un seul bandit moi, tu crois qu'ils nous boudent ? Demanda Morgy.
- On a peut-être pas l'air assez riches... Je ne tiens pas à être attaquée moi de toutes façons.
- Qu'ils viennent, je les attends ! Avec ma magie, je les ferai tous prisonniers, on les livrera à la justice et je deviendrai célèbre. Les bardes chanteront des chansons en l'honneur de Morgana la Grande Justicière. Tout le monde connaîtra mes pouvoirs et les gens m'acclameront partout où j'irai !
- C'est ça... T'es même pas capable de cuire une dinde ou de nettoyer tes vêtements sans les éparpiller partout et tu veux battre des bandits ?
- Queen nous a enseigné la magie de combat, c'est tout. Normal que je ne sois pas très douée pour les autres sorts, grogna Morgy.
- J'demande à voir moi... Au pire, si ça tourne mal, tu lances ton sort de nettoyage et pendant qu'ils seront morts de rire en te voyant toute nue, moi j'aurai le temps de fuir, suggéra la demi-elfe.
- Mais oui, moque-toi de moi, vas-y. Mais tu vas voir, je les aurai. Il me suffira de prononcer une petite incantation et ils seront tous mes prisonniers ! Tu feras moins la maligne alors !
- On verra, on verra... Enfin, le mieux serait qu'on n'en voit pas et qu'on arrive à Vertevallée sans croiser bandit qui vive...
- Bon, il va faire nuit, on ferait bien de trouver un coin où dormir.
- Ouais, là par exemple, proposa Slay en désignant une petite grotte.
Les deux fillettes se dirigèrent vers l'entrée, suivies de leurs deux chiennes. Tout à coup, elles entendirent un cri venant des buissons sur leur gauche. À peine eurent-elles tourné la tête pour scruter les taillis qu'une petite pierre fusait et percutait Morgana à la tête, l'assommant d'un coup.
- Ouaf ! S'exclama Angy alors que des bandits apparaissaient de tous côtés.
- C'est gentil de nous avoir prévenus que cette gamine était magicienne, cela va nous éviter bien des désagréments... Attrapez-les !
- Grrr, grognèrent Angy et Kyoto, menaçantes.
Mais les bandits leur jetèrent un lourd filet et elles se retrouvèrent immobilisées...

***
- Clap, clap, clap, grogna Slay tandis que son amie reprenait enfin ses esprits. Tu m'excuseras si je ne t'applaudis pas avec mes mains, c'est pas facile quand elles sont attachées dans mon dos.
- On né 'rizonnières ? Tenta d'articuler Morgy à travers son bâillon.
- Prisonnières, tu l'as dit oui... T'as vraiment fait des étincelles, félicitations !
- ...
- Si, c'est vrai, cette façon de tous les capturer d'un coup en perdant connaissance, c'est vraiment ingénieux ! Insista Slay, sarcastique.
- ...
- Oh mais la grande magicienne est réveillée, s'exclama l'un des bandits en s'approchant.
Les deux fillettes lui jetèrent un regard meurtrier.
- Mais c'est qu'elles seraient presque en colère les gamines... Hey, mais c'est quoi cette bourses à ta ceinture ? Demanda le bandit en attrapant la bourse.
- À 'erre ! S'exclama Morgana.
La demi-elfe se colla autant que possible sur le sol. Juste à temps, car le bandit venait de déclencher le piège que la jeune magicienne avait placé sur sa bourse. Il y eut une gigantesque explosion d'énergie qui ravagea le campement.
- Argl... Grogna Slay en reprenant ses esprits. T'aurais pu me prévenir que c'était un piège aussi dangereux ! Je pensais que c'était juste un petit piège... Que la bourse allait lui mordre la main, un truc comme ça...
- Au 'oins ils 'ont hors 'état 'e nuire, positiva Morgy toujours à travers son bâillon, en contemplant le campement dévasté et tous les bandits inconscients. 'i on 'ou'ait se li'érer main'enant, on 'ourrait 'ous les ligo'er a'ant qu'ils 'e 'é'eillent...
- Et tu comptes faire ça comment ?
- Ouah ! Répondirent Kyoto et Angy, qui s'approchaient en trottinant.
- Ooooh, ma Kyoto est là pour me sauver ! Vite, enlève-moi ces liens !
Quelques minutes plus tard, elles avaient inversé les rôles et mangeaient tranquillement tandis que les neufs bandits ronchonnaient dans leur coin, solidement attachés.
- J'te l'avais dit qu'on les capturerait, rappela Morgy.
- Ouais, c'est ça... Un coup de chance oui ! Sans Kyoto et Angy pour nous libérer, on était bien avancées...
- Woof !
- Enfin on a gagné, c'est le plus important, précisa Morgy.
- Un coup de chance, j'te dis...

***
Le lendemain, le cortège composé de deux fillettes, neuf prisonniers et deux petites chiennes cheminait calmement vers le nord. Les deux aventurières avaient décidé de faire un détour par la petite ville de Hautetour, tenant son nom de la gigantesque tour circulaire, vestige d'un antique château, autour de laquelle elle s'était construite. Là, elles espéraient toucher une récompense pour la capture de ces dangereux bandits.
- Les gens vont nous acclamer comme de grandes héroïnes, ne cessait de s'exclamer Morgy toute à ses rêves de gloire.
- Moi j'veux pas être acclamée, protesta Slay.
- Les foules se presseront autour de nous pour avoir la chance de nous parler !
- Mais j'aime pas les foules moi...
- On sera portées en triomphe !
- Tu crois qu'ils vont faire des choses aussi horribles ?
- De partout, des messagers seront envoyés pour demander nos services !
- Mais heu... je veux pas, moi...
- Partout où nous irons, les gens nous reconnaîtront !
- On pourrait aussi laisser les bandits ici et envoyer une lettre pour qu'on vienne les chercher... Comme ça on n'aurait pas tous ces problèmes...
- Et les plus beaux garçons feront tout pour nous plaire !
- M'en fous des garçons...
- Maman et maman seront fières de nous quand on rentrera parce qu'elles auront entendu les bardes chanter les exploits de Morgana la Magnifique, Morgana la Grande Magicienne !
- Je pourrais t'attendre ici pendant que tu vas faire tout ça, proposa Slay.
- Ne dis pas de bêtises enfin ! Ce serait m'accaparer pour moi seule toute la gloire alors qu'une petite part te revient – puisque partir en voyage était ton idée –, c'est indigne de Morgana la Grande Héroïne, voyons !
- Ah... Répondit la demi-elfe, guère convaincue.
- Tu vas voir, notre vie ne fait que commencer ! Nous allons faire de grandes choses et le monde se souviendra de nous !

***
- Tenez, voici votre récompense, une pièce d'argent par bandit capturé. Et merci encore de nous les avoir attrapés. Bonne fin de journée, déclara le capitaine de la garde de Hautetour, en faction à l'entrée de la ville, tandis que ses hommes conduisaient les bandits vers leur nouvelle maison.
- Mais heu, c'est tout ? Demanda Morgana déçue.
- Vous avez besoin d'autre chose ?
- Ben heu... Je pensais... Hésita l'apprentie-magicienne
- Il va bientôt faire nuit, je vous conseille d'aller vite à l'auberge si vous voulez encore trouver une chambre libre...
- Heu... Oui,c'est ce qu'on va faire... Au revoir...
- Finalement, on va pas être célèbres et y aura pas de foule, constata Slay, ravie, quand elles se furent éloignées.
- Mais on a attrapé de dangereux bandits pourtant... Gémit Morgana anéantie.
- Woof... Répondit Angy, compatissante.
- Et tout ce qu'ils trouvent à dire, c'est « voilà vos pièces d'argent et bonne journée »...
- Mais oui, mais oui, tu veux une mandarine pour faire passer tout ça ? Proposa la demi-elfe en sortant un fruit de son sac.
- ...
- Tant pis pour toi, c'est moi qui la mange alors, s'exclama Slay en l'épluchant avec enthousiasme.
Quelques minutes plus tard, elles atteignaient l'auberge.
- « Auberge de la Gloire », lut Morgana. Je parie qu'ils ont choisi ce nom exprès pour me narguer...
- Mais non, mais non, répondit Slay en enfournant un quartier de mandarine.

***
- Et en plus ils n'avaient plus aucune chambre, gémissait Morgy, allongée dans la paille de l'écurie.
- Faut voir le bon côté des choses : au moins on ne gaspille pas notre prime en se payant une chambre.
- Mmm... Bougonna l'apprentie-magicienne.
- Allez, bonne nuit tout le monde, leur souhaita joyeusement Slay.
- Rwaf, renchérirent Angy et Kyoto.
- Mmm... Lâcha Morgy.
- Hi han, leur souhaita poliment l'occupant de la stalle voisine.
- Merci monsieur, lui répondit joyeusement Slay. Bonne nuit à vous aussi.
- Pfff... Soupira son amie en se retournant dans la paille.

Chapitre 7 : Vertevallée.

Trois jours plus tard, nos aventurières arrivèrent à Vertevallée. La cité elfique portait son nom à merveille. Nichée entre deux imposantes montagnes, au fond d'une vallée verdoyante, elle semblait avoir poussé avec les grands arbres majestueux qui la parsemaient. Ses bâtiments de pierre au style harmonieux, aux grandes arches finement sculptées et aux vitraux scintillants n'avaient pas remplacé la forêt comme c'est le cas dans les cités humaines. Au contraire, ils s'intégraient à leur environnement et semblaient ne faire qu'un avec les arbres.
- C'est beau, constata Morgana, admirative.
- Et c'est mon peuple qui l'a construite, renchérit Slay, un soupçon de fierté dans la voix.
- « Ton » peuple ? S'exclama une voix outragée. Tu n'es qu'une bâtarde à moitié humaine à ce que je peux voir... De quel droit te prétends-tu elfe ?
- Raf ! S'indigna Kyoto.
- Parlez-lui sur un autre ton, s'énerva Morgana en fusillant du regard l'elfe aux longs cheveux blonds qui venait de parler, tandis que Slay regardait ses chaussures avec insistance.
- Que venez-vous faire à Vertevallée, humaines ?
- On pensait rencontrer le peuple de ses ancêtres mais je vois qu'on aurait mieux fait de s'abstenir. Il n'en vaut manifestement pas la peine ! Cracha la magicienne.
- Cette enfant n'est qu'une bâtarde ! Elle ferait mieux d'oublier ses ancêtres elfes plutôt que d'accentuer leur honte en se prétendant des nôtres ! Nul doute qu'elle doit être le fruit d'un viol perpétré par un humain, elle ferait bien de mettre fin à ses jours...
- Il suffit, Harniel, déclara un vieil elfe en les rejoignant.
- Vous prenez la défense des sang-mêlés maintenant ? Elriel le Sage est-il donc tombé si bas ? Dire que vous siégez au Conseil, cracha Harniel en tournant les talons.
- Pour qui il se prend celui-là ? S'indigna Morgana.
- Raf ! Renchérirent Angy et Kyoto.
- Les nôtres sont trop souvent peu tolérants à l'égard des autres espèces, s'excusa le vieil elfe.
- Les humains valent au moins aussi bien que les elfes ! Affirma l'apprentie magicienne.
- Trop des nôtres ont tendance à l'oublier... Ils ne comprennent pas les humains à la vie si courte et préfèrent les haïr...
- T'as pas d'chance d'être à moitié elfe Slay... Enfin les humains aussi sont capables de ce genre de choses...
- Venez donc chez moi, nous serons plus tranquilles pour discuter, déclara Elriel en leur indiquant le chemin.
Il les mena à travers la cité jusqu'à une grande maison.
- Vous amenez des humaines chez vous, père ? Tenez-vous donc tant que cela à perdre votre place au Conseil ? Les prêtres de Wi'tch n'attendent que le moindre prétexte pour vous évincer !
- Je doute que Wi'tch vous en veuille beaucoup de nous héberger, ricana Morgana.
- Prétendez-vous connaître la volonté des dieux, petite humaine ?
- Je les connais sûrement mieux que vous, sourit la fillette qui commençait presque à s'amuser.
- Et d'où te viendrait donc un tel savoir ? Demanda l'elfe.
- Maman Wi'tch n'a rien contre les humains. Sinon elle ne partagerait pas son lit avec une humaine.
- Te prétendrais-tu la fille d'une déesse ? Demanda le fils d'Elriel, outré.
- Ouais, rétorqua Morgana en lui tirant la langue.
- Un tel blasphème mériterait la mort ! Rugit l'elfe.
- Allons allons, tempéra Elriel. Calmez-vous donc.
- Je vous approuve quant au danger pour notre peuple de se replier sur lui-même, père, mais il y a des limites ! Héberger ces humaines attirerait la honte sur notre famille ! Je préfère ne pas assister à ça... Acheva son fils en s'éloignant.
- Mon propre fils me considère comme un fou parce que je prône l'amitié envers les autres races... Soupira Elriel quand ils furent entrés.
- Je suis vraiment la fille de Wi'tch vous savez...
- Et je suis prêt à vous croire. Il est évident pour qui sait regarder que vous êtes bien plus qu'une simple humaine. Mais vous devriez éviter de le crier haut et fort comme vous le faites car bien peu seront prêts à vous croire...
- Ah bon ? J'ai quelque chose de spécial moi ? S'étonna Morgana en regardant ses mains comme si elle les voyait pour la première fois.
- Ce n'est pas aussi évident qu'une simple différence physique. Ce serait plutôt une sorte d'aura, de puissance latente, une petite chose que seul un oeil exercé peut voir et comprendre.
- Eh ben...
- Si vous êtes réellement la fille d'une déesse, vous devez être très forte, non ? Demanda un jeune elfe qu'elles n'avaient pas encore remarqué.
- Alwindel, tu pourrais saluer nos invitées avant de les questionner, remarqua Elriel. Mon petit-fils, le présenta-t-il. Il doit avoir à peu près votre âge, mademoiselle...
- Morgana, répondit l'apprentie-magicienne. Et elle c'est Slay. Je me débrouille pas mal en magie, répondit-elle ensuite au jeune elfe.
Les deux chiennes lâchèrent alors un « wrourf » ironique.
- Oh oui, j'allais oublier Angy et Kyoto, ajouta-t-elle précipitamment.
- Si t'es vraiment la fille de Wi'tch, comme tu le prétends, t'auras pas peur d'une petite épreuve pour m'en convaincre ? Demanda Alwindel.
- Et puis quoi encore ? La Grande Morgana ne recule devant rien ! Aucune épreuve ne lui fait peur.
- Ben voyons, soupira Slay en levant les yeux au plafond. La voilà qui recommence avec ça...
- On va faire un marché, proposa alors le jeune elfe. Je te fixe un défi et si tu parviens à le remporter avec succès, je te reconnais comme la fille de Wi'tch et je deviendrai ton premier prêtre.
- J'suis pas une déesse moi, enfin pour l'instant en tous cas... Et je ne le serai peut-être jamais... Mais ça me plaît bien l'idée d'avoir un grand prêtre rien qu'pour moi ! Vas-y, lance ton défi !
- Mon grand frère, Edril, a été enlevé par une sorcière du nom de Lia la Noire, qui vit dans un sombre château à une demi-journée de marche d'ici... Un groupe de guerrier a déjà tenté de le libérer mais un seul en est revenu vivant... Il est mort peu après de ses blessures... Ramène mon frère ici vivant et je serai à ton service jusqu'à la fin de mes jours.
- Aucun problème ! S'exclama Morgana. Tu peux déjà préparer ta robe de cérémonie, elle doit être bleu clair, brodée de vert et d'argent...
- Reviens d'abord vivante, on verra ensuite, sourit le jeune elfe. Je suis sûr que tu vas te dégonfler !
- Tu peux toujours rêver ! Viens Slay, on a une sorcière à vaincre et un beau jeune homme à sauver ! Heu, il est mignon au moins ton frère ? Chuchota Morgy à son futur grand prêtre.
- Tu crois quand même pas que je vais t'accompagner dans un truc pareil ? Protesta la demi-elfe. On a toutes les chances de pas en revenir et tout ça pour quoi ? Pour que Môdemoiselle Morgy puisse devenir célèbre...
- Vous n'êtes pas sérieuses ? Renchérit Elriel. Rien ne me ferait plus plaisir que de libérer Edril, bien sûr. Mais vous n'êtes que des enfants ! C'est bien trop dangereux pour vous !
- Et c'est un grand sage qui dit ça, hein, rappela Slay.
- Bande de rabat-joies, rétorqua Morgana. La valeureuse magicienne que je suis va braver tous les dangers pour libérer le prince charmant, prisonnier de la méchante sorcière ! On se croirait dans un conte de fées ! S'exclama-t-elle, aux anges.
- D'habitude, dans les contes de fées, c'est le prince charmant qui libère la jeune fille, fit remarquer Slay.
- Des détails tout ça, des détails ! Je vais devenir célèbre ! Et j'aurai un grand-prêtre en prime !
- Chais pas ce qu'elle a depuis quelques jours, mais elle parle que d'ça, souffla la demi-elfe à Elriel.
- Bon, tu viens, Slay ? La gloire nous attend !
- On pourrait dormir un peu d'abord, non ? Il fait presque nuit...
- Bon, d'accord, on part demain à l'aube alors. Viens Al – tu permets que je t'appelle Al ? –, on a plein de choses à mettre au point sur tes fonctions de Grand Prêtre de Morgana ! Conclut-elle en entraînant le jeune elfe dans la pièce voisine.
- Et voilà, elle va encore nous fourrer dans un pétrin pas possible, gémit Slay.
- Elle a peut-être bien les capacités nécessaires en réalité, positiva Elriel. Ce n'est pas n'importe qui... Mais à vrai dire, c'est toi qui m'intrigues le plus, Slay.
- Moi ? Demanda-t-elle timidement. Je suis pas fille de déesse moi vous savez, juste une orpheline recueillie par eux parce que je m'entendais bien avec Morgy.
- Ne minimise pas tes qualités. Je ressens un certain pouvoir en toi mais je suis bien incapable de dire ce que c'est...
- Ouais, je sais, tout le monde me dit ça... Morgy, Wi'tch, Dara... Tous ils disent que j'ai quelque chose en moi mais qu'ils ne savent pas quoi...
- Dara ?
- Le Grand Mage Administrateur, c'est son surnom... Un jour il m'a dit que je deviendrai quelqu'un d'important quand j'aurai maîtrisé mon pouvoir...
- Tu as rencontré le Grand Mage ?
- Ouais, on vivait avec Wi'tch, Queen et lui à Tobalville... Queen nous enseignait la magie... Enfin à Morgy, parce que moi, j'arrive à rien du tout...
- J'aimerais avoir la chance de rencontrer un jour de tels êtres... Tu as côtoyé les dieux...
- Ouais, bah ils ont rien de si extraordinaire vous savez... Dara est gentil mais on dirait qu'il a toujours des dizaines de plans compliqués en tête et qu'il essaie de les démêler... Wi'tch elle est très gentille aussi, elle a presque remplacé ma mère avec Eilane... Par contre, Queen, je ne vous souhaite pas de la rencontrer, c'est une vraie folle et elle est très désagréable ! C'est à cause d'elle qu'on est parties.
- Je ne peux pas prétendre faire mieux que le Grand Mage Administrateur... Je n'ai pas non plus la solution à ton problème... Néanmoins, je peux dire qu'Edril a lui aussi une force caché en lui... Une force qui ressemble beaucoup à la tienne... Depuis des années, il cherche sans succès à en percer le secret... Peut-être qu'à vous deux vous y parviendrez...
- C'est vrai ? Lui aussi il a ce pouvoir ? Il faut que je le voie tout de suite ! S'exclama la demi-elfe en bondissant sur ses pieds avant de s'élancer vers la pièce voisine où avaient disparu Morgana et Alwindel. Morgy ! Pas l'temps de dormir, on y va tout de suite !

***
Il était près de minuit quand elles atteignirent le sombre château de Lia la Noire. La pleine lune brillait derrière le grand donjon, donnant au château une allure plus noire encore. Des ronces acérées et des buissons couverts d'épines constituaient la seule végétation alentour et ses douves étaient emplies d'une eau sombre et inquiétante.
- On s'est peut être un peu emballées, non ? Suggéra Slay.
- Mais non, contra Morgy, d'un air confiant que démentait le léger tremblement de sa voix. C'est pas un petit château de rien du tout qui va nous faire peur...
- On pourrait faire demi-tour, on leur dira qu'on l'a pas trouvé le château...
- Non, je ne peux plus reculer, j'ai promis à Al que si je ne ramenais pas son frère, je serai son esclave pour la vie...
- Comment tu as pu faire une promesse aussi stupide ?
- C'est mon futur grand prêtre quand même...
- C'est pas une raison... On fait quoi maintenant ?
- Ben on va sauver son frère, on n'a pas le choix...
- On va se faire tuer ou enfermer... Et peut-être même torturer, gémit la demi-elfe.
- Mais non, tout va bien se passer, rétorqua Morgana, affichant une confiance en elle qu'elle était loin de ressentir. En avant !
- Woof ! Acquiescèrent Angy et Kyoto.

Chapitre 8 : Le sombre château.

- On entre comment ? Demanda Slay alors qu'elles étaient toutes quatre alignées devant la lourde porte d'entrée du château.
- Heu... Réfléchit Morgana. On peut toujours démolir la porte avec un sort...
- Tant qu'à annoncer notre arrivée, autant simplement appeler pour qu'on vienne nous ouvrir...
- De toutes façons, faudra bien la combattre, cette sorcière, sinon, je ne deviendrai jamais célèbre !
- On s'en fout de ta célébrité ! Hurla la demi-elfe. Le but c'est de sortir vivantes avec le frère d'Alwindel, c'est tout !
- Voilà qui règle la question au moins : avec de tels cris, on nous a forcément remarquées...
- Oops...
- Ouaf ! S'exclama Angy en désignant de sa patte la porte en train de s'ouvrir.
- Bon ben on entre alors... Déclara Morgana en pénétrant dans le château.
- Il fait vachement sombre ici !
- Et l'air est humide et froid...
- Woof, acquiesça Kyoto.
- Ouaf ! Aboya Angy alors que la porte se refermait brusquement derrière elles dans un « Schlong » retentissant.
- On est prises au piège, se lamenta Slay.
- Mais non, il suffit de tuer la sorcière, libérer le prince charmant et s'enfuir en courant pendant que le château s'effondre, c'est tout, expliqua doctement Morgana.
- Tu lis trop de livres, toi... Enfin là, dans l'immédiat, on serait bien en peine de faire quoi que ce soit, on n'y voit rien du tout !
- Je vais nous éclairer, répondit Morgy en fouillant dans son gros sac.
- Ce s'rait bien, oui...
- Ah, voilà ma luminite ! Se réjouit l'apprentie-magicienne en sortant une petite pierre. Lumina ! Prononça-t-elle en tenant la pierre devant elle.
La pierre se mit à briller intensément, révélant un vaste hall aux recoins infestés de toiles d'araignées.
- C'est mieux, remarqua Slay. La prison est sûrement en bas, observa-t-elle en désignant un escalier qui descendait dans les entrailles du château.
- On ferait peut-être mieux d'aller d'abord battre la sorcière, non ? Sinon, on risque de se retrouver piégées par la suite, il se passe toujours ça dans les livres...
- Si tu l'dis... Et c'est par où, d'après toi ? Demanda la demi-elfe en désignant alternativement les cinq portes qui permettaient de sortir du hall en plus de la porte d'entrée et de la porte des souterrains.
- Heu... Commença Morgy.
Mais elle n'eut pas le temps de finir que l'une des portes s'ouvrait, révélant un petit homme d'environ un mètre cinquante, vêtu d'un costume noir usé. Il avait le haut du crâne complètement chauve et de longs cheveux blancs – qui auraient eu bien besoin d'un shampooing – lui tombaient sur les côtés. Sa peau ridée lui donnait au moins soixante-dix ans, estima l'apprentie magicienne.
- Veuillez me suivre, son excellence désire vous voir en personne, annonça-t-il d'une voix rauque et grinçante.
- C'est sûrement un piège, chuchota Slay.
- On n'a pas tellement le choix, on le suit, remarqua Morgy à voix basse. On vous suit, déclara-t-elle ensuite plus haut.
- C'est par ici, dit le vieil homme en repartant par où il était venu, sans même vérifier qu'elles le suivaient.
- Il n'est pas très entretenu votre château, remarqua Morgana, tandis qu'ils empruntaient un long couloir aux murs duquel étaient accrochés de grands tableaux couverts de moisissures et de toiles d'araignées.
- Son excellence n'a que peu de gens à son service...
- Ah... Et elle compte nous faire quoi quand elle nous verra ?
- Il ne m'appartient pas de connaître les desseins de son excellence, répondit l'homme d'une voix monocorde.
- Vous devez bien avoir une petite idée non ? Est-ce qu'elle compte nous tuer, nous emprisonner, nous torturer, nous offrir une glace... ?
- Il ne m'appartient pas de...
- C'est bon, j'ai compris, coupa la fillette.
- Attention, les marches peuvent être glissantes, précisa l'homme en empruntant un escalier en colimaçon.
- Et il y a souvent des visiteurs ici ?
- Non, c'est assez rare, les gens évitent le château en temps normal.
- On les comprend, souffla Slay.
- Woof, confirma Kyoto.
Ils continuèrent leur ascension en silence.
- C'est encore long ? Demanda Morgana après deux minutes de montée. Je commence à avoir le tourni...
- Encore quelques marches, répondit l'homme de sa voix grinçante et inexpressive.
Ils parvinrent finalement à un petit palier au bout duquel l'entrée des appartements de la sorcière était gardée par une porte de bois sculptée de personnages démoniaques peu vêtus faisant diverses choses pouvant choquer la sensibilité des plus jeunes.
- Regarde pas ça Slay, c'est pas d'ton âge, déclara Morgana, en lui mettant une main devant les yeux.
Quand ils furent tous arrivés sur le palier, la porte s'ouvrit lentement, sans un bruit sur une grande pièce bien mieux entretenue que le reste du château. En son centre, une femme leur tournait le dos.
- Je vous souhaite la bienvenue dans mon humble demeure, annonça la sorcière en se retournant dans leur direction.
Les jeunes aventurières découvrirent alors une femme semblant avoir une vingtaine d'années, mais dont les légères rides au coin des yeux trahissaient une jeunesse prolongée par magie. Elle était vêtue d'une longue robe noire qui descendait jusqu'à ces pieds. Ses cheveux d'ébène lui tombaient jusqu'au milieu du dos et sa peau pâle ne devait pas avoir vu le soleil depuis bien longtemps.
- Heu... bonjour, répondit Morgana, incertaine sur la marche à suivre.
D'un geste de la main, la sorcière congédia son domestique, qui sortit sans un mot, la porte se refermant toute seule derrière lui.
- Qu'est-ce qui vous amène par ici, jeunes filles ? Demanda la sorcière sur le ton de la conversation.
- Heu... On est venues libérer un jeune elfe du nom d'Edril. Il paraît qu'il est retenu ici contre son gré...
- Oh, oui, nous avons effectivement un invité répondant à ce nom. Un jeune elfe, mignon comme tout... Mais je crains qu'il ne puisse vous suivre.
- Et moi je crois que si, contra Morgana, menaçante.
- Te crois-tu de taille à lutter contre moi ? Demanda la sorcière.
- Je n'hésiterai pas à te tuer pour le libérer !
- Quelle confiance en soi, c'est épatant venant d'une gamine de ton âge... Mais il en faudra plus pour m'impressionner...
Les deux adversaires se mirent alors à incanter, la magie crépitant entre leurs doigts.
- Je vais vous laisser vous expliquer entre vous, hein ? Proposa Slay en reculant vers une extrémité de la pièce, accompagnée par les deux chiennes.
La sorcière fut la première à achever son incantation et une nuée de chauves-souris jaillit de ses manches, fondant sur Morgana en poussant des cris perçants. Sans se démonter, l'apprentie-magicienne termina son propre sort et des langues de flammes jaillirent de ses doigts, carbonisant les volatiles et roussissant les cheveux de son adversaire.
- Comment as-tu osé toucher à ma superbe chevelure ? Hurla la sorcière.
Sans prendre la peine de répondre, Morgana entama un nouveau sortilège.
- Vas-y Morgy ! On est de tout coeur avec toi ! L'encouragea Slay.
- Woof ! Renchérirent Angy et Kyoto.
Des salves d'éclairs jaillirent des mains de la jeune magicienne mais furent stoppées net par une barrière invisible.
- Il en faudra plus pour m'abattre ! S'écria la sorcière en traçant différents symboles dans l'air.
Aussitôt, plusieurs silhouettes vaporeuses se matérialisèrent autour d'elle.
- Voyons ce que tu peux faire contre ça...
Les spectres poussèrent des hurlements à glacer les sangs et tournèrent lentement autour de leur proie, avides d'aspirer sa vie. Morgana ouvrit les mains et une lumière aveuglante les balaya. La sorcière commençait à sentir le vent tourner... Incantant aussi vite que possible, elle fit appel à son sortilège le plus puissant et un vent d'outre-tombe se leva dans la pièce, tourbillonnant autour d'elle.
« Il est temps d'en finir », pensa Morgana.
Elle lança un puissant sortilège d'attraction sur la magicienne et les objets mobiles de la pièces commencèrent à se précipiter vers elle. Puis, d'une décharge magique, la jeune magicienne fit exploser le plafond au dessus d'elles, des blocs de roche fusant de toutes parts.
- Non ! Hurla son adversaire tandis que les restes du plafond l'ensevelissaient sous des tonnes de gravas.
Slay applaudit joyeusement, soutenues par les aboiements enthousiastes d'Angy et Kyoto.
- Félicitations ! Très beau duel, Morgy, déclara la demi-elfe.
- Merci, merci, répondit Morgana, fière d'elle. Il est grand temps d'aller libérer notre ami. Avant l'aube, j'aurai mon propre grand prêtre !
- Mais oui, mais oui, tu l'auras ton grand prêtre... Mais heu, il te servira à quoi ?
- Ça j'en sais fichtre rien, on verra bien ! Répondit l'apprentie-magicienne avec un grand sourire. En route pour les oubliettes !
- Woof !

***
Les deux fillettes parcouraient les oubliettes humides à la recherche de prisonniers encore en vie.
- Tu crois qu'il est mignon ? Demanda Morgana.
- M'en fous. Tout ce que je veux c'est savoir s'il peut m'aider à maîtriser mon pouvoir.
- Quand même, s'il est mignon, c'est mieux...
- T'as déjà ton grand prêtre, il te faut toute la famille ?
- Ça n'a rien à voir, un grand prêtre c'est pas pareil, contra Morgy. Quoique...
- Pfff... M'en fous de tout ça, les garçons, ça m'intéresse pas. Tout ce que je veux, c'est maîtriser mon pouvoir et montrer à cette vieille folle de Queen que je peux aussi arriver à quelque chose !
- Bien, alors s'il est mignon, il est à moi ! S'exclama joyeusement la jeune magicienne.
- Si tu ve... Eh, oriente-voir ta pierre vers cette cellule ! J'ai cru voir quelque chose bouger !
- C'est toi Edril ? Demanda Morgana en apercevant une silhouette prostrée dans un coin.
- Mais... Souffla Slay. Je connais cet endroit... C'est là que...
La silhouette se leva, toujours trop loin pour qu'elles puissent distinguer ses traits dans l'obscurité.
- Non, ça peut pas être lui, il est trop petit pour un garçon de douze ans, soupira Morgana.
- Je suis pas petit ! S'écria l'intéressé en se ruant sur les barreaux de sa cellule.
Les deux amies purent alors voir à quoi il ressemblait. C'était bien un elfe aux longues oreilles pointues. Ses cheveux blonds étaient en partie rassemblés derrière sa tête en une natte au trois quarts défaite. Son corps était amaigri et ses vêtements déchirés...
- Oooooh... Soufflèrent Morgy et Slay en coeur.
- Il est parfait, soupira Morgy.
- Il est fait pour moi, renchérit la demi-elfe.
- Oui, tout à fait, il est fait pour m... Qu'est-ce que t'as dit ?
- T'as ton grand-prêtre, t'as pas besoin de lui.
- Mais je croyais que tout ce qui t'intéressait, c'était ses pouvoirs !
- J'ai changé d'avis, c'est mon Ed !
- T'es trop petite pour avoir un petit ami, t'as que sept ans !
- J'suis pas petite ! S'offusqua la demi-elfe. Et d'abord t'as que neuf ans, t'es pas vieille non plus !
- Déjà plus que toi ! Si tu veux, je te prête mon grand-prêtre, mais lui il est pour moi !
- J'en veux pas de ton grand-prêtre ! C'est moi qui l'ai vue la première, alors c'est mon Ed !
- N'importe quoi, je l'ai vu avant toi ! Puis d'abord, c'est moi qui ai vaincu la sorcière, c'est évident qu'il va me préférer moi !
- Dis pas n'importe quoi, ça compte pas tout ça ! On a les mêmes pouvoirs qu'on ne sait pas utiliser et on est tous les deux pas p'tits, en un mot on est pareils ! C'est mon Ed !
- Non, il est à m...
- C'EST PAS BIENTÔT FINI ? Hurla Edril. Au cas où vous l'auriez oublié, je suis toujours enfermé, moi !
- Oh... Répondirent les deux fillettes d'une seule voix.
- T'inquiète pas, je vais te sortir de là tout de suite, le rassura Slay en fouillant les alentours du regard à la recherche de la clé.
- Pas besoin de clé, avec ma magie, je vais ouvrir la cellule en un rien de temps !

***
Au sommet du donjon, le tas de gravas sous lequel était ensevelie Lia la Noire se mit à trembler légèrement. Lentement, une main s'en extirpa, suivie de la sorcière toute entière. Sa robe noire était déchirée et son sang coulait par de multiples blessures. Mais elle était encore bien vivante et son regard brillait de haine.
- Je vais la tuer ! Hurla-t-elle.
- Non, tu n'en feras rien.
La sorcière se retourna brusquement et eut tout juste le temps d'apercevoir son adversaire que deux énormes mâchoires la saisissaient à la gorge. Durant quelques secondes elle se débattit furieusement, puis sa nuque se brisa sous la pression et elle s'effondra. Son adversaire la contempla un instant avant de reprendre sa taille normale et de quitter la pièce en trottinant.

|***]
Enfin libéré, Edril marchait d'un pas décidé dans les oubliettes du château, impatient de retrouver Vertevallée, sa maison et sa famille. Impatient surtout de se débarasser de ses deux nouvelles admiratrices pendues à ses bras.
« Qu'est-ce qu'elles ont donc, ces deux gamines ? », soupira-t-il intérieurement mais, pragmatique, il préféra ne rien dire avant d'être tiré d'affaire.
Au détour d'un couloir sombre et humide, ils entendirent des grognements provenant de l'une des cellules.
- Il y a quelqu'un là dedans ! S'écria Morgana. Ne craignez rien ! La Grande Morgana va vous sortir de là !
D'un sortilège elle ouvrit la porte et se précipita à l'intérieur.
- Morgy ? C'est toi ? S'exclama une voix rauque.
- On s'conn... Splach ? Réalisa-t-elle soudain.
- Oh non, pas ce nain, grogna Slay depuis l'extérieur de la cellule.
- Et l'elfe est là aussi ? Qu'est-ce que vous faites donc ici toutes les deux ? Ce n'est pas un endroit pour deux petites filles comme vous !
- Je suis pas petite ! Protesta Slay. Et puis je suis une demi-elfe seulement...
- Ça fait toujours une moitié de trop, répliqua le nain.
- On est venues libérer un jeune elfe qui était prisonnier, expliqua Morgana en libérant le nain de ses chaînes. Tu sais que je vais avoir un grand prêtre rien qu'à moi ?
- Je savais que tu ferais de grandes choses, c'est pour ça que t'as toujours été ma préférée !
- Tu voudrais pas entrer dans mon clergé toi aussi, dis ? Tu pourrais être le trésorier de l'ordre... Ajouta-t-elle d'une voix tentatrice.
- Heu... Non merci, sans façon, déclina-t-il. Mais c'est gentil de l'avoir proposé...
- Tant pis... Bon, maintenant en route pour Vertevallée, mon grand prêtre m'attend avec impatience !
- C'est quoi cette histoire de grand prêtre à la fin ? Souffla Ed à Slay.
- Oh, c'est rien, c'est ton frère... Il a fait un pari avec Morgy, si elle parvenait à te ramener vivant, il serait son grand-prêtre pour la vie... Et dans le cas contraire c'était elle qui devenait son esclave...
- Mais c'est n'importe quoi !
- J'te l'fais pas dire, acquiesça la demi-elfe.
- Seuls les dieux ont des prêtres à eux normalement...
- Ouais, justement, en fait Morgy est la fille de Wi'tch... Et ton frère a dit qu'il ne la croirait pas tant qu'elle n'aurait pas fait ses preuves en te libérant...
- Tu veux dire que j'ai été sauvé par une déesse ? Demanda Ed, abasourdi.
- Mais non, mais non. D'une parce que ce n'est pas une déesse. Fille de déesse, oui, mais pas déesse elle-même. Et de deux, parce que c'est moi qui t'ai sauvé, sourit Slay en lui montrant la clé qui avait ouvert sa cellule, fière d'elle.
- Oui oui, répondit Ed, ne voulant pas la contrarier.
« Mais c'est pas toi qui a vaincu la sorcière il me semble... », ajouta-t-il en pensée.
- Dites, quelqu'un aurait vu Angy ? Demanda Morgana.
- Woof ! Répondit la chienne en sortant d'un couloir sur la droite.
- Ne t'éloigne pas trop, ça peut être dangereux.
- Woof !

Chapitre 9 : Où on va ?

L'aube approchait quand ils atteignirent à nouveau Vertevallée. Elriel et Alwindel les accueillirent chaleureusement. Le jeune elfe ne cacha pas sa joie de retrouver son frère sain et sauf, puis perdit quelque peu son enthousiasme en réalisant que Morgana avait remporté son pari et qu'il allait devoir honorer sa promesse. Puis les deux aventurières et les deux rescapés dormirent toute la journée et toute la nuit suivantes d'un sommeil bien mérité.
Lorsque Slay se réveilla, elle se rendit dans la salle à manger où elle retrouva Al, Splach et Elriel.
- Bonjour, déclara-t-elle d'une voix ensommeillée.
- Bonjour, répondit Elriel.
- Salut, ajouta Al d'un air las.
- Ça va pas ?
- Qu'est-ce qui m'a pris de faire une promesse pareille ? Gémit l'elfe.
- Alors là, aucune idée... D'autant que je pense qu'en lui faisant simplement miroiter quelques promesses de gloire, tu lui aurais fait combattre toutes les sorcières du monde... Sans vouloir te désespérer davantage, cela va de soi.
- Merci, tu peux pas savoir comme tu me remontes le moral.
- De rien, c'est tout naturel. Et sinon, tu vas nous accompagner dans notre voyage ? Demanda-t-elle encore, tout en acceptant la mandarine que lui tendait Elriel.
- Vu qu'elle semble considérer que la fonction de Grand Prêtre inclut celle de larbin, je pense que oui...
- Ah... Et elle est où, là ?
- Salle de bain... Heureusement, elle n'a pas encore pensé que je pourrais m'occuper de lui masser le dos ou je n'sais quoi de ce genre...
- Parle pas si fort, elle va t'entendre, conseilla Slay en entamant une deuxième mandarine. Et Ed, il est où ?
- Dans le jardin, il savoure le soleil... Après tout ce temps prisonnier dans un cachot, ça peut se comprendre... Répondit Al.
- Oh, je vais aller le voir, il faut qu'on parle de nos pouvoirs, déclara Slay en embarquant cinq mandarines.
- Aaaaaaal ! S'écria la voix de Morgana depuis la salle de bains.
- Ta déesse t'appelle, remarqua Splach avec un sourire narquois, avant de vider sa chope de bière d'un trait.
- J'ai entendu, soupira Al en se levant.
- Bonne chance, lui souhaita Slay en sortant dans le jardin.
Ne voyant personne, la demi-elfe contourna la maison en dégustant une mandarine. Là, elle vit Edril sur un banc et s'assit à côté de lui.
- ... Lâcha-t-elle, ne sachant pas trop par où commencer.
- ... Répondit Ed, perdu dans ses pensées.
- ... Insista Slay.
- ... Éluda distraitement Ed.
- ... Ajouta la fillette, en ouvrant la bouche, cette fois, ce qui constituait en soi un grand pas vers le dialogue.
- ... Soupira le jeune elfe.
Slay toussota pour se donner une contenance.
- Salut, lança-t-elle, l'air aussi naturel qu'une vache tricéphale.
- Salut, répondit Ed en remarquant enfin sa présence.
- ... Embraya la fillette, à nouveau bloquée.
- Tu avais quelque chose à me dire ?
- Tu veux une mandarine ? Proposa-t-elle en lui tendant un fruit.
- T'es pas venue juste pour ça j'imagine... Qu'est-ce qu'il y a ?
- Heu...
- Mais encore ?
- Ben...
- Oui ?
- Enfin...
- Très intéressante cette conversation, y a pas à dire...
- C'est à dire que...
- Tu te décides, oui ?
- Voilà, en fait ton grand-père m'a parlé de ton pouvoir secret...
- Ah oui... Tellement secret que personne ne l'a jamais vu en action ! Ricana Ed.
- Je sais... Il prétend que c'est le même pouvoir que le mien...
- Toi aussi on te prétend que t'as un pouvoir dont personne ne sait rien ?
- Ouais...
- Si ça s'trouve, ils se plantent complètement et on n'a aucun pouvoir !
- Tu crois qu'un dieu peut se tromper à ce point ?
- Mon grand-père n'est pas un dieu, protesta Ed.
- Celui de Morgy, si.
- Oh... C'est lui qui t'as dit que tu en avais un ?
- Entre autres... Et puis il y a autre chose aussi...
- Ah ?
- Ouais. Quand on était à la Cité du Chien Bleu avec Morgy, on est allées voir la grande statue en forme de chien qui donne son nom à la ville... Il y avait une sorte de symbole dessus et quand je l'ai touché, il s'est mis à briller ! Alors j'y suis retournée toute seule pendant la nuit et j'ai essayé de me concentrer... Et là, j'ai eu une sorte de vision... J'ai vu une sorte de prison, sombre et humide... Mais ce n'est qu'hier que j'ai compris... J'ai vu par tes yeux Ed ! J'étais dans ton corps et je voyais par tes yeux, je sentais par ton nez – c'était pas génial d'ailleurs, parce que tu t'étais pas lavé depuis longtemps –, je parlais par ta bouche... J'ai même mis du temps à réaliser que je n'étais pas devenue simplement toi !
- Tu es sûre que c'était bien moi ?
- Certaine ! C'était exactement la même prison, la même cellule, les mêmes barreaux !
- Ça voudrait dire qu'on est reliés par quelque chose...
- On a le même pouvoir, c'est suffisant non ? Un pouvoir très rare en plus !
- Possible... Et le symbole, tu pourrais le dessiner ?
- Je crois, oui... S'il y a bien une chose que j'ai réussi à apprendre avec Queen, c'est entraîner ma mémoire.
La demi-elfe s'agenouilla sur le sol et traça le symbole dans la terre meuble du jardin.
- Voilà, ça ressemblait à ça... Annonça-t-elle quand elle eut fini.
- Si tu poses ta main dessus ça brille ?
Slay posa sa main à plat sur le symbole.
- Rien, soupira Ed.
- Attends.
Posant sa deuxième main à côté de l'autre, elle se concentra aussi fort qu'elle le pouvait, comme elle l'avait fait quelques jours auparavant à la Cité du Chien Bleu. Il y eut une très faible lueur, puis plus rien.
- T'as vu ? S'exclama-t-elle. Y avait quelque chose !
Ed posa à son tour les mains sur le symbole et se concentra. Celui-ci brilla faiblement puis s'éteignit.
- Ça fait un peu de lumière mais c'est tout... La dernière fois, je l'avais à peine effleuré qu'il a brillé dix fois plus fort que ça...
- Tu t'es peut-être trompée en le dessinant, suggéra Ed.
- Je vais essayer d'en tracer un autre !
- D'accord.
La demi-elfe s'agenouilla à nouveau et traça un second symbole, s'appliquant du mieux qu'elle le pouvait.
- J'essaie ! S'écria Ed en posant ses mains à plat. Cette fois, la lueur fut plus intense, mais il ne se produisit toujours rien d'autre.
- C'est mieux ! Essaie encore !
Au douzième tracé, Ed n'eut qu'à effleurer le symbole du bout des doigts pour qu'il s'illumine.
- Ça marche ! Cette fois c'est la bonne !
- C'est pas trop tôt, se réjouit Slay qui commençait à avoir mal aux doigts à force de tracés.
- Se concentrer... Souffla l'elfe.
Soudain il se vit. Il était là, devant lui, agenouillé devant le symbole, les mains posées à plat dessus.
- Ça marche ? S'entendit-il demander avec la voix de Slay.
« Oui, ça marche ! », pensa-t-il.
Puis la vision se dissipa et il réintégra son corps.
- Ça a marché ! S'écria Edril.
- C'est vrai ?
- Oui, j'étais en toi, j'ai vu par tes yeux !
- T'es sûr ?
- Je me suis vu agenouillé par terre, comme j'aurais pu voir ça autrement ?
- C'est bizarre, j'ai rien senti...
- À propos de quoi ? Demanda Splach qui venait de les rejoindre, une chope de bière à la main.
- Il était en moi et j'ai rien senti... Expliqua Slay.
Splach manqua s'étrangler avec sa bière, tandis qu'Edril rougissait comme une tomate bien mûre.
- C'est pas ce que vous croyez ! S'empressa-t-il de préciser.
- Vu son âge, j'espère bien, remarqua Splach, en essuyant sa barbe.
- De quoi vous parlez ? Demanda Slay, perplexe.
- Laisse tomber, grogna Ed.
- Mais vous parliez de quoi alors, puisque ce n'est pas de « ça » ? Demanda le nain.
- On expérimentait notre pouvoir, expliqua le jeune elfe. Elle a trouvé ce symbole à la Cité du Chien Bleu et il se trouve qu'on arrive à faire une sorte de magie avec, on arrive à projeter notre esprit dans le corps de l'autre...
- Je vois... Intéressant, acquiesça le nain. Bon, on vous attend à l'intérieur pour décider de la suite des événements.
Les deux enfants suivirent Splach dans le salon où ils rejoignirent les autres. Morgana était affalée sur un canapé où Al lui massait les pieds.
- J't'avais dit de parler moins fort, remarqua Slay.
- ... Répondit Al.
- Passe donc aux mollets, s'il te plaît, dit Morgana.
- Hmm... Acquiesça-t-il en s'exécutant.
- Un bon grand-prêtre ne dit pas « Hmm », le réprimanda l'apprentie-magicienne. Mais « Oui, votre sainteté ».
- Oui, votre sainteté... Soupira Al.
- T'es pas obligée d'être si dure avec lui... J'sais bien qu'il a été bête de faire une promesse pareille mais quand même, tempéra Slay.
- Bon, d'accord, tu peux arrêter les massages... Mais tu m'appelleras quand même « votre sainteté », d'accord ?
- Si ça peut te faire plaisir...
- Nous devions donc décider de quand nous partirions de cet endroit plein d'arbres, rappela Splach. Et de notre destination, ainsi que de la composition du groupe.
- La composition du groupe, c'est facile, répondit Morgy. Moi, Slay, Angy, Kyoto, mon grand-prêtre et Ed, c'est évident.
- Pourquoi je viendrais moi ? Demanda Ed.
- Parce que le but du voyage est d'en apprendre le plus possible sur mon pouvoir et donc aussi sur le tien, expliqua Slay.
- C'est vrai... Je vais être l'aîné du groupe alors ? Ce sera donc moi le chef !
- Et puis quoi encore ? S'indigna Morgana. C'est moi la fille de déesse ici, donc c'est moi le chef !
- C'est mon voyage, vous ne faites que me suivre, c'est moi le chef ! Contra Slay.
- Woof ! Acquiesça Kyoto.
- On n'a peut-être pas besoin de chef, suggéra Al.
- De toutes façons, si chef il y a, ce sera moi, déclara Splach. J'ai l'expérience et la sagesse nécessaire. Et puis nous les nains, nous sommes naturellement doués pour le commandement... Comme pour le reste, soit-dit en passant... En toute modestie, bien sûr !
- Tu viens avec nous ? Se réjouit Morgana.
- Tu viens avec nous ? Gémirent les trois elfes.
- On n'a pas besoin de nain dans mon voyage, remarqua Slay.
- Elle a raison, renchérit Ed.
- Notre groupe va perdre au moins dix points en beauté si tu l'intègres, protesta Al.
- C'est clair ! Plussoya Slay. Même Ed et moi on pourra pas compenser ça...
- Tu prétendrais être plus belle que moi ? S'étonna Morgy.
- Bien sûr, répondit Slay en haussant les épaules.
- T'es trop petite pour être belle !
- Je suis pas petite !
- On s'éloigne du sujet là, non ? Remarqua Splach.
- C'est vrai... Bon, on va où ? Demanda Morgana.
- On sait que notre pouvoir est lié à des symboles bizarres... Est-ce que quelqu'un en aurait déjà vus quelque part ? Suggéra Slay.
- Vous pourriez tenter la Grande Bibliothèque de Piledelivre, proposa Elriel. C'est à quelques jours de bateau en aval d'Aubergeville.
- J'y ai déjà été, renchérit Splach. Ils ont effectivement une bibliothèque bien fournie ! Et l'idée de passer par Aubergeville n'est pas pour me déplaire...
- Adjugé pour Piledelivre alors, trancha Morgana.
- Et on part quand ? Demanda le nain. J'en ai marre des arbres...
- C'est bien les arbres ! Protestèrent Slay, Ed et Al, en choeur.
- Vous êtes ici chez vous, déclara Elriel. Vous pouvez rester autant qu'il vous plaira, rien ne presse.
- Oh si, au contraire, déclara une voix transpirant d'une joie malsaine.
- Que faites-vous dans ma maison Harniel ?
- Le conseil a enfin entendu raison et approuvé votre bannissement pour trahison ! Votre maison et vos biens vous sont confisqués. Vous avez jusqu'à ce soir pour quitter Vertevallée !