Chapitre 18 : La cérémonie.
- Bien. On essaie encore une fois, déclara le Grand Mage. Cette fois, essayez de tenir dix minutes.
Morgana se concentra, respira profondément et entama le sortilège. Assis derrière elle, la main droite posée sur son épaule, Al se concentra lui aussi et entreprit de transmettre son énergie à la jeune magicienne dont les mains dégageaient maintenant une faible lueur dorée.
La lueur s'intensifia et de petites boules de lumières s'élevèrent, prenant la forme de créatures féeriques qui s'animèrent selon la volonté de la fillette. Le Grand Mage avait choisi ce sortilège pour trois raisons. Premièrement, il permettait d'entraîner ses élèves à se concentrer longtemps sur un sort en lui prodiguant un apport constant d'énergie. Deuxièmement, il était totalement inoffensif et ne détruirait pas la maison, ni ne la transformerait en forêt vierge, ce qui constituait un avantage certain sur les deux sortilèges précédent qu'il avait proposé. Enfin, il permettait à la fillette de laisser parler son imagination. Spectacle que le Grand Mage admirait volontiers, confortablement assis dans son grand fauteuil, un verre de jus de fruits à la main.
Il contemplait à présent une princesse vêtue d'une longue robe bleutée, assise dans une clairière. De petites fées tourbillonnaient autour d'elle en lui jetant des étincelles multicolores... Les rayons du soleil traversaient les frondaisons, illuminant la scène. Des oiseaux volaient de branches en branches, chantant à tue-tête...
Puis la scène s'obscurcit imperceptiblement. Les sous-bois aux abords de la clairière devinrent sombres et inquiétants. Puis des yeux rouges apparurent les uns après les autres, perçant, piquetant l'obscurité. Mais la princesse ne s'apercevait de rien, pas plus que les fées ou les oiseaux qui poursuivaient leur danse joyeuse.
Le mage fronça les sourcils. « Bizarre, ça... D'habitude elle se contente de scènes joyeuses, ou de combats héroïques... », pensa-t-il. Jetant un coup d'oeil à sa petite-fille, il vit qu'elle et son compagnon étaient entrés dans une sorte de transe.
Reportant à nouveau son regard sur la scène, il vit, autour de la princesse, des fées et des oiseaux toujours insouciants. Dans l'obscurité toujours grandissante, des silhouettes menaçantes se dessinaient autour des yeux rouges. « C'est pas bon, ça... », grommela-t-il intérieurement tandis que les silhouettes démoniaques se précisaient. « Pas bon du tout... ».
Soudain, ses deux élèves clignèrent des yeux et la scène s'évanouit.
- Que s'est-il passé ? Demanda Morgana en secouant la tête pour retrouver ses esprits.
- Je me souviens que tu venais de lancer le sort... puis plus rien, répondit Al.
- Ouais, c'est ça, acquiesça l'apprentie-magicienne.
- Vous devriez aller vous reposer, éluda le mage. L'entraînement est fini pour aujourd'hui, conclut-il en se levant.
« Les événements se précipitent, il faut établir un plan d'action au plus vite ! », se répétait-il mentalement avant de prendre la direction de son bureau pour contacter les autres dieux.
***
- Je vais devoir m'absenter, annonça Karudan. Tous les nobles sont conviés au château du Sombre Seigneur pour la cérémonie.
- Quelle cérémonie ? L'interrogea Ed.
- Une déesse d'un autre monde a été capturée... Elle doit être sacrifiée lors d'une cérémonie visant à ramener à la vie une descendante du Sombre Seigneur, il me semble. Mais je n'y connais pas grand chose aux intrigues de la cour...
Slay avait blêmi au fur et à mesure que le démon parlait et son visage avait maintenant la pâleur d'une craie.
- Ce... cette déesse... de quel monde vient-elle ? Comment s'appelle-t-elle ? Murmura la demi-elfe.
- Tu ne penses quand même pas... s'étrangla Ed.
- Hum, réfléchit Karudan. Le messager a dit son nom... Will... Wittish... non, ce n'est pas ça...
- Wi'tch, gémit Slay.
- C'est ça ! S'exclama joyeusement le démon. Comment t'as deviné ?
Elle lui jeta un regard anéanti.
- Oh... Tu veux dire que c'est la déesse avec laquelle tu as vécu...
- Mais ça n'a pas de sens, protesta Ed. Comment ont-ils pu capturer une déesse ?
- Les dieux de notre monde n'ont aucun pouvoir sur l'Enfer, expliqua Slay, au bord des larmes. Elle a dû abandonner, du moins pour un temps, son statut divin pour venir ici.
- Mais pourquoi serait-elle venue ici dans ces conditions ? Insista Ed.
- Sombre idiot ! Explosa la fillette. Qu'est-ce que tu crois qu'elle peut bien être venue chercher ici, d'après toi ?
- Nous... murmura le jeune elfe en écarquillant les yeux.
- Évidemment, c'était le seul moyen d'empêcher Morgy de venir elle-même !
- C'est triste ce qui lui arrive, compatit Karudan. Mais il faut que je me prépare pour la cérémonie...
- Tu t'fous de moi ? Vociféra Slay. Il n'y aura pas de cérémonie ! On va la sortir de là !
- Slay, calme-toi, tempéra Ed.
C'est alors que Pouss' arriva dans la pièce en voletant.
- Un problème ? J'ai entendu crier.
- Oui, aboya la demie-elfe. On doit partir libérer Wi'tch !
- Mon enfant, tu n'y penses pas, soupira Karudan. On ne brave pas impunément l'autorité du Sombre Seigneur. Et on s'évade encore moins de ses geôles...
- On le fera ! Avec ou sans ton aide !
- Slay, je comprends ce que tu ressens mais tu crois vraiment que c'est à notre portée ? Demanda Ed. Sois raisonnable...
- On est des alchimistes, oui ou non ? On peut y arriver ! On doit y arriver !
***
- Bon, en fait, on pouvait peut-être pas y arriver, reconnu Slay en jouant distraitement avec un maillon de la lourde chaîne qui l'attachait au mur.
- On est bien avancés maintenant qu'on est aussi emprisonnés, grogna Pouss'.
- Et je vais rater la cérémonie, se plaignit Karudan.
- Ce foutu garde m'a cassé une dent, bougonna Ed.
- Et ils m'ont arraché des plumes !
- On n'a même pas de goban dans cette cellule...
- Et on ne peut même pas faire d'alchimie avec les mains attachées...
- Oh, c'est pas bientôt fini de râler tout le temps ? Grogna Slay.
- C'est ta faute si on est là, rappela Pouss'.
- J'l'avais bien dit qu'il fallait un meilleur plan, renchérit Ed.
- « On y va et on avise »... ça a jamais été un plan, insista Pouss'.
- Ma maison me manque, soupira Karudan.
- Vous allez la fermer ? Hurla une voix, deux cellules plus loin. Y a des gens qui aimeraient agoniser tranquilles !
***
Il faisait nuit à Tobalville. Une nuit sans nuage. Le ciel était piqueté d'étoiles innombrables et la lune, fin croissant argenté, éclairait la ville de sa pâle lueur. Dans leur chambre de la maison de Queen, Morgana et Alwindel dormaient paisiblement, épuisés par leur entraînement de la journée.
Soudain, l'apprentie-magicienne se réveilla brusquement, les yeux écarquillés d'horreur. Tremblant comme une feuille, elle poussa un long gémissement avant d'éclater en sanglots.
- Que se passe-t-il, votre sainteté ? Murmura Al en se levant de son lit pour la rejoindre.
La fillette ne répondit rien, incapable d'articuler le moindre mot.
- Je suis là, assura son Grand-Prêtre en lui prenant doucement la main.
- M... Ma... Bredouilla Morgana. Maman est... morte...
- Vous avez dû faire un mauvais rêve, la rassura Al.
- Non... Elle est vraiment morte... Je le sens... Comme si j'avais son cadavre devant moi... Gémit-elle.
Puis elle fondit à nouveau en larmes...