Ratzinger ou le conservatisme en marche
Dans l’ombre du pape, ce cardinal oriente la théologie officielle vers une doctrine " traditionnelle ", qui condamne l’homosexualité et le féminisme.
On a vu ce week-end à Lourdes un cardinal, en l’occurrence le Français Roger Etchegerray, prendre le relais d’un pape incapable de remplir son office. La situation est devenue courante ces dernières années avec la maladie de Jean-Paul II, et pas seulement lors des manifestations publiques. Si le pape conserve officiellement toute sa lucidité, il a délégué la plupart de ses fonctions aux membres de la Curie, l’appareil d’État du Vatican. Parmi eux, le cardinal Joseph Ratzinger, soixante-dix-sept ans, est un des plus influents sur les plans théologiques mais aussi politiques, au point de passer pour l’éminence grise de Jean-Paul II.
La fonction de Ratzinger, auparavant évêque de Munich, est une des plus prestigieuses de l’Église catholique romaine : il dirige depuis 1981 la Congrégation pour la doctrine de la foi, un organisme dont le rôle est de " promouvoir et de protéger la doctrine et les moeurs conformes à la foi ". La congrégation a pris le relais en 1965 du Saint-Office créé au XVIe siècle pour " défendre l’Église des hérésies " et qui a encadré, à ce titre, les dernières exactions de l’Inquisition.
À la tête de sa congrégation, Ratzinger rappelle régulièrement à l’ordre les évêques et les croyants sur les pratiques considérées comme contraires au dogme : union libre, avortement, homosexualité, qualifié de " phénomène moral et social inquiétant ". Il n’hésite pas à s’immiscer directement dans la politique des États (des intrusions en cohésion avec sa vision d’une Église en reconquête) par exemple en demandant l’an dernier l’interdiction de tout mariage homosexuel, ou encore en réclamant dans la constitution européenne une référence aux racines chrétiennes qui fondent, selon lui, notre continent.
Le cardinal est aussi chargé d’encadrer l’évolution de la doctrine. Sauf qu’en matière d’évolution, l’homme penche pour un retour un arrière après les ouvertures de Vatican II. Il s’est dit en faveur d’une " restauration " des valeurs " traditionnelles " de l’Église " après les interprétations trop positives d’un monde agnostique et athée " lors des dernières décennies. Ratzinger, et avec lui nombre de théologiens conservateurs, plaide pour que soit réaffirmée la " prééminence " de l’Église romaine. Il est allé jusqu’à affirmer que les Églises protestantes " ne sont pas des Églises au sens propre du mot ". Alors que Jean Paul II a fait du dialogue oecuménique un axe de son pontificat.
Début août, Joseph Ratzinger s’est de nouveau fait remarquer avec la parution d’un document adressé à tous les évêques du monde (1). Traitant " de la collaboration des hommes et des femmes dans l’Église et dans le monde ", le cardinal y attaque différentes formes du combat pour les droits des femmes. Les féministes y sont accusées de " mettre fortement l’accent sur les conditions de subordination dans le but de faire naître des antagonismes " entre les deux sexes. " Ce processus, poursuit le gardien de la foi, a les conséquences les plus immédiates et les plus néfastes dans la structure de la famille. " Ratzinger condamne aussi " des idéologies qui [mettent] sur le même plan l’homosexualité et l’hétérosexualité, un modèle nouveau de sexualité polymorphe ". Les associations féministes, mais aussi des cercles catholiques progressistes, ont dénoncé ce texte rétrograde et caricatural dans sa vision du combat féministe.
La venue du pape à Lourdes a donné l’occasion à Ratzinger de s’immiscer dans la politique française et européenne. Dans une interview au Figaro Magazine (2), le cardinal s’en prend au " laïcisme idéologique " qui expliquerait certains des problèmes de notre pays. " La montée du fondamentalisme est provoquée par un laïcisme acharné ", explique-t-il. Il se prononce aussi contre l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne au nom de différences " culturelles ", c’est-à-dire religieuses.